Quelle serait votre définition de la chasteté ?
Véronique Lévy : Commençons par une mise au point. La chasteté, ce n’est pas s’abstenir de relations sexuelles. C’est une définition fausse, dont on pourrait chercher l’origine du côté du catharisme et de la gnose, et qui peut déboucher sur une forme de détestation du corps qui n’a rien de chrétienne. Le christianisme est la religion de l’Incarnation ! « Votre corps est un sanctuaire de l’Esprit Saint, lui qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu », nous dit saint Paul. L’abstinence peut être une conséquence de la chasteté, bien sûr, mais elle ne s’y réduit pas. La chasteté est avant tout une grâce parce qu’elle est liée au don. Un homme et une femme mariés, qui s’aiment, peuvent avoir des rapports charnels et vivre dans la chasteté, à condition que leur regard l’un sur l’autre soit un regard d’amour. L’homme se donne à la femme. La femme se donne à l’homme. Et dans ce don de l’un à l’autre, de l’un par l’autre, et de l’un dans l’autre, dans cette connaissance véritable, on trouve la capacité à naître ensemble en Dieu.
C’est cela la chasteté : se recevoir l’un de l’autre de Dieu, que ce soit dans un rapport charnel comme dans l’abstinence. Un manque à la chasteté, c’est un manque à l’Amour divin et donc à l’amour humain.
Existe-t-il des abstinences qui ne sont pas chastes ?
Bien sûr, il y a toujours eu des hommes et des femmes qui veulent vivre l’abstinence à tout prix, mais qui, à la moindre stimulation, basculent dans la concupiscence. C’est par exemple le cas du héros du roman gothique de Matthew Gregory Lewis, Le Moine. Je songe aussi aux fameuses religieuses de Port-Royal dont on a dit qu’elles étaient « pures comme des anges, mais orgueilleuses comme des démons ». Il s’agit là d’une abstinence non concupiscente, qui se transforme en sécheresse de cœur, et qui dès lors s’éloigne de la chasteté véritable. La chasteté, ce n’est ni la sécheresse d’un orgueil luciférien, ni la concupiscence cadenassée.
Peut-on penser et vivre la chasteté sans passer par la Vierge Marie ?
Parce qu’elle est entièrement donnée, parce qu’elle est « tissée de grâce » comme l’écrit mon préfacier, Maxence Caron, dans son livre L’Insolent, Marie est le modèle indépassable de la chasteté.
Et si elle a pu se placer tout entière sous le regard de Dieu, si elle a su se rendre toute transparente sans rien garder pour elle, c’est parce qu’elle est immaculée. Personne ne peut donc imiter Marie à proprement parler, mais on peut la prendre chez nous comme le fit saint Jean, se glisser sous son manteau et l’accueillir comme une mère. Marie est comme la pleine lune reflétant totalement le soleil de l’union trinitaire, qui n’est qu’Amour et qui n’est que don.
La chute au jardin d’Éden est-elle intimement liée à la question de la chasteté ?
L’homme et la femme n’ont jamais été aussi chastes que quand ils étaient nus. Avant le péché, avant la rupture originelle, Adam et Ève étaient dans l’innocence, dans la chasteté absolue, puisqu’ils étaient totalement dans la mémoire de Dieu et dans son amour. Ils étaient nus et ils n’en avaient pas honte parce que leurs vêtements étaient la lumière divine. Ils n’étaient pas nus, finalement, car recouverts de cette lumière. Leur honte naît de la perte de leur chasteté, c’est-à-dire du changement de leur regard qui n’est plus dans le don mais dans la captation, dans la volonté de soumettre l’autre, dans un rapport de force, et finalement dans le crime et dans le viol.
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