Dieu vous aime, mais, quant à mère Nature, ce n’est pas si sûr. J’ai lu cet apophtegme sur le blog (Maggie’s Farm) de yankees un peu spéciaux que je visite de temps en temps pour me remonter le moral. Un blog qui s’amuse à narguer les «grincheux, les pinailleurs, le gouvernement, les bonnes âmes, les obsédés du contrôle et les idiots. »
Laissez-moi leur tirer mon chapeau avant de poursuivre.
Comme chacun sait, je suis Canadien, mais de la Nouvelle-Écosse du côté de ma mère. Les habitants de cette province (bien que loyaux sujets de la Couronne) se considéraient comme des yankees il y a encore deux ou trois générations. Ils se sentaient en quelque sorte proches de leurs concitoyens émigrés dans les Etats du Nord de la Nouvelle-Angleterre (Boston States).
Peut-être est-ce pour cette raison que l’expression « yankee loyaliste » me titille. Mais laissons de côté l’adjectif et concentrons-nous brièvement sur le substantif « yankee ».
Grâce à Robert Frost et à ses nombreux prédécesseurs (poètes ou autres), je connais les forces et les faiblesses de cette espèce. Mais ce sont les forces qui m’intéressent pour le moment.
Ces spécimens se caractérisent par un certain esprit d’indépendance mal dégrossi qui dépasse la simple politique et s’exprime avec un laconisme pince-sans-rire que rien au monde ne peut vaincre. Impossible de réduire ces gens-là en esclavage. N’attendez nulle coopération de leur part.
Nous devrions rallumer cette flamme. Nous allons en avoir besoin dans l’Eglise catholique. Nous avons déjà besoin de gens capables de défier l’esprit du temps et de l’envoyer paître.
Le billet en question sur le blog résumait l’opinion d’un certain « professeur de philosophie ou docteur ». J’apprécie cet anonymat et l’absence de tout lien.
C’est le véritable esprit yankee qui s’exprime ainsi.
L’auteur déclare que la maladie est un phénomène normal et naturel. C’est l’absence de maladies qui a récemment rendu nos vies un peu anormales. Car, normalement, il y a deux siècles, la moitié des lecteurs de ce texte seraient déjà morts. La plupart d’entre eux seraient morts jeunes : il n’y a pas eu d’augmentation de « l’espérance de vie », si ce n’est au niveau des statistiques. Il y a toujours eu des personnes qui vivaient jusqu’à un âge très avancé et d’autres qui mouraient jeunes.
Quand nous contemplons le monde de la nature et que nous voyons tous ces animaux en bonne santé, nous en déduisons qu’il est naturel que nous soyons en bonne santé nous aussi. Mais c’est un mauvais raisonnement. Dans le monde de la nature, dès qu’un animal faiblit, il est mangé. (Ne vous fiez jamais aux statistiques).
L’article se termine par une observation sur la « santé mentale ». L’auteur note qu’on « ne peut même pas la définir ».
Avouez-le, avouez-le, gentil lecteur ! … Ne vous sentez-vous pas déjà réconforté ?
Ce n’est pas la première fois que je suis tenté d’affirmer qu’une parfaite santé peut être contre-indiquée. C’est une réflexion que je me fais fréquemment quand je marche sur les sentiers qui longent le lac Ontario ou dans les beaux ravins de Toronto.
Un jogger me dépasse à toute allure dans sa tenue en lastex, avec ses oreillettes, tel un robot hypersophistiqué, troublant ma paisible promenade.
Ma première réaction est de l’affronter. Mais je me rappelle qu’il y a des lois qui interdisent ce comportement.
Par ailleurs, les hôpitaux ne sont pas très gais non plus. Les malades sont tous parqués dans un seul lieu. Et en plus, il y a maintenant ces « professionnels de la santé » qui vont et viennent affublés de drôles de pyjamas. Leurs jugements sont sans appel. A mon avis, un grand nombre de leurs clients sont séquestrés contre leur gré. Je peux presque les entendre murmurer « Ecoutez, je suis malade, laissez-moi tranquille ».
Je me souviens des réflexions d’un vieil ami à présent décédé (mais qui avait déjà soixante-dix ans). Lui rendant visite à l’hôpital, je lui demandai comment il s’était retrouvé là. Nous savions tous les deux qu’il était totalement opposé à ce type d’endroit.
« J’étais juste allongé là dans la rue, sans faire de mal à personne, et voilà ces imbéciles qui s’amènent et me mettent sur un brancard ».
Un ami originaire du Connecticut, je voulais que vous le sachiez. Un bon yankee du Connecticut, comparaissant devant le tribunal du Roi Hygiène.
L’idée qu’on « doit » être en bonne santé, même si ce n’est pas le cas, est un élément très perturbant pour la pensée normale. C’est peut-être même l’un de ces handicaps que notre saint Père appelle une « idéologie ».
Ce que je prêche aujourd’hui n’est pas une idéologie. Faites-moi confiance à ce sujet. La mauvaise santé n’est pas non plus une religion, à la différence de la bonne santé. Mon opinion est la suivante : prenez les choses comme elles viennent et faites preuve d’indépendance. Le but de la vie n’est pas de préparer des cadavres agréables à voir.
Maintenant que nous avons dépassé la Septuagésime et entrons dans les jours gras avant d’aborder bientôt le Carême, je peux avancer un autre argument. Il est bien de décider de faire pénitence, de sacrifier quelques plaisirs en préparation de la gloire de Pâques. Soyez discret, ne vous en vantez pas.
Mais c’est mieux encore d’appartenir à cette élite que Dieu voue à la pénitence. C’est-à-dire presque toutes les personnes âgées, tous les malades, tous les handicapés et invalides. Nous avons peut-être tous droit à la vie, mais devrions aussi avoir droit à une bonne mort, ce qui implique le droit de ne pas être parqués avec d’autres quand nous essayons d’y parvenir. Ou de ne pas être brusqués à cause de la pénurie de lits dans les maisons de santé.
Je suis encore une personne à mobilité intacte, comme je l’ai indiqué en évoquant mes promenades, mais il vient toujours un temps où l’on doit se calmer. La mobilité peut être une idole. En plus des joggers, aujourd’hui à Toronto, on risque la collision avec des cyclistes roulant sur les trottoirs. Mais il y a pire : ces vieux qui foncent sur leurs fauteuils roulants superpuissants ;
Parce que chacun a perdu la capacité de demeurer en repos chez soi, nous avons cette nouvelle génération de vieillards délinquants. Vous ne pouvez pas les raisonner. Si je puis dans une certaine mesure comprendre leur désir d’écraser les jeunes, ils devraient quand même observer un minimum de politesse.
Si vous avez envie de vous donner du mouvement, achetez-vous un fauteuil à bascule. C’est ce qu’a fait ma grand-mère Annie qui est restée pleine d’entrain jusqu’à la fin. Mais pas vraiment mobile, bien sûr.
Adoptez un bon vieux principe yankee. Envoyez au diable ce culte de la gymnastique et des régimes, et la culpabilité qu’ils entraînent : toute cette religion gaspillée. Si vous êtes sur terre, c’est par la grâce de Dieu, et si vous faites le bien, vous aurez votre place au paradis. Priez pour cela !
Vendredi 6 février 2015
Illustration : Les trois âges de la vie, et la mort, par Hans Baldung Grien, 1510 (Kunsthistorisches Museum, Vienne).
David Warren est un ancien rédacteur du magazine Idler et un chroniqueur du Ottawa Citizen. Il connaît très bien le Proche et le Moyen-Orient.
L’adresse de son blog, Essays in Idleness, est davidwarrenonline.com.