La civilisation de l'amour selon Paul VI - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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La civilisation de l’amour selon Paul VI

Esprit prophétique, Paul VI a annoncé, à Noël 1975, l’avènement d’une « civilisation de l’amour ». Théologien et sociologue ordonné prêtre par son successeur Jean-Paul II, Patrick de Laubier en publie une récapitulation magistrale, d’une utilité capitale aujourd’hui. En 1975, la préparation de cette « civilisation de l’amour » avait dû affronter des oppositions cruelles, et la vie de Paul VI s’est achevée sur un douloureux calvaire, au gouvernail d’une Église en proie tant aux tempêtes du monde extérieur qu’aux tourments d’une contestation interne nourrie de germes d’autodestruction. Aujourd'hui le programme de Paul VI semble être repris mot pour mot par son successeur le pape François avec, peut-être, plus de chance d'être compris, du moins à l'intérieur de l'Église. C'est du moins le pari qui justifie la parution de cet essai roboratif.
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Le futur Paul VI a été baptisé sous le nom de Jean-Baptiste Montini le jour du rappel à Dieu de Thèrèse de Lisieux, patronne des missions, qui disait « Dans l’Église, ma Mère, je serai l’Amour » Fils d’un avocat catholique directeur d’un journal chrétien-démocrate, élève des jésuites, il sera ordonné prêtre en mai 1920 malgré une santé fragile. Après un stage en 1923 à la nonciature de Varsovie et un séjour l’été 1924 à Paris où il perfectionna sa connaissance du français, il est entré à la Secrétairerie d’État à Rome à l’âge de 27 ans : juriste et diplomate, il y restera trente ans.

En 1925, sous le début du fascisme triomphant, le jeune Montini découvre l’œuvre du philosophe français Jacques Maritain, dont il deviendra l’ami, jusqu’à lui confier 40 ans plus tard les conclusions du Concile Vatican II pour les intellectuels du monde entier.

Dans une vaste récapitulation des grandes intuitions de Paul VI, travail dédié au pape François très attaché à son héritage, Don Patrick de Laubier resitue son action « dans cette formidable crise de la modernité à laquelle Jean-Baptiste Montini, pape moderne, était si bien préparé à faire face et qu’il assuma jusqu’au martyre ». Après avoir dirigé le plus grand des conciles et maintenu la barre de la Barque de Pierre de 1963 à 1978, « dans une des plus grandes tempêtes d’une histoire millénaire ». Comme l’a rappelé Jean-Paul II, Paul VI « a été un martyr incompris et calomnié », mais « fut toujours un phare lumineux pour tous les hommes ».

Patrick de Laubier considère que la civilisation de l’amour « a commencé avec le christianisme dès les premiers siècles au cœur de l’Empire romain ». Il évoque les trois premiers siècles du christianisme comme « une révolution chrétienne dans un immense empire gréco-romain livré à l’idolâtrie », où il fallut « que des martyrs versent leur sang pour fonder une civilisation nouvelle avec des racines chrétiennes », à travers 129 années de persécutions et 120 ans de paix de 64 à 313, date de l’édit de Milan de Constantin. Aujourd’hui, cette révolution chrétienne concerne le monde entier avec l’instauration de la « civilisation de l’amour », par opposition avec la « civilisation de mort » dénoncée par Jean-Paul II.
Dans sa lettre pastorale de février 1963 comme archevêque de Milan sur « le chrétien et le bien-être temporel », le cardinal Montini appelle à établir entre capital et travail « des liens non plus d’opposition ou de respect seulement, mais de collaboration et de solidarité ». Même s’il admet le bien de la prospérité, il pense que « seule la religion est à même de donner au fait économique son équilibre salutaire », d’où la nécessité de répondre au défi de la question sociale ! Examinant le critère central de l’amour du prochain, le futur Paul VI constate lucidement qu’ici le christianisme « apparaît à cet égard encore inachevé, et pour ainsi dire encore au début d’un nouveau et long chemin » Aujourd’hui, le pape François appelle à aborder les « périphéries existentielles » dans un esprit d’apostolat hérité de Paul VI.

En septembre 1963, devenu pape, « aujourd’hui en voie de béatification », il évoque la sainteté telle que le Concile peut la faire éclore : « Voici l’heure des laïcs ». Lors de son pèlerinage en Terre sainte en janvier 1964, signe prophétique de réconciliation des chrétiens, c’est la rencontre fraternelle du Patriarche orthodoxe Athénagoras au sommet du Mont des Oliviers et la fête de L’Épiphanie… Paul VI déclare : « Notre salut aujourd’hui ne peut connaître de limites ; il surmonte toutes les barrières et veut atteindre tous les hommes de bonne volonté ». Le 6 août, jour de la Transfiguration, il publie sa première encyclique, Ecclesiam Suam : Patrick de Laubier y voit « un vaste tableau de la Civilisation de l’amour ». Quatorze ans plus tard, le jour de la Transfiguration de 1978, Paul VI mourra « épuisé, sa tâche accomplie ». Après avoir présenté la Vierge Marie « Mère de l’Église » comme la réalisation de « l’idéal fascinant d’un christianisme plénier ».

