Il y a quelques jours, la Cour Suprême des Etats-Unis a rendu sa décision dans l’affaire du boulanger du Colorado, qui avait refusé, pour motif de conscience, de cuire un gâteau pour l’union de deux hommes. Malheureusement, la décision de la Cour ne répond pas à la question de savoir si le boulanger, ou quiconque dans une situation similaire, a le droit, en raison du Premier Amendement, de suivre sa conscience dans des cas tels que celui-ci.
La Cour s’est limitée à statuer que le tribunal des droits civils du Colorado qui a décidé de punir le boulanger a manifesté un parti pris anti-religieux injustifié en arrivant à cette décision. Donc nous pouvons nous attendre à ce que cette question se présente de nouveau devant la Cour dans un avenir assez proche, à savoir : est-ce que la clause de « libre exercice » du Premier Amendement protège les commerçants qui refusent de fournir des biens ou des services parce qu’ils jugent sincèrement qu’il serait coupable ou immoral de le faire ?
Dans le monde anglo-américain, le problème des droits de la conscience religieuse remonte à plusieurs siècles, peut-être aussi loin que l’époque des Lollards (disciples du prêtre révolutionnaire John Wycliffe) au XIVe siècle. Il a été clairement formulé pour la première fois au XVIIe siècle quand, parmi d’autres, Roger Williams et son ami John Milton soutiennent que les individus, pourvu qu’ils soient par ailleurs respectueux des lois, ont le droit d’obéir à leur conscience, quand bien même elle serait dans l’erreur. Dans la génération suivant l’Indépendance, cette opinion était devenue quasiment universelle aux Etats-Unis nouvellement fondés.
Aux Etats-Unis, il y a une longue tradition permettant aux personnes appartenant à une religion pacifiste (par exemple les Quakers) d’obéir à une conscience qui leur dit de fuir le service militaire. Durant la guerre du Vietnam, le statut d’objecteur de conscience a souvent été étendu à des personnes n’appartenant pas à une religion pacifiste (par exemple des catholiques ou des anti-religieux absolus – pourvu qu’ils aient pu convaincre qu’ils avaient une conviction sincère que participer à cette guerre-là était immoral pour eux).
Nous avons cru si fort dans l’importance de la conscience, même une conscience dans l’erreur, que nous avons voulu tolérer les objecteurs de conscience même quand le destin de la nation était en jeu.
Mais cette attitude de tolérance semble avoir changé. Aujourd’hui, beaucoup d’Américains croient que la loi devrait forcer les gens comme le boulanger du Colorado à violer leur conscience. Et pas parce que le destin du pays est en jeu. Et pas même parce que le couple homosexuel aurait dû se passer de gâteau de mariage. (Ils auraient pu facilement se procurer le gâteau de leur choix chez un autre boulanger, et ils auraient pu se procurer un gâteau non décoré même chez le boulanger mis en cause.)
Je suis stupéfait de ce manque de reconnaissance de l’importance de la conscience. Ces gens ne réalisent-ils pas que le droit d’obéir à sa conscience est un droit de l’homme fondamental, peut-être le plus fondamental de tous ? Ce sont les mêmes personnes qui pensent que l’avortement est un droit de l’homme fondamental. Et ils pensent que la sodomie est un droit de l’homme fondamental. Mais ils ne croient pas que ce soit un droit humain fondamental que d’obéir à une conscience sincère ? C’est stupéfiant. Dans quel genre de monde vivons-nous ?
Je suis même davantage étonné que ces gens ne voient pas que la conscience est un grand bien social. La plupart d’entre nous se porte mieux d’avoir des amis, voisins et concitoyens qui écoutent la voix de leur conscience. Bien sûr, il existe ce qu’on appelle une conscience trop stricte, et nous ne voulons pas encourager cette tendance. Mais les dommages sociaux causés par des consciences trop strictes sont sans commune mesure avec ceux causés par des consciences trop laxistes. C’est une folie pour une société que de décourager de suivre sa conscience. Mais dix millions d’Américains veulent le faire pour le bien des gâteaux de mariage personnalisés pour unions homosexuelles.
Pourquoi quelqu’un échouerait-il à reconnaître la valeur de la conscience ?
D’abord, qu’est-ce que la conscience. Dans la signification traditionnelle de ce mot (qui remonte au moins à plusieurs siècles), la conscience est vue comme une faculté du savoir moral. Nous sommes incapables de discerner le bien du mal de la même façon que nous connaissons les choses dans le monde physique, c’est-à-dire par le moyen de nos sens (la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher). Mais pas de panique. Nous avons, en plus de ces facultés sensorielles, une faculté de connaissance morale. Nous l’appelons habituellement conscience (bien qu’on l’ait parfois également appelé sens moral).
Maintenant, beaucoup de gens qui sont des humanistes séculiers (également nommés post-chrétiens) ne croient pas qu’il existe une faculté non-sensorielle nous procurant un savoir moral. Il soutiennent que tout savoir provient de nos sens. Des convictions qui ne viennent pas des sens ne sont donc pas un savoir mais des sentiments, des préjugés ou des lubies. Quand les gens disent : « ma conscience me dit de faire ceci ou de ne pas faire cela », ce qu’ils veulent réellement dire (dans cette perspective) c’est : « mes sentiments, mes préjugés ou mes lubies me disent de faire ceci ou de ne pas faire cela ».
Si la conscience n’est que cela, il n’y a guère de raison de la révérer. Si quelque bien pour la société peut être mieux obtenu en forçant les gens à désobéir à leur conscience, pourquoi ne pas exercer la force ?
Ceux qui croient le plus passionnément au mariage homosexuel sont vraisemblablement des humanistes séculiers ou post-chrétiens, qui croient vraisemblablement qu’il n’existe rien de tel qu’une faculté spéciale apportant un savoir moral – c’est-à-dire qu’il n’existe pas une chose nommée conscience méritant d’être respectée et légalement protégée. Qui peut être surpris alors que les champions du mariage unisexe ne soient pas troublés à l’idée de prévoir des sanctions légales à l’égard des boulangers qui, pour motif de conscience, refusent de fournir des gâteaux de mariage personnalisés pour mariages homosexuels ?
Leur opinion est très répandue, mais c’est une opinion très répandue qui menace le cœur moral de chacun d’entre nous.
David Carlin est professeur de sociologie et de philosophie au Community College de Rhode Island.
Illustration : gâteau de mariage ?
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/06/15/does-conscience-exist/
Pour aller plus loin :
- Affaire Ulrich KOCH contre Allemagne : la Cour franchit une nouvelle étape dans la création d’un droit individuel au suicide assisté.
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Le droit au mariage des personnes transsexuelles devant la Cour européenne
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- Le Gender pour tous et les droits des parents