Mes auditeurs seraient en droit de m’interroger : pourquoi faites-vous le silence sur l’Europe, alors que le sujet s’impose partout ? À cinq jours des élections au Parlement européen, vous n’en avez pas dit un mot. Quelle explication donner à cette étrange réserve ? Je pourrais répondre trop facilement que l’Europe étant partout interrogée, disséquée, louée, magnifiée, dénigrée, je ne vois aucun motif sérieux d’opposer ma voix au concert ou à la cacophonie. Plus sérieusement, je répugne souvent à traiter dans cette chronique de querelles proprement politiques, n’ayant nul rôle à jouer en tant que recruteur électoral. Cela ne veut pas dire que je me désintéresse de quelque façon de la question européenne et que je n’ai pas aussi mon avis sur les problèmes âprement disputés. Mais je laisse à d’autres le soin d’intervenir dans la mêlée.
Cependant, il est un aspect qui me semble absent des préoccupations actuelles, c’est l’Europe elle-même. J’entends par là sa chair vivante, son déploiement géographique, ses différentes aires culturelles. C’est pourquoi les débats actuels paraissent souvent abstraits, même s’ils sont légitimes. Nous n’avons de l’Europe qu’une représentation institutionnelle ou économique. Et c’est un peu dommage. Lorsque je lis des personnages notoires du XIXe siècle, comme Tocqueville, Mme de Staël, Montalembert et bien d’autres, j’ai le sentiment qu’ils avaient une connaissance beaucoup plus précise que nous des réalités du continent et qu’ils étaient beaucoup plus passionnés que nous par ce qui se déroulait à Berlin, à Varsovie, à Madrid ou à Lisbonne. C’est sans doute que voulant penser notre continent sur le mode de l’unité, nous n’entrevoyons que des coordonnées statistiques et les recommandations de Bruxelles.
Je pourrais indiquer comme contrepoison la lecture d’un philosophe un peu étrange, qui s’appelait Hermann von Keyserling et qui voulant penser l’Europe de la première partie du XXe siècle, commençait par étudier toutes ses caractéristiques nationales afin de déduire en quoi il pourrait bien y avoir un esprit européen. Mais il y faudrait la patience de la lecture et la distance des grands horizons.
Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 21 mai 2014.
Pour aller plus loin :
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