J’ai eu récemment le privilège de visiter la Havane, à Cuba. Je ne serai probablement pas autorisé à y retourner pour des raisons qui vont rapidement être claires. Pendant que j’étais là-bas, quelqu’un m’a envoyé un courriel pour me dire : « Tu as aujourd’hui sur ‘The Catholic Thing’ un article sur le cléricalisme. » Quand j’ai enfin trouvé un accès à internet, j’ai découvert que « The Catholic Thing » est bloqué par le gouvernement de Cuba. Vous ne pouvez pas le lire là-bas.
Quand j’ai mentionné ce fait à Robert Royal, il m’a dit qu’il était allé à Cuba quand Jean-Paul II l’a visité et qu’il avait ensuite écrit un article critique pour le gouvernement. Il n’a plus jamais obtenu depuis un visa pour y retourner. « Sois très prudent » m’a-t-il conseillé.
J’ai trouvé le peuple cubain constamment gentil et généreux, toujours désireux de vous donner des indications ou de vous aider à trouver votre chemin. La Havane est une ville étonnante avec tant de maisons qui sont des bijoux architecturaux, il est difficile de croire qu’elles existent toutes dans une seule ville. Les architectes et décorateurs spécialisés en architecture classique auraient à la Havane du travail haut de gamme pour les occuper les quarante prochaines années. Cependant, la raison pour laquelle les architectes et les décorateurs traditionnels auraient tant de travail à Cuba est que le gouvernement n’a fait absolument rien en soixante ans pour conserver l’héritage architectural. La ville de la Havane s’effondre littéralement. De magnifiques maisons avec des colonnes corinthiennes majestueuses et des couloirs de marbres sont maintenant des immeubles délabrés avec des planchers et des piliers effondrés. La plus grand partie des propriétés de front de mer le long du Malecon, la magnifique esplanade de front de mer de la Havane, donne l’impression d’avoir traversé une guerre. Mais ce n’est pas la guerre qui a causé cette destruction. Ce sont soixante années de règlement autoritaire d’un gouvernement marxiste proclamant être « pour le peuple » et « pour les travailleurs ».
C’est un concept intéressant, sachant que le seul nouveau bâtiment que nous ayons visité, un luxueux hôtel de front de mer, a été financé par l’armée cubaine, dessiné par une firme française et construit par des travailleurs importés d’Inde – dans le grand « paradis des travailleurs » que la révolution cubaine était censée apporter.
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Un immeuble de la Havane : la plupart des Cubains sont forcés de vivre dans ces conditions.
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Un arrêt touristique intéressant est la maison que Che Guevara, l’homme qu’on voit sur tous ces T-shirts, a reçue pour y vivre après la révolution. C’est une grande maison, au sommet de la colline, dominant la cité depuis l’autre côté du port. Che ne vivait pas en bas parmi le « commun du peuple ». Il les toisait de haut.
Et les histoires ! Le père d’un homme qui traitait des infrastructures publiques fut appelé un jour à rencontrer le nouveau ministre de l’Industrie. Comme la plupart des Cubains, il s’habillait habituellement d’une légère chemise, sans cravate, en raison de la chaleur. Mais puisqu’il allait rencontrer le nouveau ministre, il a mis une veste et une cravate, en signe de respect. Quand il est entré dans le bureau, il a vu un Argentin assis derrière un bureau, dans un treillis vert de l’armée, fumant un cigare, ses pieds nus sur le bureau, ce que le Cubain trouva répugnant et irrespectueux. Le nouveau ministre jeta un bref coup d’œil à l’homme et son costume et dit : « Vous êtes bourgeois. Vous avez trois choix : quitter le pays d’ici une semaine, rester et être jeté en prison ou être fusillé ». Il a quitté le pays.
A Cuba, vous apprenez beaucoup de choses sur la vie sous un gouvernement totalitaire. Il n’y a pas la place de tout détailler ici, mais beaucoup sont des choses auxquelles vous pouviez vous attendre. « La vie à Cuba » comme me l’a dit un employeur cubain qui recrute de vrais travailleurs cubains, « est… » – et là il a fait une pause, cherchant le mot adapté – « difficile ».
