Monsieur de Mazières, maire de Versailles, est orfèvre en matière d’art. Lorsqu’on est premier magistrat de la ville royale, on a – du moins je me l’imagine – une appétence directe pour les grands monuments et l’ensemble de notre patrimoine artistique. Avouerai-je que j’ai été singulièrement troublé, lorsque j’ai appris qu’il organisait une exposition autour d’une maquette de la cathédrale de Laon. Je connais cette ville merveilleuse et sa cathédrale depuis l’enfance, étant né dans le département de l’Aisne, très exactement en Thiérache, à une cinquantaine de kilomètres de la colline de Laon. Je suis venu à diverses reprises à la préfecture de l’Aisne pour des événements importants de mon existence. J’y ai passé mon brevet en troisième et mes bachos plus tard dans le lycée de la ville qui jouxtait un autre magnifique bâtiment religieux médiéval, l’église Saint-Martin. C’est dire que je ne pense jamais sans quelque nostalgie à cette ville à la situation exceptionnelle, avec cette colline couronnée que l’on aperçoit parfois à une trentaine de kilomètres et plus. Le grand écrivain allemand Ernst Jünger raconte dans son Journal avec quelle admiration il fit connaissance de la cathédrale, lorsqu’il entra dans la ville haute en 1940. Il est vrai qu’il n’avait pas la mentalité d’un conquérant.
Le département de l’Aisne est d’une exceptionnelle richesse architecturale. Il compte trois cathédrales, si on ajoute à celles de Laon et de Soissons (où réside Mgr Giraud, l’évêque du diocèse), la basilique de Saint-Quentin qui en a l’ampleur et l’allure. Par ailleurs, des dizaines d’églises romanes sont implantées dans les villages du Laonnois et du Soissonnais. Et il faut compter aussi sur la quarantaine d’églises fortifiées de ma Thiérache, que l’on trouve dans les vallées où s’engouffraient autrefois les troupes d’invasion. On n’avait rien trouvé de mieux que de fortifier les églises pour protéger les populations qui pouvaient tenir ainsi de véritables sièges, en se servant du système de défense et en puisant à l’eau du puits qu’on avait eu la précaution de creuser dans l’édifice.
J’ai toujours considéré comme une chance d’habiter une région aussi riche en patrimoine religieux. Hélas, je n’ai plus guère le loisir de revenir à mes paysages d’enfance et à tous ces lieux terriblement marqués par les guerres. Je pense au Chemin des dames, qui était la voie royale d’accès à la ville des sacres et où se trouvent depuis les combats de la première guerre mondiale tant de nécropoles militaires ! Et puis l’Aisne, c’est aussi la patrie de Racine, de La Fontaine et de Claudel !
J’ose espérer qu’un tel patrimoine est, pour les enfants des nouvelles générations, l’occasion d’ouvrir grands les yeux sur la richesse symbolique qu’il contient. Comment a-t-on pu dresser vers le ciel de telles pures merveilles ? Notre-Dame de Laon, qui accueille ses enfants à son portail central, dans la splendeur de cet édifice aux cinq tours majestueuses, est-elle reconnue pour ce qu’elle est ? La chante-t-on avec Claudel « comme la femme à la grâce enfin restituée » ? C’est en tout cas mon vœu le plus cher alors que l’on a la chance de pouvoir redécouvrir Laon avec les yeux neufs des enfants d’aujourd’hui.