« Tout ce qui est à moi est à toi ». Cette parole du père de l’enfant prodigue, adressée au fils aîné afin de calmer sa jalousie, mérite toute notre attention. Voici rappelé le contexte : le fils cadet (l’enfant prodigue), après une absence prolongée de la maison, au cours de laquelle il a dilapidé sa part d’héritage, est finalement revenu vers son père, poussé à la fois par la faim et le repentir. Et le père qui guettait anxieusement son retour, l’accueille avec une immense joie et organise pour lui la plus belle des fêtes… Le fils aîné, qui était resté docilement au service du père pendant de nombreuses années, surpris et écoeuré par ce traitement de faveur, proteste de sa fidélité sans faille, comparée à la vie dissolue de son frère, manifeste sa colère, récrimine et demande des comptes à son père.
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Cette crise de jalousie du fils aîné et la réponse du père occupent plus d’un tiers du récit de la parabole de l’enfant prodigue.
Cette crise, c’est celle des Pharisiens, observateurs scrupuleux et souvent méritants de la Loi, mais qui n’admettent pas que Jésus s’occupe aussi assidument des personnes que eux considèrent comme des pécheurs.
C’est la crise de nombreux Juifs contemporains du christianisme primitif, ou vivant à d’autres époques, qui refusent que le salut en Jésus Christ puisse prendre d’autres formes que celles dont ils sont les héritiers.
C’est celle de gens appliqués et engagés, travailleurs envoyés à la vigne du Royaume et qui, après avoir enduré tout le poids du jour et de la chaleur, ne reçoivent pas un salaire plus élevé que les ouvriers embauchés à la dernière heure.
C’est la crise de jalousie de ceux qui, s’appuyant sur leur vie droite et peut-être exemplaire, supportent mal l’attention et l’amour excessifs de Dieu pour les pécheurs.
C’est la jalousie de plusieurs d’entre nous peut-être, qui, demeurés dans la maison du père, sans nous être rendus coupables d’abandons prolongés ou d’infractions graves – du moins le croyons-nous – nous efforçons de faire le bien de façon suivie, et qui sommes devancés par des gens au parcours chaotique, mais finalement plus généreux que nous, qui se convertissent et nous dépassent…
Bref, c’est la crise de jalousie de ceux qui n’ont pas encore été éblouis et remués par la miséricorde infinie et gratuite de Dieu notre Père : il veut combler tous les hommes de son amour, sans autre mérite de leur part que celui de se laisser attirer et convertir au moment choisi par Lui.
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Elle est compréhensible, elle serait compréhensible cette jalousie, s’il n’y avait cette parole aimante et lumineuse du Père disant à son fils aîné et à ceux qui, grosso modo, sont demeurés avec lui et n’ont pas quitté la voie du Bien : «Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi ! Tout ce qui est à moi est à toi !»
Le Père nous fait comprendre que ceux qui s’estiment fidèles ou le sont en vérité, ne sont en rien lésés par le traitement de faveur accordé aux pécheurs repentis : les premiers ne sont-ils pas déjà bienheureux dans l’espace du Royaume de Dieu, disposant de tout l’héritage du Père comme de leur bien propre ? Sommes-nous disposés à laisser résonner dans notre coeur et dans notre esprit, à «goûter» dans la foi et le recueillement cette déclaration incroyable de Dieu notre Père : «Tout ce qui est moi est à toi», laquelle, si on déchiffre son sens plénier, va beaucoup plus loin qu’une simple parole d’apaisement…?
Elle ouvre, croyons-nous, cette parole – et d’autres que moi sont mieux placés pour l’attester – sur un abîme de contemplation ! A chacun de découvrir pourquoi et comment.
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Elle commence par ces mots qui arrivent jusqu’à nous : « toi, mon enfant, tu es toujours avec moi » Entendre : « vous êtes sans cesse à mes côtés, je vous garde toujours dans ma vigilance et dans mon amour ; pensez-y bien, on ne se quitte jamais vraiment ; malgré votre inattention, votre présence auprès de moi est constante. Vous êtes enveloppés de ma sollicitude… »
Et il y a plus remarquable encore : « tout ce qui est à moi est à toi ». Dieu notre Père est comme un propriétaire terrien (Jésus nous le présente souvent ainsi dans l’Evangile), sauf que son domaine véritable n’est pas une terre agricole, aussi vaste soit-elle, c’est le monde et tout son peuplement, c’est la création tout entière et ses merveilles : il est le maître de tout ce qui est, et tout lui appartient… Et nous, nous voici donc, de par sa volonté, élevés par l’esprit et le coeur (un peu comme un garçon ou une fille qui se sent grandi, glorifié et sur-dimensionné par un exploit ou la valeur de ses parents), jusqu’à une sorte de complicité avec l’existence du monde, résultat bouleversant de son amour tout-puissant et de son intelligence sans mesure. Ce qui sans conteste est à lui : l’univers infini dont il est le créateur, est aussi affectivement, sentimentalement, réellement nôtre, car nous sommes ses enfants admiratifs et reconnaissants, associés à l’ouvrage de ses mains, quoique subjugués et absolument dépassés…
Mais, ce qui de Dieu, notre Père, est devenu nôtre, de façon plus extraordinaire encore, ce n’est pas seulement sa production extérieure grandiose, ce sont les pensées de son coeur et son dessein de salut du monde, sa volonté de nous attirer jusqu’à la vie éternelle et de nous faire partager son intimité personnelle, sa gloire et son bonheur.
Voici ce qu’il semble nous dire : « Je ne vous fais pas partager uniquement ma souveraineté sur les choses, que j’exerce par ma création et par ma providence. .. J’attire encore votre esprit jusqu’à la révélation de ce que Je suis intérieurement, le mystère personnel naturellement inaccessible, qui m’appartient et me constitue. Je vous révèle mon Fis et notre Esprit d’amour, jaillissement intime qui nous unit. Par ce don gracieux infusé en votre âme par votre foi en Jésus Christ incarné, mort et ressuscité, vous entrez en communion avec le mystère par excellence, mon mystère, qui préside aux destinées du monde, vous êtes divinisés, vous êtes ma famille ».
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Il faut se mettre dans la psychologie de Dieu, cette parabole nous y invite. Il se préoccupe tellement pour notre salut, sachant qu’il est pour nous le seul bien véritable ; il nous presse, nous attire de mille façons, nous envoie sa grâce… Comment ne se réjouirait-il pas au maximum lorsque nous, ou d’autres pécheurs endurcis, nous lui cédons et nous tournons vers lui, confiants dans sa miséricorde ? On dirait que Dieu énonce une deuxième fois, à la fin de cette parabole, une loi qui le » dépasse » ou plutôt qui dit le fond de son coeur, ou de son être même, qui est Amour: «Il fallait bien festoyer et se réjouir, puisque ton frère que voilà était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé.»
Pour aller plus loin :
- Conclusions provisoires du Synode sur la Parole de Dieu
- Jean-Paul Hyvernat
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE « AFRICAE MUNUS » DU PAPE BENOÎT XVI
- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité