De cette campagne électorale qui va encore durer quinze jours au-delà des éliminatoires du premier tour, il nous faudra bien tirer quelques leçons. Je parle ici des chrétiens particulièrement engagés, qui ont tenté d’incarner leurs exigences propres dans des choix qui n’étaient pas évidents. C’est surtout la conjoncture, au sens fort du terme, qui commande nos réflexions et nos préférences pour un programme ou pour un candidat. Et cette conjoncture est à la fois économique et sociétale. Le sociétal a souvent pâti de la prédominance de l’économie dans une Europe déstabilisée. Mais nous nous trouverons dès demain devant des échéances redoutables. Le bouleversement anthropologique que signifiera l’extension du mariage civil aux couples homosexuels va requérir de notre part une riposte stratégique qu’il faudra mûrir. De même la transgression de l’interdit du meurtre dans le cas du suicide assisté constituera un ébranlement moral qu’il nous faudra parer dans le cadre d’un affrontement philosophique majeur.
Mais mon sentiment est qu’il nous faudra aller plus loin encore, et je suis poussé à ouvrir les horizons, à la relecture d’un petit livre tout à fait essentiel qu’écrivit le cardinal Jean Daniélou, peu de temps avant sa mort, en 1974. Les éditions du Cerf ont eu l’heureuse initiative de rééditer L’oraison problème politique et je ne saurais trop conseiller sa lecture en une période d’intenses remises en question. J’en citerai simplement quelques lignes : « Il n’y a pas de civilisation qui ne soit religieuse. Inversement, une religion de masse n’est possible que soutenue par la civilisation. Or, il nous semble qu’aujourd’hui, trop de chrétiens acceptent la juxtaposition d’une religion personnelle et d’une société laïque. Une telle conception est ruineuse tant pour la société que pour la religion. »
Voilà des propos qui détonnent aujourd’hui, où même les chrétiens se raccrochent au mot de laïcité comme à un talisman susceptible de régler tous les problèmes et en admettant implicitement qu’il convient de séparer radicalement la politique qui relèverait d’un domaine commun laïque et la religion qui relèverait de la seule conscience privée. Daniélou nous assène que c’est une erreur fondamentale, car si la laïcité donne une indépendance souhaitable à l’État, elle ne répond en rien à l’inspiration nécessaire qui soulève une civilisation et donne des raisons de vivre aux masses populaires. N’y aurait-il pas de révisions déchirantes à envisager, celles que proposent aujourd’hui un mouvement comme radical orthodoxy ?
Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 19 avril 2012.
Pour aller plus loin :
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