La conscience de Colin Kaepernick et la liberté religieuse - France Catholique
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La conscience de Colin Kaepernick et la liberté religieuse

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Par chance pour le quarterback remplaçant de l’équipe 49ers de San Francisco Colin Kaepernick, il n’existe pas de loi, ni fédérale, ni d’état, ni locale, qui vous oblige à vous tenir debout au garde-à-vous quand on joue l’hymne national lors d’un événement public. S’il y avait une loi de ce genre, elle serait certainement abrogée par les tribunaux, tout comme la loi requérant des étudiants de l’enseignement public qu’ils saluent le drapeau et récitent l’acte d’allégeance a été abrogée par la Cour Suprême dans la célèbre affaire West Virginia v. Barnette en 1943. Comme le juge Robert Jackson l’a noté dans son arrêt rendu à la majorité, la loi imposait à l’étudiant d’effectuer « un salut bras tendu en gardant la main droite levée, paume vers le haut tout en répétant ce qui suit : je prête allégeance au drapeau des Etats-Unis d’Amérique et à la République sur laquelle il flotte ; une nation, indivisible, avec la liberté et la justice pour tous. »

Le juge Jackson a argumenté que, à moins de chercher à éviter un danger avéré, cette sorte de « déclaration contre son gré » est contraire aux principes de la Constitution, même si ses défenseurs affirment que son but sert le bien public de quelque manière, par exemple l’unité nationale, le patriotisme, etc. Comme il le note : « d’où la validité du pouvoir revendiqué de forcer un citoyen américain à professer publiquement quelque déclaration ou croyance ou à participer à quelque cérémonie d’allégeance pose des questions de pouvoir qui doivent être considérées indépendamment de toute idée que nous pourrions avoir quant à l’utilité de la cérémonie en question. »

L’esprit du verdict du juge Jackson est tout entier dans ces mots mémorables que je ne me lasse jamais de citer : « s’il y a jamais eu une étoile fixe dans notre constellation constitutionnelle, c’est qu’aucun officiel, grand ou petit, ne peut prescrire ce qui serait orthodoxe en matière de politique, de nationalisme, de religion ou d’autres sujets d’opinion, ni ne peut forcer les citoyens à confesser en paroles ou en actes leur foi à cet égard. S’il existe quelque circonstance autorisant une exception, elle ne s’est pas encore présentée. »

Je soupçonne le commissaire de la Ligue Nationale de Football, Roger Goodell, d’avoir été inspiré par les principes qui ont donné naissance à ces sentiments profonds quand il a récemment choisi de ne pas user des pouvoirs qui sont les siens pour mettre monsieur Kaepernick à l’amende ou pour le forcer à se lever durant l’hymne national : « les joueurs ont une tribune, et c’est bien qu’ils le fassent [se lever]. Nous les encourageons à être respectueux et c’est important qu’ils le soient. »

Parce que la Ligue de Football est une organisation privée, et non le gouvernement, le commissaire Goodell n’est pas tenu légalement d’autoriser monsieur Kaepernick à continuer son mouvement de protestation. Par conséquent, le commissaire a fait preuve d’une remarquable retenue, reconnaissant sans aucun doute pour son propre pouvoir ce que le juge Jackson comprenait du pouvoir de l’état : « lorsque les méthodes modérées de première instance pour atteindre l’unité ont échoué, celles qui concourent à son accomplissement doivent recourir à une sévérité toujours plus grande. Lorsque la pression gouvernementale pour obtenir l’unité croit, le conflit devient plus violent aux dépends de l’unité. »

Et pourtant, il ne s’est passé que six mois depuis que la Ligue a menacé implicitement de ne pas tenir compte de l’offre d’Atlanta pour le Super Bowl parce que le corps législatif de Géorgie a voulu dans une loi offrir au clergé et aux organisations religieuses les mêmes droits d’expression et de participation à certains événements et cérémonies tenus dans des lieux privés que ceux que le commissaire Goodell a jugé bon d’accorder maintenant à monsieur Kaepernick pour certains événements précédant la partie et pour les cérémonies organisées par la Ligue dans son domaine.

Les deux affaires sont étrangement similaires. Les défenseurs du corps législatif de Géorgie ont été accusés d’être « contre l’inclusivité et la diversité » alors même que la loi avait été bâtie précisément dans ce but. En autorisant le clergé et les organisations religieuses à vivre conformément à leurs croyances dans l’espace public sans craindre des représailles gouvernementales ou des sanctions financières, la loi reconnaît implicitement qu’une « affirmation contre son gré » d’une opinion sur des sujets contestés qui nous divisent profondément trahit les principes d’inclusivité et de diversité.

Les critiques de monsieur Kaepernick l’ont accusé d’être non seulement anti-patriotique mais également irrespectueux à l’égard des militaires qui ont donné leur vie pour protéger la nation dont le drapeau est le principal symbole. Mais le quarterback remplaçant multi-millionnaire métis ne voit pas les choses ainsi : « je ne vais pas me mettre au garde-à-vous et me montrer fier du drapeau d’un pays qui opprime les noirs et les gens de couleur. »

Je pense qu’il a tort, puisque honorer le drapeau, c’est comme honorer votre famille et votre patrimoine. Vous n’honorez pas tout ce qu’ont fait tous les membres de votre lignage. Ce que vous faites, c’est reconnaître votre petitesse et votre dépendance, reconnaître que vous êtes né dans un cadre que vous n’avez pas choisi qui vous a donné – sans aucun mérite de votre part – une place, la vie, l’amitié et la civilisation, avec toutes les manies et imperfections inhérentes à la nature humaine. Cependant, je pense que le commissaire Goodell a pris la bonne décision en choisissant de ne pas forcer monsieur Kaepernick à violer sa conscience.

On peut seulement espérer que le commissaire réveille quelque jour l’imagination pour faire voir que les citoyens non multi-millionnaires, n’ayant pas la tribune publique de monsieur Kaepernick ni même une fraction significative de ses moyens financiers, ont une conscience, eux aussi.

Francis J. Beckwith est professeur de philosophie et d’étude des relations entre l’Eglise et l’Etat à l’université de Baylor.

Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/09/15/colin-kaepernicks-conscience-and-religious-liberty/