Le vent de colère qui soulève la police et que le gouvernement a le plus grand mal à apaiser oblige à prendre, une fois de plus, en considération notre dispositif de sécurité. Une fois de plus, car ce n’est pas la première fois que se manifeste ainsi le malaise des forces de l’ordre. On peut dire que le problème est récurrent depuis des décennies, et bien qu’il soit sans cesse d’actualité, on ne voit pas qu’il ait trouvé plus de solutions qu’il y a dix ou vingt ans. Des mesures immédiates sont sûrement à prendre, qui concernent le budget du ministère de l’Intérieur, l’augmentation des effectifs, leur répartition et leur usage sur le terrain, singulièrement les quartiers à risque. On parle aussi de la possibilité pour les policiers de riposter quand leurs vies sont en danger. Les règles de la légitime défense doivent-elles être modifiées ou adaptées à la nature des nouvelles menaces ?
Les différents partenaires du débat politique doivent se déterminer eu égard à la situation qui est sérieuse et qui réclame des réponses rapides. Cependant, il y a lieu aussi d’envisager la question de la sécurité dans son ensemble. Il y a des causes à l’insécurité qui ne seront pas éradiquées par le seul renforcement des mesures de police. On peut imaginer un développement de notre appareil de répression qui irait à l’unisson de celui de notre appareil pénitentiaire, un peu comme aux États-Unis. Nos amis américains n’ont-ils pas le taux d’incarcération le plus élevé du monde, plus élevé que celui de la Russie ou de la Chine ? Je ne crois pas que sur ce point, leur modèle soit vraiment enviable.
Bien sûr, il n’y a pas de solution clé en main. Comment éviter qu’une large part de notre vie sociale ne suscite des effets criminogènes ? Cela ne dépend pas d’abord d’un encadrement policier ou répressif, mais de ce que George Orwell appelait « la commune décence », c’est-à-dire la bonne santé morale d’une société, telle qu’elle se tisse et s’exprime dans les rapports de tous les jours : rapports familiaux, rapports de proximité, rapports associatifs, rapports religieux, rapports éducatifs. Comment recréer cette « commune décence » ? Il n’y aura pas de transformation immédiate, car il y faudra un long et difficile effort commun, dont le moteur et la fin s’appellent fraternité.