En octobre 64, il part en Inde : de retour, il évoque devant les cardinaux « la catholicité de l’Église » dans « son immensité, ses horizons infinis, ses exigences jamais satisfaites ». Il y voit bientôt à la fois un reflet du « miracle des langues le jour de la Pentecôte », sachant que cette multiplicité doit être « encouragée et vivifiée ». Mais après cette expérience de ces nouveaux horizons de l’Église, il en conclut à Noël 1964 : « Les rapports entre les hommes sont tellement facilités et multipliés qu’ils doivent conduire à l’amour. Les distances sont tellement raccourcies et presque abolies, que l’amour doit devenir universel ».

En 1965, événement historique, Paul VI se rend au siège des Nations Unies, devant des représentants du monde entier, comme « expert en humanité » en tant qu’envoyé du Christ au service de la paix : il présente un programme d’action audacieux bâti sur les principes suivants, « les uns avec les autres, pas l’un au-dessus de l’autre, jamais plus les uns au-dessus des autres, les uns pour les autres, droits et devoirs de l’homme, construire sur des principes spirituels ». C’est une étape vers sa définition à venir de la « civilisation de l’amour », qui va s’inspirer de la « chrétienté profane » définie par Maritain comme devant succéder à la « chrétienté sacrale » disparue à la fin du Moyen-Âge.

Cependant, à peine le Concile Vatican II achevé, des difficultés internes se révèlent dans l’Église : Paul VI constate à la fois « une certaine intolérance » et un « esprit d’indiscipline », et récuse une fausse interprétation du Concile, disant : « Certains ont voulu y voir une modification radicale du rapport entre autorité et obéissance, une orientation pour ainsi dire horizontale de l’Église comme si la vie intérieure représentait une étape dépassée ».

Dès 1969 Paul VI dénonce le faux prophétisme de ceux qui « affirment des choses risquées, parfois inadmissibles et en appellent à l’Esprit Saint comme si le divin Paraclet était à leur disposition ». Puis il débusque « l’intention tacite de s’affranchir du magistère de l’Église qui bénéficie pourtant de l’assistance de l’Esprit Saint ». Patrick de Laubier compare ici le Pape Montini à « Élie face aux 450 prêtres de Baal ! » En 1974, il récuse « l’audace tapageuse de contestations injustifiées et souvent inattendues de la part de fidèles catholiques, parfois même de la part de ceux qui doivent enseigner la doctrine. Comme si le concile avait constitué pour l’histoire et la vie de l’Église une nouveauté telle qu’elle disqualifiait le passé », et « qu’elle autorisait une transformation des lois et des mœurs ».

En la fête des saints Pierre et Paul du 29 juin 1972, Paul VI a observé que « la fumée de Satan est entrée dans le peuple de Dieu », et fait cette constatation sans faux semblant : « On croyait qu’après le concile le soleil brillerait sur l’histoire de l’Église. Mais au lieu du soleil nous avons eu les nuages, la tempête, les ténèbres, la recherche, l’incertitude ».

En 1968, Humanae Vitae, une encyclique difficile à comprendre et à admettre mais prophétique, avait été très mal accueillie… Mais son but profond était à la fois de « protéger l’amour conjugal » et le fondement de la nature humaine. Sa démarche annonce à l’avance la « théologie du corps » de Jean-Paul II et le grand courant d’ « écologie humaine » qui se manifeste en Occident en ce moment même, et qui remet en cause toute une mentalité « contraceptive » hédoniste dans ses racines hélas abortives. L’intuition fondamentale de Paul VI est que l’industrie chimique ne saurait faire le bonheur de l’humanité en anéantissant des germes de vie…

Malgré les obstacles multipliés, Paul VI garde l’Espérance, disant en septembre 1968 : « Aujourd’hui où elle se purifie de toute contamination terrestre indue, l’Église annonce et donne au monde des énergies morales incomparables, une fraternité authentique et solidaire, la capacité de conquérir toute vérité et toute richesse de la création, la joie de vivre dans l’ordre et dans la liberté, dans l’unité et dans la paix ».

Invité par le Bureau international du travail, lors d’une messe en juin 1969 à Genève auprès du Conseil œcuménique des Églises (dont l’Église catholique ne faisait pas partie), Paul VI, non loin d’un retable représentant la pêche miraculeuse et l’apôtre Pierre secouru par le Christ, proclama que l’humanité « doit choisir entre l’amour et la haine », citant l’exemple de Nicolas de Flue, qui empêcha une guerre civile entre Suisses…

Paul VI se rend en Ouganda cet été 1969 : c’est la première fois qu’un Pape se rend en Afrique. Il y invite les Africains à être leurs propres missionnaires. En 1970, il ira aussi en Extrême-Orient, à Manille, parmi cinq millions de pèlerins.
La future « Civilisation de l’amour » ne peut être que chrétienne, explique-t-il dans son radio-message Noël 1969, car « un humanisme vrai sans le Christ n’existe pas », car « l’homme par lui-même ne sait pas qui il est. Il lui manque le prototype authentique de l’humanité », « le vrai Fils de l’homme – Fils de Dieu, modèle agissant de l’homme vrai. » Car « le véritable humanisme doit être chrétien ».

