Tous les étés depuis 1996, je prononce des conférences lors des « Ministères du Sommet » à Manitou Springs, Colorado, au pied de Pike’s Peak. Ce sont des camps de deux semaines pour de jeunes chrétiens de 16 à 22 ans, garçons et filles. Au cours de ces deux semaines, les étudiants écoutent des conférences de professeurs tels que moi, pratiquent une grande variété d’activités physiques (par exemple de la bicyclette ou d’autres sports), prient, lisent les Ecritures et se retrouvent en petits groupes avec d’autres étudiants. C’est une véritable opération et je suis honoré d’y avoir part. Cet été, j’ai déjà parlé à trois des sessions de deux semaines, et il me reste encore deux participations en août.
L’une de mes allocutions, « Les cinq dogmes du campus », conférence que je prononce là-bas depuis trois ans, traite des sortes d’hypothèses – plutôt que des croyances explicites – qu’un étudiant chrétien est susceptible de rencontrer mais pas nécessairement de discerner, en fréquentant une faculté ou une université laïque. Ainsi, ce dont nous parlons ne sont pas des critiques directes de la foi chrétienne mais des hypothèses philosophiques qui contournent souvent les facultés critiques et affaiblissent la foi de manière subtile.
Ce que je préfère dans cette conférence est qu’elle m’offre la possibilité d’introduire les étudiants aux joies du raisonnement philosophique et de leur dire pourquoi de grands esprits chrétiens à travers l’histoire – y compris St Augustin, St Anselme, St Bonaventure, St Thomas d’Aquin, C.S. Lewis, le pape St Jean-Paul II et Alvin Plantinga – ont vu (et voient) dans cette entreprise une manière de penser qui est à la fois agréable et stimulante pour leur explication de l’Evangile.
L’un des cinq dogmes du campus que nous examinons est la croyance que
« tout ce qui existe est le monde physique ». Souvent appelée matérialisme, c’est la façon de voir qui dit que tout dans l’univers – y compris vous, moi, le chien, le banc du parc et la planète Jupiter – est finalement réductible à de la matière.
Je ne propose pas aux étudiants une critique conventionnelle, telle qu’un argument cosmologique de l’existence de Dieu qui, en cas de succès, montre qu’il existe une existence nécessaire, transcendante et non-physique sur laquelle existe toute réalité contingente, et que le matérialisme est donc confondu. Plutôt que de montrer l’univers en dehors d’eux, ce que je fais est de viser l’univers en eux, en montrant que ce qu’ils tiennent pour acquis à propos de leurs vies mentales est apparemment inexplicable dans le matérialisme. Parmi les nombreux exemples que je propose se trouve une belle argumentation offerte par le Frère dominicain Thomas Crean, trouvée dans le livre « God in No Delusion : A Refutation of Richard Dawkins » (« Dieu n’est pas une illusion : une réfutation de Richard Dawkins »)
Le plus intriguant des nombreux arguments présentés par Frère Crean commence par cette question : « Quel est l’ultime : l’esprit ou la matière ? ».
Tout d’abord, il nous demande de considérer des vérités nécessaires. Quelles sont-elles ? Il écrit : « Quelque chose qui ne dépend pas du hasard ni du choix humain mais qui doit être » comme « la proposition que la circonférence d’un cercle est égale à deux fois son rayon multiplié par π. »
Ensuite, il y a plusieurs choses que l’on peut dire sur cette proposition :
Elle ne dépend pas du monde matériel. Le Frère Crean explique : « les choses matérielles sont sujettes de cette loi, elles ne la créent pas. La coupe circulaire d’un tronc d’arbre n’est pas la cause de ce que la circonférence de n’importe quel cercle est égale à 2πr. »
Il conclut donc : « les vérités nécessaires sont indépendantes de l’objet matériel qu’elles gouvernent. S’il n’avait jamais existé d’univers matériel, il aurait néanmoins été vrai que la circonférence de tout cercle possible fût égale à deux fois son propre rayon multiplié par π. »
Mais si une vérité nécessaire ne dépend pas de l’univers matériel, où se trouve-t-elle si l’univers matériel n’existe pas ? Dans un esprit, puisque c’est un objet abstrait et que les objets abstraits nécessitent un esprit.
« Donc, écrit Frère Crean, si nous sommes d’accord que certaines choses sont vraies indépendamment des choses matérielles, nous devons admettre qu’il existe au moins un esprit indépendamment des choses matérielles. »
Un autre dogme que j’explicite est cette affirmation : « du fait de la puissance explicative de l’évolution darwinienne sur la comptabilisation des changements biologiques dans le temps, il n’est plus intellectuellement respectable de croire que la conception apparente de l’univers puisse être attribuée à Dieu. » Comme je le souligne pour les étudiants, le problème de cette façon de voir est qu’elle considère l’action divine comme en compétition avec les théories scientifiques.
Ainsi, si une théorie, comme l’évolution darwinienne, peut rendre compte de la complexité croissante des organismes biologiques, Dieu est superflu.
Malheureusement, certains chrétiens font confiance à cette vision erronée de l’action divine et abandonnent finalement leur foi, puisque le « Dieu » auquel ils croient « existe » à la merci de l’impuissance scientifique. Pour citer Hulk dans le film récent Avengers : « Dieu chétif » (merci à Ed Feser de m’avoir fourni cette citation).
Selon la vue classique de Dieu – celle que comprenaient à peu près tous les chrétiens, juifs et musulmans sérieux jusqu’à très récemment – l’intelligibilité de l’univers dans son ensemble requiert Son existence. Donc, l’évolution darwinienne ne peut jamais, en principe, supplanter la puissance créatrice de Dieu, puisque la réalité contingente elle-même, y compris le schéma darwinien dans sa totalité, désigne quelque chose au-delà d’elle-même. Pensez à ceci : toutes les théories scientifiques – même celles qui font appel au hasard – présupposent un ordre. Par exemple, la sélection naturelle, le moteur de l’évolution darwinienne, ne peut pas démarrer sans des lois préexistantes et l’effort apparent des organismes vers une fin naturelle.
Depuis pas mal de temps, mon approche des étudiants du Sommet est formée par les mots de C.S. Lewis : « Etre ignorant et simple maintenant – ne pas pouvoir rencontrer les ennemis sur leur propre terrain – reviendrait à baisser les armes et à trahir nos frères sans instruction qui n’ont, à part Dieu, aucune autre défense que nous contre les attaques intellectuelles des païens. La bonne philosophie doit exister, si même il n’y a pas d’autre raison, parce qu’il faut répondre à la mauvaise.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/good-philosophy-answering-bad.html
Vendredi 1er août 2014
Francis J. Beckwith est professeur de philosophie et d’études Eglise-Etat à l’Université Baylor.