L’affaire de la croix de Ploërmel, au dessus de la statue de Jean-Paul II, n’a pas fini de faire des vagues, parce qu’elle pose quelques questions élémentaires que les rigoureux partisans de la laïcité sont bien en peine d’esquiver. Sans doute, l’arrêt du Conseil d’État est conforme à une certaine logique, qui peut se réclamer formellement de la loi de séparation de 1905. Mais d’innombrables protestataires ont déjà objecté et continuent à objecter que des croix, il y en a partout dans l’espace public. Il y en a jusqu’au centre des plus humbles de nos hameaux. Faudrait-il donc toutes les éradiquer, comme cela se déroula d’ailleurs au moment de la révolution culturelle de l’an II, où l’on procéda à une radicale sécularisation de l’espace public. Cela se passait, il est vrai, en pleine Terreur, et cela anticipait la fameuse révolution culturelle chinoise qui voulut aussi arracher violemment l’ancien empire du Milieu à sa civilisation traditionnelle.
On a fait remarquer aussi que le monument de Paris qui symbolise le plus la laïcité républicaine, le Panthéon, restait surmonté d’une croix. Le temple laïque n’a pu être totalement arraché à sa destination première d’église dédiée à sainte Geneviève, patronne de Paris. Mais c’est une histoire assez époustouflante. Dans le projet primitif, ce n’était pas une croix qui était prévue au sommet du dôme, mais une grande statue de Geneviève. Une première croix avait provisoirement remplacé la statue en projet. Mais avec la transformation de l’église en mausolée, une autre statue de neuf mètres de hauteur représentant une femme embouchant une trompette avait été installée, avant que, sous la Restauration, on y replace une croix en bronze doré.
Mais il faut abréger. Je croyais que cette croix avait été retirée pour les obsèques de Victor Hugo en 1885, sur la foi du cher Philippe Muray. Mais c’est inexact, Muray a peut-être confondu avec la fin de l’usage liturgique de l’édifice. Que conclure de tout cela ? Peut-être que nous ne nous sommes toujours pas au bout de nos difficultés, pour ne pas associer une saine laïcité de l’État à la furie éradicatrice d’une mémoire, qui est beaucoup plus qu’une mémoire, et qui tient aux fibres les plus secrètes et les plus persistantes de notre être profond.