En ce début de l’an de grâce 2016, il est normal qu’on s’interroge avec quelque perplexité, sinon quelque angoisse, sur l’avenir, eu égard à l’expérience de l’an passé. Tous les responsables, quels qu’ils soient, sont obligés de tenir compte de données tenaces. La France d’aujourd’hui ne répond plus à certaines catégories qui lui ont été familières, par exemple le bi-partisme gauche/droite, les formations classiques étant obligées elles-mêmes de revoir leurs logiciels. Exemple typique : l’affaire de la déchéance de nationalité aujourd’hui soutenue par un gouvernement sensément à gauche, alors qu’elle marquait, il y a peu de temps encore, la frontière des espaces idéologiques qui séparaient thématiques de droite et de gauche. Il faut bien convenir que c’est le socle même de la chose publique, de la res publica, qui se trouve ébranlé et qu’il conviendrait au plus vite de comprendre la signification de cet ébranlement.
Pour lire depuis longtemps cet étonnant philosophe des institutions qu’est Pierre Legendre, je suis très avide de sa parole, lorsqu’il nous fait la grâce de s’exprimer. En dehors de son œuvre de fond, qui retient l’attention des spécialistes, il ne s’exprime que rarement dans les médias et je le regrette. J’aurais aimé, par exemple, qu’il intervienne dans le débat sur le mariage homosexuel où il avait des choses capitales à dire. Mais il s’exprime aujourd’hui longuement sur le site du Figaro, en répondant aux questions de l’excellent Alexandre Devecchio. À sa manière, à la fois gouailleuse et savante. Il faut s’y prendre à deux fois pour assimiler la leçon, mais ça vaut la peine. Je n’en retiendrai ici qu’une proposition sur la désintégration de l’État, sensible dans ce qu’il appelle la déséducation. Une déséducation qui, dit-il, est devenue une politique, dont on recueille aujourd’hui les fruits, en préparant les djihadistes de demain et en déboussolant la jeunesse.
De cette déséducation, Legendre donne un exemple typique, en fin d’entretien : « Je félicite le conseiller en com qui a fabriqué le slogan infantile “mariage pour tous”. Au moins ça, c’est une trouvaille, une formule qui tape dans le mille, à notre époque où les pouvoirs de tous poils attendent des résultats en traitant l’opinion publique comme une foule de préadolescents. » Oui, il faut lire Pierre Legendre pour aller au fond des choses et comprendre ce qu’il entend par dé-raison, cette dé-raison qui déboussole une société entière.