Mais j’ai également appris une chose à laquelle je ne m’attendais pas. Les films et les émissions de télévision font que vous vous attendez à ce que les gouvernements tyranniques forcent le peuple à être puritainement conservateur, réprimé, opprimé. A ma grande surprise, ce que j’ai découvert à Cuba est que le style de vie libéral et bohème et l’art d’avant-garde peuvent coexister fort confortablement sous un régime autoritaire.
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Plan général sur la ville, montrant l’état de décrépitude des bâtiments.
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Les Cubaines sont tout le contraire de « collets montés ». Et la musique et l’art cubains sont superbes. La Havane peut bien avoir des maisons croulantes, les clubs et les bars sont pleins de vie. Le soir, les parcs sont pleins de gens fixant d’un œil vide des écrans lumineux de téléphones portables, profitant du service internet public que le gouvernement a installé dans la ville.
Notre groupe prenait chaque jour le repas de midi dans un parador, un des restaurants privés qui pullulent à la Havane et que le gouvernement ne cherche plus à fermer parce qu’il a besoin des dollars des touristes. Chaque jour, à la télévision, il y avait une émission appelée « Cuban Clips », qui montrait des vidéos de musique cubaine. Il semble qu’il y en ait beaucoup, et comme toutes les vidéos de musique, elles sont pleines de jeunes gens habillés à la dernière mode, conduisant les plus belles voitures, dansant dans les rues, dans un bar, sur la plage, aucune scène ne durant plus de deux secondes et le chanteur principal s’agitant devant la caméra comme le font tous les chanteurs dans les vidéos musicales.
Regarder de jeunes Cubains dans un club, tournoyant durant des heures sur des vidéos de musique cubaine et américaine (la file d’attente pour entrer faisant le tour du pâté de maisons) m’a fait me demander si Marx, s’il vivait encore aujourd’hui, pourrait avoir à repenser son commentaire sur la religion opium des peuples. Une estimation honnête voudrait qu’actuellement ce sont les vidéos musicales qui sont l’opium des peuples.
Encore une fois, étant donné les problèmes de drogue en Amérique et ailleurs, peut-être que nous devrions dire que la drogue est l’opium des peuples – l’opium, l’alcool, les vidéos musicales, les clubs « bohèmes » où des gamins peuvent danser toute la nuit – et que toutes préoccupations qu’ils auraient pu avoir pour le bien commun de la société s’en sont allées.
Le gouvernement cubain se moque que vous vous habilliez sensuellement, que vous buviez plus que de raison, que vous uriniez dans les rues, que vous pratiquiez un art indécent ou que vous utilisiez des filles à moitié nues peintes en bleu dans vos vidéos musicales, aussi longtemps que vous ne vous opposez pas au gouvernement. Et quand vous êtes très occupés à faire la fête, danser, être un rebelle bohème dans votre T-shirt Che, c’est le cas.
Randall B. Smith est professeur de théologie (chaire Scanlan) à l’université Saint Thomas de Houston. Illustration : La ville était autrefois un joyau étincelant. Les maisons de cette qualité ne sont pas rares, mais peu sont dans cet état de conservation. Deuxième photo : un immeuble de la Havane : la plupart des Cubains sont forcés de vivre dans ces conditions. Troisième photo : plan général sur la ville, montrant l’état de décrépitude des bâtiments. Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/03/27/the-opiate-of-the-masses/
Randall B. Smith est professeur de théologie (chaire Scanlan) à l’université Saint Thomas de Houston. Illustration : La ville était autrefois un joyau étincelant. Les maisons de cette qualité ne sont pas rares, mais peu sont dans cet état de conservation. Deuxième photo : un immeuble de la Havane : la plupart des Cubains sont forcés de vivre dans ces conditions. Troisième photo : plan général sur la ville, montrant l’état de décrépitude des bâtiments. Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/03/27/the-opiate-of-the-masses/