L’église fait entendre sa voix, et cela n’est pas toujours bien reçu. Dans le domaine de la bioéthique, la Congrégation pour la doctrine de la foi publie son instruction Dignitatis personae en rappelant un principe non transgressible : « La dignité de la personne doit être reconnue à tout être humain depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle. » Il est à prévoir que le concert de réprobation qui s’était élevé en 1987 autour de Donum Vitae, alors préparé sous le patronage du cardinal Ratzinger, se reproduira avec une égale ampleur. On sait combien les passions sont promptes à se déchaîner dès lors qu’un prétendu droit à l’avortement se trouve délégitimé ou qu’un éventuel « droit à mourir dans la dignité » c’est-à-dire au suicide assisté, est récusé au nom de la conscience. L’argument classique consiste à repousser toute autorité de l’Église à intervenir dans le travail du Législateur. La laïcité publique ne jette-t-elle pas son interdit sur l’expression d’un quelconque pouvoir religieux ?
D’une certaine façon, cela est vrai. Comme le note le sociologue Émile Poulat : « L’Église peut dire ce qu’elle veut, du moment qu’elle ne prétend pas faire la loi en France. Pape et évêques sont libres de dire ce qu’ils veulent, mais leur parole n’a aucune autorité publique, au sens fort du mot, et surtout ils ne sont pas les seuls à jouir de ce droit. »(1) Cette distinction entre droit d’expression et pouvoir public n’est pas niable. Mais on se demande parfois si la liberté même de dire n’est pas récusée à l’autorité spirituelle comme si celle-ci intervenait de façon insupportable pour brimer les consciences dans leur libre détermination. Il faut faire attention à une logique liberticide qui finirait par réduire l’exercice de la parole pour enfermer l’Église dans l’espace étroit des convictions privées. Cela pourrait même aller plus loin avec le refus de l’objection de conscience en matière grave dès lors qu’une loi est votée. On le voit aux États-Unis où la menace plane autour du refus médical à pratiquer l’avortement.
Dans la discussion présente sur l’État moderne, ce type de questionnement est essentiel. On ne s’étonne pas que le philosophe allemand Jürgen Habermas l’envisage directement, lui qui, dans son dernier essai, n’hésite pas à écrire que l’État libéral « ne peut pas exiger de ses citoyens religieux ce qui serait inconciliable avec une existence authentiquement vécue dans la foi ». En effet, ce n’est pas seulement la liberté de pratiquer sa religion qui doit être garantie, mais également « la liberté de foi et de conscience de chacun » (2). L’Église et les chrétiens sont donc pleinement habilités à défendre dans l’espace public ce qui, par ailleurs, ne relève pas seulement de leurs convictions mais se rapporte à la dignité de tous les hommes.
(1) Émile Poulat, France chrétienne, France laïque, entretiens avec Danielle Masson, Desclée de Brouwer.
(2) Jürgen Habermas, Entre naturalisme et religion, Gallimard.
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- Le cardinal Müller sur les questions des droits