Donald Trump a raflé les primaires républicaines dans le Nord-Est en grande partie en raison de la participation de cols bleus catholiques en colère. Il pourrait faire de même en Indiana aujourd’hui (NDT : c’était le 3 mai).
La plus grande victoire de Trump était New-York – avec 44 % des cols bleus – où il a ratissé un prodigieux 61 % des votes et emporté les 62 comtés. Sur Long Island, où une large majorité des votants républicains sont catholiques, Trump a obtenu un phénoménal 70%.
Franchement, les résultats de New-York n’étaient pas surprenants. En 2010, un autre chouchou du Tea Party, Carl Paladino, un alcoolique grossier de la région de Buffalo, avait battu facilement le candidat officiel républicain Rick Lazio à la primaire de l’élection du gouverneur avant d’être balayé en novembre par Andrew Cuomo [NDT : le gouverneur sortant].
Selon moi, Trump est un autre Paladino – seule différence, ses costumes sont plus coûteux et moins remplis.
Toutefois, la question qui vaille est : pourquoi des candidats tels que Trump et Paladino ont-ils la côte auprès des cols bleus catholiques ?
L’analyste politique de gauche Thomas Frank, dans son nouveau livre « Listen, Liberal » incrimine le parti démocrate dirigé par les résidents d’été de Martha’s Vineyard [NDT : lieu de villégiature pour gens huppés] : membres de l’Ivy League et chefs d’entreprise. Ce groupe, accuse Frank, s’est écarté de la mission historique du parti, qui était de défendre et promouvoir les intérêts de la classe ouvrière traditionnelle. Le parti démocrate moderne, gouverné par des experts, « exclut d’être gouverné par le peuple ».
Selon Frank, Obama est captif du « culte de l’innovation » et son intérêt pour les préoccupations qui étaient traditionnellement celles des démocrates « oscille entre l’indifférence et la froideur ». Le parti démocrate d’Obama combine « l’auto-satisfaction et les privilèges de classe à un niveau que les Américains trouvent révulsant » et se consacre « à servir et glorifier cette caste. »
En ce qui concerne le parti républicain, de nombreux analystes soutiennent qu’une forte partie de ses adhérents cols bleus catholiques ne se sent plus à l’aise dans un parti qui leur semble ne plus accorder qu’un soutien de façade à leur préoccupations économiques et culturelles.
Ces observations ont leur justesse, mais les graines de la frustration ont été plantées des décennies avant Obama.
En 1945, beaucoup des vétérans revenant à la vie civile n’aspiraient pas à rejoindre des country clubs de luxe ou à vivre sur Park Avenue. Ils voulaient un bon salaire, un emploi sûr dans l’industrie qui corresponde à leurs compétences et leur permette d’élever leur famille selon leurs préceptes religieux.
Dans les années de croissance de l’après-guerre, il y avait pléthore d’emplois de ce genre dans les états très industrialisés de New-York, Pennsylvanie, Michigan et Ohio, et la grande majorité des travailleurs en col bleu étaient des catholiques.
Cependant, au début des années 60, ces catholiques du New Deal ont senti que leur façon de vivre était menacée par les planificateurs sociaux qui prenaient le contrôle de leur parti.
Les catholiques de la classe laborieuse traditionnelle ne se sentaient plus à l’aise dans un parti qui devenait inféodé aux circonscriptions électorales et à leurs armées de lobbyistes. Ces électeurs étaient effrayés par une nouvelle doctrine égalitaire qui n’impliquait pas une égalité d’opportunité mais une égalité de résultats par le biais de quotas, et non plus en fonction du mérite et de l’excellence.
Ils ressentaient également un défi à leurs mœurs. Les crimes de voisinage endémiques, le déclin de la famille traditionnelle, le renchérissement du coût de la vie, le respect déclinant pour le drapeau américain les ont ébranlés.
Depuis le milieu des années 70, les cols bleus catholiques ont expérimenté la destruction de leur économie locale. Les interférences du gouvernement, des réglementations onéreuses et la concurrence mondiale croissante ont détruit l’industrie de base américaine.
