C’est avec le temps et beaucoup d’heures d’adoration que saint Jean-Marie Vianney est devenu un confesseur peu ordinaire… Il a prié, beaucoup prié, il a peiné, souffert pour que ses paroissiens soient touchés par la grâce. C’est qu’il avait un tel sens de Dieu que ce qui offensait le Seigneur le faisait souffrir.
En effet, comme Dieu, il avait à la fois un profond amour du pécheur, mais aussi l’horreur du péché. Aussi mesurait-il sa responsabilité de curé, une responsabilité qui souvent le tourmentait : « Ah, si j’avais su ce que c’était qu’un prêtre, au lieu d’aller au séminaire, je me serais bien vite sauvé à la Trappe. » Car il percevait les effets destructeurs du péché dans les cœurs avec une sorte d’angoisse : « Le péché obscurcit la foi dans les âmes comme les brouillards épais obscurcissent le soleil à nos yeux : nous voyons bien qu’il fait jour, mais nous ne pouvons distinguer le soleil. »
L’ennemi du bonheur
Le Curé d’Ars nous rappelle au fond quelque chose d’essentiel : le cœur de l’homme est malade. « Le bon Dieu veut nous rendre heureux et nous ne le voulons pas. » Quel malheur ! C’est bien le malheur de l’homme, lui qui est fait pour Dieu et qui se perd dans les égarements du mensonge ou de l’indifférence. Quel dommage ! Si l’homme pouvait comprendre que le péché est l’ennemi du bonheur de l’homme ! « Mes enfants, que c’est triste quand une âme est en état de péché !… Dans le péché, notre âme est toute galeuse, toute pourrie, elle fait regret. La pensée que le bon Dieu la regarde devrait la faire rentrer en elle-même… Et puis, quel plaisir a-t-on dans le péché ? On n’en a point. On fait des rêves affreux… que le démon nous emporte, que nous tombons dans les précipices… Oh ! Que l’homme est malheureux quand il vit et meurt dans le péché !… Le péché est le plus grand malheur de l’homme. »
Le saint Curé, lui qui a le cœur si pur, si droit, mesure les ravages du péché. Il veut « arracher » ses paroissiens à leur tiédeur, en les ouvrant à la bonté de Dieu. Sa prédication est forte et veut conduire à la conversion, pour les ouvrir à la Miséricorde : « Son plus grand plaisir est de nous pardonner. Oui, car la miséricorde de Dieu est plus grande que notre péché. Quelle bonté de Dieu ! Son bon cœur est un océan de miséricorde… Nos fautes sont des grains de sable à côté de la grande montagne des miséricordes de Dieu… La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé ; elle entraîne les cœurs sur son passage. »
Il lisait dans les cœurs
Pour vivre son ministère, il avait reçu la grâce de lire dans les cœurs ; beaucoup de témoignages recueillis au cours du procès de canonisation révèlent que ceux qui venaient s’agenouiller près de Jean-Marie Vianney se sentaient mis dans la lumière sur leur propre vie. Et fréquemment, le saint Curé faisait découvrir lui-même au pénitent l’une ou l’autre de ses fautes. L’abbé Monnin cite, par exemple, le cas d’un homme qui avait eu une vie mouvementée. Il vint à Ars espérant obtenir une guérison. Sur les conseils de quelques amis, il accepte de se confesser. Jean-Marie Vianney l’écoute en silence, puis lui demande : « Est-ce tout ? — Oui, répond l’homme. — Mais, réplique le curé, vous n’avez pas dit que tel jour, à tel endroit, vous avez commis une très grave faute ? »
Libération
En mettant ainsi le doigt sur tel ou tel aspect de la vie du pénitent, Jean-Marie Vianney aidait la personne à une véritable libération. Des cas de ce genre sont nombreux. Jean-Marie Vianney posait souvent la question rituelle : « Depuis quand date votre dernière confession ? » Parfois le pénitent ne s’en souvenait plus ! Alors, le Curé pouvait répondre : « Cela fait vingt-huit ans, mon ami, et vous n’avez pas été communier à la suite de cette confession. »
L’abbé Monnin ajoute : « Il lisait à livre ouvert dans le cœur de ses pénitents, et découvrait leurs fautes cachées dans les derniers replis de la conscience, dans ces bas-fonds de l’âme qu’on ne visite jamais. Il est impossible de se refuser à croire qu’il ait eu la révélation de l’état intérieur des personnes qui s’adressaient à lui, et même qu’il ait pénétré leurs plus secrètes pensées. Nous avons su d’une manière certaine qu’il avait fait connaître à un grand nombre qu’ils le trompaient en confession. C’est journellement qu’il disait, à première vue, à ceux qui venaient à lui quels étaient leurs attraits, leur vocation, et par quelles voies Dieu voulait les conduire. »
Le témoignage d’Alfred Monnin est intéressant en ce sens où il ne réduit pas le don qu’avait le Curé d’Ars à la simple révélation des péchés, mais qu’il l’élargit à la connaissance de l’orientation profonde de l’Esprit qui guide et conduit vers la perfection.
Ainsi, nous comprenons vraiment l’immensité du cadeau de Dieu en ce sacrement de pénitence, que nous sommes appelés à vivre et à faire vivre ! « Mes enfants, on ne peut pas comprendre la bonté que Dieu a eue pour nous d’instituer ce grand sacrement de Pénitence. Si nous avions eu une grâce à demander à Notre-Seigneur, nous n’aurions jamais pensé à lui demander celle-là ; mais il a prévu notre fragilité et notre inconstance dans le bien, et son amour l’a porté à faire ce que nous n’aurions pas osé lui demander », dit le saint Curé.
Conduire au sacrement de réconciliation et mener les gens à la vraie contrition, voilà ce qu’a été son labeur de tous les jours, comprenant bien que la prière et le sacrement du pardon sont les moyens essentiels et ordinaires pour grandir dans la vie spirituelle.
Allier vérité et miséricorde
« Mener les gens à la vraie contrition » : arrêtons-nous un instant. Il y a là un point essentiel de la grâce du saint Curé : allier vérité et miséricorde. La vraie miséricorde ne peut se vivre que dans la vérité. C’est dans la lumière du Seigneur, aidé par la grâce qui passe par le dialogue avec le saint Curé, que le pénitent reconnaît à la fois la gravité de son péché et l’immensité de ce pardon. C’est là un point exigeant de la pastorale du Curé d’Ars et qui nous fait réfléchir : conduire à la vérité du pardon, non pas en banalisant la gravité du péché mais en aidant à descendre au profond des cœurs pour y découvrir que Dieu est plus grand que notre cœur.
Pour cela une seule solution : ne pas avoir peur, mais faire sans cesse l’expérience de la Miséricorde. Quelle joie, quelle chance de recevoir souvent ce beau sacrement ! Il faut réapprendre que nous sommes les bien-
aimés du Seigneur, ceux qui humblement peuvent sans cesse se jeter dans les bras du Père ! Alors nous vivrons pleinement la vocation chrétienne !