La conversion comme changement radical - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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La conversion comme changement radical

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Pouvons-nous espérer que tous les hommes soient sauvés ? Il y a trente ans, un grand théologien posait déjà la question de la même manière. Mais il ne la formulait pas dans ce que les grammairiens appellent le mode indicatif – « que tous seront sauvés » – puisque, insistait-t-il, il ne parlait pas d’un fait, ni d’une doctrine. Au lieu de cela, il a employé le subjonctif (en grec, on dirait le mode optatif, le mode de « l’espérance »), parce qu’il parlait d’une perspective ou d’une attitude.

Appliquez maintenant la question à vous-même. Espérez-vous être sauvé ? La réponse est facile : chacun de nous le désire et dira « bien sûr », à moins que nous ne cédions à ce sombre désespoir qui nous ferme même à la miséricorde de Dieu, le « péché impardonnable ».

Revenez à l’indicatif. Serez-vous sauvé ? La réponse à cette question est tout aussi facile : toute personne sensée dira « je ne sais pas » – c’est l’enseignement de l’Église (CEC, n. 2016). Chacun de nous a besoin de « la grâce de la persévérance finale » et nous devons prier pour cela. Penser que nous savons que nous sommes sauvés est une présomption fausse et dangereuse qui nous met au péril de notre perte.

Ce sont des questions fondamentalement délicates. « Ne faites pas de comparaisons », conseillent les grands saints. Les deux faits suivants vont nous permettre d’avancer.

Tout d’abord, rappelez-vous quand vous étiez enfant et que votre père ou votre mère vous imposaient de vous conduire de manière irréprochable. Vous pensiez alors : « mais on n’exige cela de personne d’autre ! ». Mais peu importe ce que les autres faisaient ; vous sentiez, avec votre cœur d’enfant, que l’état de votre âme dépendait de ce que vos parents exigeaient de vous.

Ensuite, notre Seigneur nous parle de la même manière que nos parents, et tout aussi directement. Un chapitre entier de Marc est consacré à son avertissement : « prenez garde, restez éveillé ! » (Mc 13, 33). De même, notre Seigneur nous enseigne : « Entrez par la porte étroite. Elle est grande, la porte, il est large, le chemin qui conduit à la perdition ; et ils sont nombreux ceux qui s’y engagent. » (Mt 7, 13) La seule équivoque est de savoir si ceux qui entrent par la porte large finissent par s’en sortir…

Il est dangereux de s’appuyer sur des abstractions, il nous faut penser concrètement et selon notre propre mesure. Considérez ces deux propositions : « Pouvons-nous espérer que tous les golfeurs réalisent le par ? », et « Pouvons-nous espérer que tous les pianistes maîtrisent la sonate Pathétique ? ». Ces questions concrètes sont absurdes. Diriez-vous alors : « Pouvons-nous espérer que tous les êtres humains deviennent des saints canonisables avant leur mort ? », ou « Pouvons-nous espérer que nous devenons tous parfaits ? » C’est poser concrètement la question du salut, car la perfection est une condition pour se tenir en présence de Dieu.

À ce stade, il serait facile de se tourner vers la doctrine du purgatoire. Nous serions ridicules d’espérer que tout le monde soit sauvé, tout en omettant de prier avec ferveur pour les nom­breuses âmes dont nous sommes quasi-certains qu’elles sont au purgatoire. (Voir l’homélie de saint Josémaria Escrivá intitulée « Afin que tous les hommes soient sauvés ».)

Mon intérêt, cependant, concerne l’appel universel à la sainteté qui est un appel à la perfection, et la manière dont il s’oppose à cette autosatisfaction que je viens d’évoquer, car être sauvé requiert la sainteté.

Fait révélateur, le tout premier sermon des huit volumes des Sermons paroissiaux de John Henry Newman s’intitule « La sainteté est nécessaire pour la félicité future ». Il y déclare :

« Nous sommes en mesure de nous leurrer si nous considérons le paradis comme un lieu semblable à cette terre ; je veux dire, un endroit où chacun peut choisir et prendre son plaisir… La seule différence que nous mettons entre ce monde et l’au-delà, c’est que, ici (on le sait bien), les hommes ne sont pas toujours sûrs, mais là, on suppose qu’ils seront toujours sûrs d’obtenir ce qu’ils cherchent. Et en conséquence, nous concluons, que tout homme, quelles que soient ses habitudes, ses goûts ou son mode de vie, une fois admis dans le paradis, serait heureux là-haut. »

Il décrit ainsi cette suffisance de l’Angleterre victorienne qui n’est pas sans rappeler notre époque :

« Ce n’est pas que nous nions complètement qu’une certaine préparation soit néces­saire pour le monde à venir ; mais nous n’en estimons ni l’ampleur ni l’importance réelle. Nous pensons pouvoir nous réconcilier avec Dieu quand nous le voulons ; comme si rien n’était demandé aux hommes en général, sauf un peu d’attention pro­visoire, plus qu’ordinaire, à nos devoirs religieux – une certaine rigueur, lors de nos derniers moments, dans les services de l’Église, à la manière des hommes d’affaires qui ne s’occupent de leurs lettres et de leurs papiers seulement quand ils partent en voyagent ou doivent équilibrer leurs comptes. »

Selon Newman, il suffit de formuler cette vision commune pour la réfuter. Mais il propose quand même un argument de défense. Si nous voulions trouver une analogie au paradis sur terre, ce serait une église :

« Car dans un lieu de culte public, aucun discours de ce monde n’y est entendu ; on n’y établit aucun programme pour des projets temporels, grands ou petits ; aucune infor­mation sur la manière de renforcer nos intérêts dans le monde, d’étendre notre influence ou d’établir notre crédit… Ici, on nous parle uniquement et entièrement de Dieu. Nous le louons, l’adorons, lui chantons, le remercions, lui confessons, nous livrons à lui et lui demandons sa bénédiction. Et par conséquent, une église est comme le paradis ; parce que dans l’une comme dans l’autre, un seul sujet – la religion – nous y est présenté. »

Ainsi donc, si nous n’avons pas soif d’être dans l’Église, il est difficile de penser que nous sommes faits pour le ciel. Ce n’est qu’une analogie après tout. Pourtant, la véracité fondamentale de la thèse de Newman s’est trouvée confirmée ce mois-ci avec la réaction de gens outrés par la vidéo de la cathédrale Saint-Étienne de Vienne transformée en piste de danse à l’occasion d’une conférence de jeunes catholiques.

Les premières paroles du ministère public du Christ sont « Convertissez-vous ! » (Mc 1, 15), c’est-à-dire « retournez vos cœurs ! ». Le Christ réclame un changement radical, en quelque sorte, mais c’est à nous personnellement qu’il le réclame, pas à l’Église.

Mardi 30 octobre 2018

Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/10/30/conversion-as-paradigm-shift/


Michael Pakaluk, spécialiste d’Aristote et membre ordinaire de l’Académie pontificale Saint-Thomas d’Aquin, est professeur à la Busch School of Business and Economics de la Catholic University of America. Il vit à Hyattsville, dans le Maryland, avec son épouse Catherine, également professeur à la Busch School, et leurs huit enfants.

Image : L’Église comme voie vers le salut par Andrea da Firenze, v. 1366 [Cappellone degli Spagnoli (chapelle espagnole), église de Santa Maria Novella, Florence, Italie]. La fresque se trouve sur le mur est de la chapelle.