Partant de la complémentarité de l’idéal chrétien avec la loi naturelle, « une loi non écrite pas inscrite en nous », Paul VI définit l’histoire comme « un processus évolutif de l’humanité », guidé « par une pensée supérieure qui conduit toute chose vers un salut possible et libre » : c’est ici qu’il annonce la civilisation de l’amour, « au moment où certains osaient prendre leur propre aveuglement pour la mort de Dieu », dira-t-il en mai 1970.

En novembre 1968, évoquant le thème de la « mort de Dieu », une « triste prophétie qui ne nous fait pas peur », Paul VI y voyait l’écueil d’une « mort de l’homme » Dans « notre monde moderne qui établit sa domination sur les choses, mais en est lourdement l’esclave » Mais au nom du Christ, il affirmait le rôle de la conscience « qui n’est pas arbitre de la valeur morale des actions », mais « l’interprète d’une loi intérieure et supérieure qu’elle ne crée pas elle-même ».
Patrick de Laubier souligne que « la préparation immédiate à la proclamation de la « Civilisation de l’amour » est l’exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi sur l’évangélisation dans le monde moderne du 8 décembre 1975 », rapport de la 3e Assemblée générale du Synode des évêques. Paul VI précise que l’évangélisation n’est pas simplement un objectif d’extension géographique, mais consiste à « bouleverser par la force de l’Evangile les critères de jugement, les valeurs déterminantes, les points d’intérêt, les lignes de pensée, les sources inspiratrices et les modèles de vie de l’humanité qui sont en contraste avec la Parole de Dieu et le dessein du salut ».

C’est le jour de Noël 1975, dans l’homélie de clôture de l’Année sainte, que Paul VI évoque pour la première fois en termes explicites la « Civilisation de l’amour », avec cette définition : « La sagesse de l’amour fraternel, qui a caractérisé le cheminement historique de l’Église en s’épanouissant en vertuset en œuvres qui sont à juste titre qualifiées de chrétiennes, explosera avec une nouvelle fécondité, dans un bonheur triomphant, dans une vie sociale régénératrice. Ce n’est pas la haine, ce n’est pas la lutte, ce n’est pas l’avarice qui seront sa dialectique, mais l’amour, l’amour générateur d’amour, l’amour de l’homme pour l’homme ». Et il annonce que « la civilisation de l’amour l’emportera sur la fièvre des luttes sociales implacables et donnera au monde la transfiguration de l’humanité finalement chrétienne ».

Revenant sur ce thème en juin 1976 en la fête de Saint Jean-Baptiste, son saint patron, Paul VI évoque les tribulations alors traversées par l’Église, mais dit-il, de telles souffrances, « n’en est-il pas toujours résulté des fruits plus beaux et plus réconfortants, comme la maturation de la foi, la purification des esprits », ainsi qu’« une floraison de saints » ?

Pour le Pape, la « civilisation de l’amour » vient, qui « s’oppose à la contestation, au matérialisme et au conformisme qui est une conséquence de la peur », souligne Patrick de Laubier, qui observe que c’est « une réalité non pas utopique, mais surnaturelle ». Paul VI remarque en effet que « souvent, un humanisme bien intentionné, mais sans racines profondes, sans la garantie d’une motivation consistante et supérieure » découvrant « la présence du Christ », en reste « à un humanisme débile, incomplet, ambigu, purement formel, quand il n’est pas faussé ».

En revanche, la Civilisation de l’amour «  est peut-être sans défense, mais elle est invincible  », dira Paul VI peu avant sa mort en 1978. Patrick de Laubier la définit comme « un humanisme chrétien dont la force vient du Christ ». Le Pape la conçoit à la lumière de l’idéal évangélique des Béatitudes, des « paroles semées au milieu d’une société fondée sur la force, sur la puissance, sur la richesse, sur la violence, sur les abus », et qui « pouvaient être interprétées comme un programme de lâcheté, d’aboulie, indignes de l’homme », mais dont « les valeurs », vécues par « les pauvres d’esprit, les affligés, les pacifiques, les affamés, les assoiffés de justice, les miséricordieux, les gens au cœur pur, les artisans de paix, les persécutés, les insultés », des valeurs « que l’intelligence obtuse de l’homme méconnaissait et dédaignait » étaient en réalité « des instruments de rédemption, de libération et de salut ».

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