Je suggère parfois à des convertis d’imprimer l’histoire de leur conversion sur un bloc-notes afin d’en détacher une feuille pour la remettre à ceux qui la demandent. Austin Ruse et David Warren ont récemment publié les beaux récits de leur histoire, tous deux ayant à la fois la qualité d’être fascinants et de tenir dans le format d’une feuille de bloc-notes.
Mais ils ont ranimé mon envie envers ceux dont l’histoire est intéressante.
Ma propre conversion a duré aussi longtemps, mais fut bien plus banale, peut-être compatible avec quelqu’un ayant passé son existence pré-catholique comme militaire. Je garde un souvenir extraordinaire de l’expérience vécue comme pilote, commandant, instructeur — et bien d’autres activités dans l’Armée de l’air. Mais bien qu’étant une partie du chemin, ces activités ne font pas vraiment la matière d’une histoire nette et concise d’entrée dans l’Église catholique Romaine.
On trouve des points communs entre mon histoire et celles d’Austin et David. Comme pour Austin, mon séjour à Paris a joué un grand rôle, alors que je ne fumais pas de cigares de La Havane dans les cafés. William F. Buckley ne m’a envoyé aucun ouvrage de Chesterton, mais son propre livre, « Nearer, My God » [Plus près, mon Dieu] qui m’a fortement influencé. Il n’y avait pas de super-prêtres à ma recherche pour me dispenser une formation, mais un aumônier, jésuite calme et solide, vint un soir dîner à ma table sur la base aérienne d’Incirlik, en Turquie, et, quelques années plus tard, un vicaire paroissial merveilleusement orthodoxe et pieux à Washington m’offrit des leçons particulières, me consacrant un temps dont pourtant il ne disposait guère.
Comme pour David, séjourner en Angleterre m’a marqué fortement, avec les liturgies anglicane et épiscopalienne. Tous deux avons vécu en Asie dans notre jeunesse, ce qui ouvre aux Occidentaux un monde totalement étranger. Nos activités professionnelles étaient fort différentes, mais nous sommes entrés en l’Église au cours du même mois — bien des années avant que je connaisse sa formation exceptionnelle d’autodidacte et sa perception des réalités et de l’ampleur du désastre qui nous entoure, et de la grâce du Christ avec la promesse de la vie éternelle « sans commune mesure avec ce qui se passe dans le monde ».
Assez d’admiration pour ces convertis, mes collègues de « The Catholic Thing ». J’évoque ces points communs et différences parce qu’ils prouvent le bien-fondé de la réponse du Cardinal Ratzinger à la question « Combien y a-t-il de voies vers Dieu ? » : « autant qu’il y a d’hommes.», répondit-il, sans la moindre atteinte à la vérité de l’Église.
Pour certains, le mot « convertir » est contestable. Mon dictionnaire propose plusieurs sens à ce verbe, y-compris sa signification religieuse, mais aussi « transformer en une autre forme, substance, etc.; transformer et adapter, adapter pour un nouveau ou différent usage. » Tant qu’on se rappelle que la conversion est un événement pour toute la vie, renouvelé chaque jour et s’appliquant à la vie quotidienne qui nous entoure, c’est une bonne définition de l’entrée au sein de l’Église.
La conversion se produisant au fil du temps, un autre mot entre en scène: inversion. En tant que converti, je suis souvent frappé par la réponse à la prière « Seigneur, faites que je voie » qui se résume au renversement de nos vues et de nos attentes.
Les Écritures sont remplies d’inversions. Un peuple improbable de descendants d’un nomade inspiré par Dieu, esclaves des Égyptiens, est choisi au-dessus de tous autres pour une alliance avec Dieu. David, le plus jeune, petit bonhomme, est vainqueur du géant, et devient roi. Job tombe de l’opulence à la pauvreté, puis recouvre la richesse. Le Psaume 7: « le voici en travail de malice, il a conçu la peine, il enfante le mécompte… sa peine reviendra sur sa tête, sa violence lui retombera sur le crâne.»
On peut lire la quasi-totalité du Nouveau testament comme un récit d’inversion. Cieu renverse les attentes, il vient non pas comme un riche et puissant souverain, mais comme un pauvre petit enfant qui se fera serviteur. Les derniers seront les premiers. Les Béatitudes sont une liste d’inversions: « Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, car le Royaume des Cieux est à eux » (Mt 5;3). Les situations terrestres de Lazare et du riche sont irrévocablement inversées dans l’au-delà. Les humbles prières du publicain sont bienvenues, contrairement à celles du hautain et ostentatoirement pieux Pharisien. Les inversions se succèdent ainsi de suite.
La plus frappante inversion est celle de la Croix, de pire instrument d’exécution ignominieuse et de défaite, elle est la plus haute voie vers la vie éternelle et le triomphe: «qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera.»
Donc, conversion et inversion vont de pair. Comme la conversion prend forme, on se rend mieux compte qu’on avait vu le monde la tête en bas, à-peu-près toujours.
Pilote, j’ai souvent pratiqué le vol dos, en faisant de la voltige ou en pratiquant des manœuvres de chasse. C’était souvent enthousiasmant, mais quel soulagement de se retrouver en vol normal. D’une certaine façon, inverser la conversion, c’est comme revenir en bonne posture après un long moment la tête en bas.
Cette idée inversion-conversion semble paradoxale et, telle quelle, Chesterton — un converti célèbre, maître du paradoxe — l’explique dans sa « Vie de St. François »:
« La transition de l’homme bon vers la sainteté est une sorte de révolution; tout ce qui pour quelqu’un illustre et illumine Dieu devient pour lui illustration et illumination de toutes choses par Dieu . . . . Pour l’un la joie de vivre est cause de foi, pour l’autre, elle provient de la foi. Mais la différence a pour effet que le sens d’une divine dépendance se traduit pour l’artiste par l’éblouissement de l’éclair et, pour le saint, comme la grande lumière du jour.»
La tête en bas / les pieds sur terre – indépendance de l’affranchi / joyeuse dépendance d’un fils de Dieu. Ainsi peut-on voir l’inversion pour un converti.
— –
Joseph Wood enseigne à l’Institut de Politique étrangère à Washington.
— –
Tableau : Les premiers seront les derniers – James Tissot, vers 1891.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/the-inversion-of-conversion.html