L'un des Douze - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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L’un des Douze

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Ce dimanche, nous faisions mémoire du Dimanche des Rameaux, de l’entrée triomphante de Jésus à Jérusalem, ce court laps de temps avant qu’Il soit trahi. Chaque Evangile met en évidence que celui qui a trahi Notre Seigneur était l’un de Ses plus proches amis. Au commencement de la vie publique de Notre Seigneur, quand Il appelle les Apôtres, Judas est déjà épinglé comme « celui qui trahirait ». (Luc 6:16 ; Matthieu 10:4 ; Marc 3:19). Dans le récit de sa rencontre avec les chefs des prêtres, il est « un des Douze ». (Matthieu 26:14 ; Marc 14:10 ; Luc 22:3). Dans l’Evangile de Jean, c’est le Seigneur Lui-même qui fait cette observation : « ‘ne vous ai-je pas choisis, vous les Douze, et l’un de vous est un démon’. Il parlait de Judas, le fils de Simon Iscariote, car lui, l’un des Douze, allait Le trahir. » (Jean 6:70-71)

Dans un sens, cette mention répétée, « l’un des Douze », présente un simple fait historique. Jésus n’a pas seulement été mis à mort par Ses ennemis, il a été trahi par l’un des Siens. Cependant, dans un sens plus profond, ces mots délivrent un avertissement à tous ceux qui suivent le Christ – même aux plus proches. Judas a été en compagnie du Seigneur durant les mêmes trois années que les autres Apôtres. Avec eux, il a entendu les sermons, été témoin des miracles et a été envoyé par le Christ. Et pourtant il a trahi Notre Seigneur. Nous ne devrions jamais nous croire hors d’atteinte de la turpitude de Judas. Etre proche de Jésus ne signifie pas être intime avec Lui.

Il est donc salutaire d’examiner l’exemple négatif de Judas. Non en vue de le condamner à nouveau à tous égards ou pour ressentir notre propre supériorité. Non, plutôt avec une certaine empathie, conscient que nous oeuvrons soumis à la même faiblesse humaine et que nous sommes comme lui capables de graves péchés, de trahison. Que trouvons-nous donc dans le traître que nous puissions également trouver en nous ?

Il y a d’abord l’échec de Judas à persévérer dans la conversion. Notre Seigneur l’a choisi exactement comme Il a choisi Pierre et Jean. Il ne l’a pas fait à contrecœur ou par la force des choses. Quand Notre Seigneur nomme Judas « ami » dans le Jardin de Gethsémani (Matthieu 26:50), Il ne le fait pas par ironie ou sarcasme. A un certain point, la conversion de Judas semble avoir chancelé. Peut-être par simple paresse. Peut-être un enseignement qu’il ne pouvait admettre. Jean laisse entendre que le discours sur le Pain de Vie avait mené Judas à sa perte – d’où la référence du Seigneur à « un démon » en parlant de lui à la fin du discours.

Ou peut-être que Judas s’est senti trahi par le Seigneur. Il avait peut-être des attentes à propos du Messie que Jésus ne remplissait pas – des prévisions de gloire et de pouvoir difficilement compatibles avec les références répétées au Fils de l’Homme souffrant, rejeté et mis à mort. Durant trois ans, il avait suivi ce rabbi, et la gloire anticipée n’était pas venue. Il s’impatientait face aux discours du Seigneur sur la souffrance. A cet égard, Romano Guardini observe : « qu’il ne soit pas parti mais soit resté comme l’un des Douze a été le début de sa trahison. Pourquoi est-il resté, nous n’en savons rien. Peut-être qu’il espérait toujours en son for intérieur s’en accommoder, ou il voulait au moins voir comment les choses allaient tourner – à moins qu’il n’ait déjà rêvé de profiter de la situation. » (« Le Seigneur : méditations sur la personne et la vie de Jésus-Christ »)

Ce qui nous amène au point suivant : l’avidité de Judas. Judas a objecté à l’onction d’un parfum coûteux pratiquée par Marie sur Jésus non par souci des pauvres mais « parce qu’il était un voleur, comme il tenait la bourse, il avait coutume de prendre ce qu’on y mettait. » (Jean 12:6) L’avidité est rapace. Ce n’est pas tant la possession que le contrôle – avoir de tels moyens à notre disposition que nous n’ayons plus besoin d’être reliés aux autres, ni même à Dieu. C’est du « pratique » dans le pire sens du mot. Et Judas était un homme éminemment pratique. De fait, une théorie est qu’il prévoyait l’échec prochain de Notre Seigneur et espérait s’installer politiquement et financièrement par sa trahison. Une considération tout ce qu’il y a de plus pratique.