Ainsi 7 231 000 emplois industriels (37%) ont été supprimés entre 1979 et 2015 et des villes industrielles de premier plan – Buffalo, Syracuse, Rochester, Scranton, Erié, Détroit – sont devenues des villes-fantômes. Le revenu annuel moyen des cols bleus titulaires d’un diplôme universitaire qui était de 56 395 dollars en 1973 est tombé à 40 701 dollars en 2013 (en dollars constants).
Au 21e siècle, le niveau de vie culturel et économique de millions de catholiques en col bleu a été ravagé. Leur voisinage a été rasé, la valeur de leur domicile est en baisse. Et malheureusement, une proportion croissante des jeunes qui sont restés dans les vieilles cités industrielles en déclin ont abandonné leur foi, sont au chômage chronique, vivotent des aides sociales, évitent le mariage et la paternité et deviennent un sous-prolétariat appauvri.
En 2008 et 2012, ces électeurs catholiques sous pression sont restés à la maison – ils n’avaient foi ni dans la rhétorique d’Obama, ni dans les platitudes de McCain et Romney. Mais cette année, leur colère a atteint le point d’ébullition et ils ne peuvent tout simplement plus supporter la situation.. En nombre record, ils sont venus apporter leur soutien à la personne qui fait appel à leurs tripes, non à leur intelligence – Donald Trump.
Les chevaliers blancs auto-proclamés, comme Trump, ne sont pas une nouveauté. A l’époque moderne, nous avons eu Huey Long, George Wallace et Ross Perot. Les Américains, grâce à leur bon sens, se sont vite lassés de la rhétorique grandiloquente et bourrée de clichés de ces démagogues. Le phénomène Trump, qui encourage la violence et la haine, et s’en prend aux désespérés avec un slogan d’auto-collant : « redonner sa grandeur à l’Amérique », connaîtra probablement le même sort.
Les électeurs cols bleus en colère peuvent bien être sur le devant de la scène parce qu’ils étaient la clef du succès de Trump aux primaires. Mais ils ne sont pas suffisamment nombreux pour le porter en tête à l’élection générale.
Les blancs en col bleu représentaient 36% des électeurs en 2012 mais on pense qu’ils ne sont plus que 33% en 2016. Dans le même temps, la part des hispaniques et des asiatiques a augmenté ces quatre dernières années.
Si Romney ne pouvait pas gagner l’élection avec 27% des votes hispaniques et 26% des votes asiatiques, Trump ne peut pas gagner si sa part de ces groupes d’électeurs tombe à 10%. Et puis il y a le plus grand groupe d’électeurs – les femmes. A ce jour, 66% d’entre elles disent qu’elles ne voteront jamais pour lui. Cela signifie que Trump aura 35% de leurs votes, quand Romney en avait 44%.
Les chiffres ne sont pas favorables à Trump. Et sa défaite garantit que la Cour Fédérale et la bureaucratie statueront contre les idées les plus chères aux catholiques jusqu’en 2020, et peut-être au-delà.
Quoi qu’il en soit, et quel que soit le vainqueur de novembre, les élus de Washington doivent se réveiller et répondre aux appels des cols bleus délaissés. S’ils échouent, ou s’ils continuent à prendre de haut ces électeurs mécontents qui se sont réunis en manifestations pacifiques, nos déclassés pourraient en venir à ce que craignaient tant James Madison et les autres auteurs de la Constitution, un gouvernement par la populace.
George J. Marlin, président du bureau de l’Aide à l’Eglise en Détresse aux USA, est un rédacteur de The Quotable Fulton Sheen.
Illustration : le candidat républicain à l’élection présidentielle Donald Trump
source : https://www.thecatholicthing.org/2016/05/03/angry-blue-collar-catholics/
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- Bulletin de l'Acip n°1131 (DR)
- SYRIE : ENTRE CONFLITS ARMES ET DIALOGUE INTERNE