Nous vivons une époque étonnante, et par certains côtés, passionnante. L’incandescence des discussions n’affecte pas seulement le forum officiel, elle se répand sur ce qu’on appelle les réseaux sociaux et jusqu’aux conversations de la vie quotidienne. C’est sans doute que nous sommes en situation sismique. Les plaques tectoniques de notre culture se déplacent et nous nous trouvons en équilibre instable. Nous avons parfois l’impression que le sol se dérobe sous nos pas. Certains philosophes et sociologues détectent une sorte d’état de crise permanent qui affecte tous les aspects de la vie sociale. Hannah Arendt se préoccupait déjà de ces ruptures « qui font que ce monde est toujours déjà hors de ses gonds ou sur le point d’en sortir ».
Il me semble que Jacques Attali est un assez bon repère de cet état de crise, qu’il théorise et qui semble lui donner une vraie jubilation : de chronique en chronique, il nous annonce un jour la disparition de la différence des sexes comme une excellente nouvelle, le lendemain la mutation du mariage qui expulse l’Église catholique (et les autres religions) de l’espace qui était le sien, le surlendemain la disparition des fêtes chrétiennes comme une nécessité pour préparer une autre culture vraiment laïque. Du coup, les twitteurs s’en donnent à cœur joie, en le pressant d’aller jusqu’au bout de sa révolution culturelle. Pourquoi ne pas raser les cathédrales et toutes les Églises qui constituent autant d’agressions insupportables au regard laïque ? Et puis il faudra ensuite débaptiser les noms de rue, les noms des villages et jusqu’aux dénominations de nos plus grands crus viticoles. Pensez « Saint Émilion » ! Quel anachronisme insupportable ! Il est plus que temps de trinquer au citoyen Émilion…
Galéjades ? Sans doute, mais qui ne sont nullement gratuites. Il y a des précédents dans l’histoire. Notamment la révolution culturelle de l’an II, qui, en quelques semaines, procéda à la déchristianisation du pays avec l’abolition de tous les signes religieux. Il y eut aussi la révolution culturelle chinoise sous Mao Tse Toung, très admirée par une intelligentsia en folie et qui se solda par un bain de sang. Jacques Attali se veut un révolutionnaire très pacifique. Mais ne poursuit-il pas des buts assez identiques à ses prédécesseurs ? Faut-il comprendre que ce que les totalitarismes d’hier n’ont pas réussi à perpétrer, l’ultra-libéralisme d’aujourd’hui le réaliserait dans un climat très « soft », applaudi par une opinion conquise au meilleur des mondes enfin advenu ?