« Encore une première pour le pape François… ». C’est en ces termes que les vaticanistes ont salué le récent tête-à-tête du pape argentin avec le cheikh égyptien Ahmed al-Tayyeb, la plus haute autorité doctrinale du monde sunnite. S‘il ne s’agissait pas de la première rencontre entre un pape et un imam d’Al-Azhar — Jean-Paul II ayant rendu visite au grand imam Mohammed Sayed Tantawi au Caire en 2000 — c’était cependant la première visite d’un tel dignitaire au Vatican. Les deux chefs religieux ont ainsi échangé, durant une trentaine de minutes en privé, sur le dialogue entre l’Église catholique et l’islam, ainsi que sur l’engagement des grandes religions pour la paix dans le monde, le refus de la violence et du terrorisme, et la situation des chrétiens au Moyen-Orient.
A l’issue de l’entrevue, dans une interview aux médias du Vatican, l’imam al-Tayyeb a salué le Pape comme « un homme de paix, un homme qui suit l’enseignement du christianisme qui est une religion d’amour et de paix » et « un homme qui respecte les autres religions ».
Pour mesurer la primeur de cet événement, il faut se rappeler que l’université d’Al-Azhar était, ces dernières années, en froid avec le Saint-Siège. Certaines incompréhensions avaient marqué le pontificat de Benoît XVI, notamment lors du fameux discours à Ratisbonne en septembre 2006. Le dialogue entre le Saint-Siège et Al-Azhar avait été interrompu après l’attentat contre la cathédrale copte d’Alexandrie, en janvier 2011, après que Benoît XVI avait appelé à protéger les chrétiens au Moyen-Orient, dans une déclaration que l’institution égyptienne avait voulu considérer comme une ingérence occidentale.
Quelques mois après son élection, en 2013, le pape François avait fait parvenir une lettre personnelle à Ahmed al-Tayyeb, assurant de son estime pour l’islam et les musulmans, et plaidant pour une « compréhension » mutuelle afin de « construire la paix et la justice ». Les échanges réguliers entre la plus haute institution juridique de l’islam sunnite et le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux présidé par le cardinal Jean-Louis Tauran avaient ensuite repris, menant à la visite du cheikh à Rome.
Cette nouvelle « victoire » de la diplomatie du pape François est aussi un nouveau geste illustrant la « culture de la rencontre » qu’il prêche à temps et à contretemps. Jorge Mario Bergoglio avait donné le ton quelques jours seulement après son accession au trône de Pierre, en lavant les pieds de jeunes prisonniers, parmi lesquels une musulmane, au soir du Jeudi saint. Il avait réitéré ce rite auprès d’un musulman en 2014, dans un centre romain pour personnes handicapées. Puis en 2016 dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile, trois musulmans comptaient parmi les douze réfugiés auxquels le chef de l’Église catholique avait lavé les pieds. « Les gestes parlent plus que les paroles », avait affirmé le Pape à cette occasion, en assurant : « Nous tous, ensemble, musulmans, hindous, catholiques, coptes, évangéliques mais frères, enfants du même Dieu, nous voulons vivre en paix, intégrés (…). Montrons qu’il est beau de vivre ensemble comme frères, avec des cultures, religions et traditions différentes. »
On se souvient que lors de son voyage en Terre sainte du 24 au 26 mai 2014, le Souverain Pontife avait aussi accompli plusieurs gestes marquants. L’image de l’homme en blanc étreignant ses deux amis argentins, le rabbin Abraham Skorka et le musulman Omar Abboud, devant le mur des Lamentations à Jérusalem, a fait le tour du monde. Moins d’un mois plus tard, il avait présidé une initiative inédite, en réunissant dans les jardins du Vatican les présidents israélien et palestinien, lors d’une prière pour la paix.
Mais c’est surtout sa préoccupation pour les réfugiés que l’on retiendra comme emblématique de son pontificat. Tant à Lampedusa qu’à Lesbos, le Pape ne distingue ni l’origine ni la couleur ni la confession de ceux qui traversent la Méditerranée ou la mer Égée au péril de leur vie. De l’île grecque, le 16 avril, il a amené avec lui au Vatican trois familles de réfugiés syriens qui se sont trouvées être musulmanes. En Turquie, en novembre 2014, il avait déjà souhaité aller au plus proche de la frontière syrienne, au contact des victimes sur le terrain.
Il l’avait fait, bravant les mises en garde des forces d’interposition françaises et onusiennes, en Centrafrique, en novembre dernier. En se rendant dans le quartier le plus disputé, à la Mosquée centrale de Bangui, il a réussi à réinstaurer un climat de paix. « Chrétiens et musulmans nous sommes frères », avait-il déclaré, souhaitant « que cesse toute action qui, de part et d’autre, défigure le Visage de Dieu » et appelant à dire « non à la haine, non à la vengeance, non à la violence, en particulier à celle qui est perpétrée au nom d’une religion ou de Dieu ».
Le pape François appelle régulièrement les leaders musulmans à condamner les actes terroristes « parce que cela aiderait la majorité du peuple musulman à dire ‘Non’ ». Dans ses traditionnelles conférences de presse au style libre et décontracté, au retour de ses voyages, il a plusieurs fois évoqué la bonne volonté de la plupart des musulmans qui ne se reconnaissent pas dans les actes terroristes et considèrent que le Coran « est un livre de paix ».
Cela n’a pas empêché le Saint-Siège de se brouiller peu après avec le gouvernement d’Ankara en célébrant à Saint-Pierre de Rome une messe pour le centenaire du génocide arménien le 12 avril 2015. Arménie qu’il devrait visiter du 24 au 26 juin prochains à l’invitation du Catholicos Karékine II et du président Sarkissian.
Au cœur des contradictions historiques et présentes du Moyen-Orient, le Pape se veut à la fois politique et pasteur. Peut-on dire de lui comme du Saint-Esprit qu’il écrit droit avec des lignes courbes ? Il a certes d’autant plus de mal à être compris de tout un chacun, tant il est vrai que si chrétiens et musulmans partagent des valeurs positives, ils comportent aussi, cela est plus difficile à entendre dans les deux camps, des côtés négatifs : un Dieu miséricordieux mais aussi conquérant, la prière et l’aumône mais aussi le fondamentalisme. La parole, à travers le débat, est souvent décevante. Seule la rencontre, par l’exemple, ouvre à l’amour et délie les liens.