En outre, il semble y avoir une superficialité chez Judas, une tendance à voir seulement le côté matériel des choses (ce qui n’est guère surprenant chez un homme pratique). Lors de la Cène, Notre Seigneur dit à Ses Apôtres : « en vérité, je vous le dis, l’un de vous me trahira. » Ils Lui demandent l’un après l’autre : « est-ce moi, Seigneur ? » A l’exception de Judas. Lui demande : « est-ce moi, Rabbi ? » Les autres voyaient en Jésus le Seigneur. Lui ne Le voyait que comme un rabbi, un maître.

Bien sûr, un maître a de l’importance. Mais on n’adore pas un maître, un enseignant. Ses paroles peuvent être puissantes, elles peuvent même peut-être changer la vie. Mais en définitive, elles ne sont qu’humaines, limitées par la sagesse du monde et le temps lui-même. Les paroles de Jésus perdurent : « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. (Matthieu 24:35) Judas ne semble pas s’être rendu compte de la profondeur des paroles de Notre Seigneur ni s’être confié à leur autorité. Elles étaient peut-être pour lui intéressantes et représentant un défi, mais elles ne faisaient pas autorité. N’est-ce pas ce que nous entendons si souvent de nos jours à leur sujet ?

Finalement, et malheureusement, Judas manque à se repentir. Nul doute qu’il a des remords de ce qu’il a fait. Et ce n’est pas rien. Dans un coin de son cœur, il porte toujours une certaine affection à Jésus. Mais notez cela : il ne retourne pas vers Jésus mais vers les chefs des prêtres – vers ses complices. Devant eux, il reconnaît son péché. Judas ne manifeste pas de la repentance mais du regret. Repentant, nous nous tournons vers le Bon Dieu, vers le Sauveur, vers Celui qui est Miséricorde. Dans Sa lumière, nous rejetons le péché. Regrettant, nous nous centrons sur nous, nous repliant sur nous-mêmes et nous fermant à la réconciliation et à la guérison qui ne viennent que de Dieu seul.

Durant la Semaine Sainte, nous voudrions être davantage comme Jean, qui se tenait fidèlement au pied de la Croix, ou comme Marie-Madeleine, qui a veillé dans l’affliction au Calvaire. Mais ce serait nous donner trop de crédit. C’est l’heure de penser, non à nos forces, mais à nos faiblesses. Ce n’est pas le moment de regarder Judas d’un œil désapprobateur mais de prendre conscience que nous partageons avec lui la même nature humaine blessée.

Comme Judas, nous échouons à persévérer dans notre conversion. Nous nous contentons de piété au lieu de briguer la sainteté. Nous tournons bride si les choses deviennent difficiles et échouons à approfondir notre dévotion. Nous pouvons même nous sentir trahis par le Seigneur – si Il n’a pas répondu à une prière de la façon souhaitée ou si Il ne satisfait pas les imaginations que nous nous faisons à Son sujet.

Comme Judas, nous essayons de nous emparer de certaines choses – l’argent, les biens, le pouvoir. En un mot, de prendre le contrôle, essayant de tenir à distance notre dépendance à Dieu. Comme Judas, nous tendons à la superficialité, faisant de notre foi uniquement une question de sagesse humaine, d’idées intéressantes, de confort psychologique plutôt qu’une rencontre avec le Verbe fait chair. Nous adoptons une vision mondaine de la religion plutôt que d’adopter l’esprit du Christ.

Par suite, nous ne nous fions pas à Ses paroles comme nous devrions : « si vous ne devenez pas comme de petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux… Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui… Demandez, et il vous sera donné ; cherchez et vous trouverez, frappez et on vous ouvrira.. ce que vous faites à l’un des plus petits de ceux qui sont mes frères, c’est à moi que vous le faites. »

Et plus que tout, nous échouons à approfondir notre repentance. Nous éprouvons du regret, mais égoïstement, parce que nos péchés nous font paraître mauvais. Pour toutes ces défaillances et péchés, le Seigneur nous octroie maintenant l’opportunité d’une vraie repentance. « Voyez, voici maintenant le temps favorable, voyez, voici le jour du salut. » (2 Corinthiens 6:2)

Le père Paul Scalia est un prêtre du diocèse d’Arlington (Virginie), où il est vicaire épiscopal pour le clergé.

Illustration : « le baiser de Judas », par Giotto [chapelle Scrovegni, Padoue, Italie]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/04/09/one-of-the-twelve/