Il y a beaucoup de confusion de nos jours à propos des obligations des catholiques envers les positions en matière politique prises par des évêques à titre individuel, par la Conférence des Evêques ou même par le pape lui-même.
De telles positions sont souvent mentionnées comme faisant partie de la doctrine sociale de l’Eglise, ce qui peut fortement prêter à confusion. Des confesseurs, dont je suis, rencontrent de plus en plus souvent des catholiques fervents qui demandent s’ils sont coupables de péché parce qu’ils ne sont pas d’accord avec les évêques ou le pape sur des sujets tels que la politique d’immigration des USA, l’Obamacare, la peine de mort, etc. Je leur garantis qu’ils ne sont pas coupables de péché pour de tels désaccords. Mais ils ont un devoir de s’informer sur ces sujets et doivent respecter les opinions et les personnes de ceux avec qui ils ne sont pas d’accord, y compris quand il s’agit de chefs de l’Eglise.
Dans la doctrine sociale catholique, la morale fondamentale et les principes sociaux sont contraignants. Ils doivent alors être appliqués à des problèmes pratiques complexes. Dans des cas concrets, ces principes sont plus vagues que les premiers principes de la loi naturelle. Et quand on en vient à leur application, nous ne traitons généralement pas avec le même degré de certitude que nous trouvons quand les principes moraux de base sont appliqués aux actes moraux individuels.
Suggérer que les positions politiques prise par une conférence d’évêques – basées sur leur lecture de situations pratiques en lien avec les politiques économiques, d’environnement, d’immigration et autres choses du même genre – sont équivalentes aux affirmations doctrinales qui obligent une conscience catholique prête à confusion.
Par exemple, si une conférence des évêques dit que bâtir un mur est une mauvaise idée ou – comme deux ou trois évêques l’ont écrit – une politique irrationnelle ou inutile, ce sont des positions politiques pures et simples. Ce ne sont pas des énoncés doctrinaux, et ils n’engagent pas la conscience. Ce sont simplement les opinions politiques de tel ou tel évêque, ou de telle ou telle conférence d’évêques sur un problème particulier, social, politique ou économique. Les catholiques sont tout à fait libres de les rejeter si, après examen minutieux, ils les trouvent déficientes.
John L. Allen Junior, un journaliste respecté qui écrit généralement pour une paire de publications catholiques libérales, a écrit à propos du juge Neil Gorsuch, nouvellement nommé à la Cour Suprême par le président Trump : « considéré comme conservateur fiable dans la plupart des domaines, Gorsuch semble susceptible de s’aligner sur les positions de l’Eglise Catholique pour de nombreux sujets mais pourrait provoquer des aigreurs d’estomac pour d’autres. » Allen fait ici allusion à ce qu’il appelle les sujets de doctrine sociale, et il réunit l’avortement et la liberté religieuse dans le volet positif, la peine de mort et l’immigration dans le volet « brûlures d’estomac ». Malheureusement, l’hypothèse, ici, est que toutes ces positions sont moralement fondées avec le même degré de force et de certitude dans leur application. C’est une hypothèse erronée.
Allen ne dirait probablement pas que les positions des évêques sur des matières telles que l’immigration, la santé et la peine de mort sont autant enracinées dans l’enseignement magistériel que les positions des évêques sur l’avortement et la liberté religieuse. Ces dernières positions sont clairement basées sur l’enseignement magistériel qui ne peut changer ni souffrir d’exception dans son application. Les précédentes sont, au mieux, basées sur leur interprétation spécifique de comment certain principe social devrait être appliqué dans une situation particulière très complexe. Pour faire court, ce sont des positions politiques, comme être pour ou contre telle politique de répression criminelle, ou être pour ou contre le contrôle gouvernemental sur la protection de la santé.
Quand Allen déclare que les décisions prévisibles du juge Gorsuch en matière d’immigration et de peine de mort ne s’accordent pas avec les vues « ni du Vatican ni des évêques américains » et identifie ces positions comme « les positions de l’Eglise Catholique », que peut-il vouloir dire ? Ces positions ne sont pas des positions magistérielles en tant que telles et ne prétendent pas être doctrinales ou être les nécessaires applications de la doctrine sociale catholique – c’est à dire les positions de l’Eglise Catholique dans son ensemble, ce qui est ce qui était insinué.
Le fait est que Allen peut seulement parler des positions politiques de la Conférence des Evêques des Etats-Unis ( et non pas de chacun des évêques de cette conférence) et de la position politique du pape François et d’une partie de la Curie, mais difficilement de la position de l’Eglise universelle. Parler des « positions de l’Eglise Catholique » est totalement erroné puisque cela exclut de l’Eglise Catholique tous les catholiques qui ont leur propre position politique sur un sujet qui n’oblige pas leur conscience.
Vous pouvez, par exemple, être partisan de la peine de mort si vous jugez qu’il n’y a pas d’autre moyen pratique et efficace de préserver le bien commun. Même le développement proposé par Saint Jean-Paul II dans le Magistère – que la peine de mort soit utilisée le moins possible – permet de tels jugements prudentiels.
En outre, le devoir moral des juges, y compris les juges catholiques, du moment qu’ils ne traitent pas d’un sujet gouverné par un principe moral absolu ne souffrant aucune exception, est d’interpréter et d’appliquer la loi honnêtement et précisément selon l’intention des législateurs qui ont créé la loi. Leur travail n’est pas d’être d’accord avec quelque position politique que ce soit, fut-ce la leur, mais d’être fidèles à la loi. Si la loi ne peut pas être appliquée fidèlement sans violer la conscience du juge, il n’a d’autre recours moral que de démissionner.
Donc les « positions » d’une « Eglise Catholique mal définie », qui en réalité sont celles de certains chefs au sein de l’Eglise Catholique, ne sont pas nécessairement pertinentes et sont non contraignantes pour les fidèles catholiques. De telles positions doivent être examinées – comme les autres positions et un large éventail de facteurs – pour former notre conscience. Mais suggérer qu’elles sont contraignantes pour les catholiques en désaccord éclairé n’est théologiquement pas soutenable.
Le père Mark A. Pilon, un prêtre du diocèse d’Arlington (Virginie) a obtenu un doctorat de théologie sacrée à l’université de la Sainte Croix à Rome. Il a tenu la chaire de théologie systématique au séminaire de Mount St Mary, est un ancien contributeur de Triumph magazine et un ancien professeur de l’école supérieure de 3° cycle Notre-Dame de Christendom College.
Illustration : le juge Gorsuch avec le président Trump et madame Gorsuch
Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/02/08/conscience-and-disagreements-on-social-teachings/
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