Je ne connais personne – pas une seule personne – qui ne soit troublée par le spectacle de l’incivilité actuellement en cours dans la politique nationale de l’Amérique. Cela ne veut pas dire que beaucoup de personnes de l’un ou l’autre côté (et il y a beaucoup plus de deux « factions ») ne se croient pas justifiées de blâmer l’autre camp. Pourtant la phrase que j’entends le plus souvent est : « Malheur aux deux partis ! »
Il est peut-être un peu réconfortant de se rappeler la tendance de la politique du dix-neuvième siècle comme, par exemple, pendant l’élection de 1800, la bataille tumultueuse et vitriolique entre deux « saints » fondateurs, Adams versus Jefferson. Le publiciste de Jefferson, James T. Callender, appelait le président Adams (ancien ami de Jefferson) « personnage hermaphrodite hideux » et débauché par surcroît. Du côté d’Adams (sans son approbation expresse toutefois), le journal New England Courant prétendait que dans l’Amérique de Jefferson, « Le meurtre, le viol, l’adultère et l’inceste seront ouvertement enseignés et pratiqués »
Après la victoire de Jefferson, Callender s’est retourné contre lui (quand aucun travail de parrainage ne lui était offert) et exposa l’affaire Sally-Hemings 1, et Abigail Adams écrivit aigrement à Jefferson que « le serpent que vous avez chéri et réchauffé a mordu la main qui le nourrissait. » Avec de telles vipères en liberté, reprochait-elle au président, « toutes les distinctions entre le vice et la vertu disparaissent, tout respect pour le caractère est perdu. »
Nous le savons si bien !
Alors, on peut être tenté de dire : Il en a toujours été ainsi. Mais ce n’est pas vrai.
Il est probable que chacun d’entre nous (d’un certain âge) peut se rappeler avoir soit dit soit entendu dire au cours des dernières décennies, (version antérieure au commentaire « malheur » ci-dessus) qu’il n’y a tout simplement pas de différence entre les Démocrates et les Républicains. Depuis la deuxième Guerre Mondiale et au moins jusqu’à l’affaire du Watergate2 ils se ressemblent comme bonnet blanc et blanc bonnet, Rosencrantz et Guildenstern.
Considérez ces citations :
Notre nation est entrée dans une ère dans laquelle la Divine Providence a permis au génie de l’homme…
C’est notre espoir et notre prière que les citoyens que nous avons si fidèlement servis, renouvelleront notre mandat afin que nous puissions poursuivre notre service et que Dieu Tout Puissant nous accorde la sagesse pour réussir…
La calomnie, la diffamation, la tromperie et la malhonnêteté sont vraiment des transgressions des commandements de Dieu, lorsqu’elles sont commises par des hommes de la vie publique, comme elles le sont pour tous les autres hommes. . .
La source ? La plate-forme du Parti démocrate en 1952.
Et que dire de ce petit bijou lapidaire ?
Nous soutenons que le gouvernement, et ceux à qui le gouvernement a été confié, devraient montrer un haut exemple d’honnêteté, de justice, et de dévouement désintéressé pour le bien public; qu’ils devraient travailler à maintenir le calme dans le pays et la paix et l’amitié avec toutes les nations du monde.
Vous l’avez deviné, c’est la plate-forme du GOP (Parti Républicain) de 1952. Et huit ans plus tard, bien que des différences philosophiques soient apparentes – les plates-formes sont presque interchangeables – tellement que le GOP renonçant à tout sectarisme, note que : « Nous n’avons aucun désir d’exagérer les différences entre nous et le Parti Démocrate.» Et cela parce qu’il n’y avait pas beaucoup de différences.
Et c’était une bonne chose, en ce sens que cela encourageait la civilité et un sens délibéré d’objectifs communs. Alors, qu’est-ce qui a changé ?
Faites votre choix : La guerre du Vietnam et l’arrivée de la Gauche intellectuelle, Watergate, Roe contre Wade 3, la crise des otages en Iran, et le malaise de Carter, Reagan (un homme civil qui embrouillait ses adversaires), la mise en accusation de Clinton, Bush contre Gore 4, le déclin de la foi, et – curieusement – 9/115, qui a brièvement été unificateur.
Il n’est pas exagéré maintenant de dire que bonnet blanc et blanc bonnet s’affrontent, ni qu’il est plus que certain que si le GOP regagne la présidence tout en contrôlant une chambre du Congrès, les Démocrates adopteront les mêmes positions d’obstruction qu’ils identifient maintenant comme fausseté républicaine.
Il est juste de dire que cela affaiblit la position de l’Amérique dans le monde. Nous sentons tous cela, mais ce n’est pas seulement une question passagère due à l’inconséquence courante de M. Obama. Un président républicain est susceptible d’être tout aussi faible puisque ses électeurs n’ont plus le genre de confiance dans les dirigeants qui permet d’approuver une action mondiale avec quelque chose qui ressemble à un consensus démocratique.
C’est probablement également vrai de la politique domestique ambitieuse.
Comme Arthur Schlesinger Jr. l’a dit une fois en raillant, ce que nous avons maintenant, c’est : « Trop de pluribus, et pas assez d’unum. » “6
Alors les gens veulent de nouveaux partis politiques de philosophie libertaire ou de conservatisme religieux, ou de socialisme ou d’isolationnisme. Le Collège Electoral, i.e. la Constitution rendra toujours un troisième, quatrième (ou n’importe quelle quantité) de partis impraticable dans la politique présidentielle américaine (chaque élection décidée à la Chambre ?) mais ces clairons pensent que l’unité est maintenant une illusion et que tout ce qui reste est un genre de guérilla politique. Aucun terrain d’entente. Pas de bien commun.
Est-ce l’héritage du multiculturalisme ?
Voici une formule à examiner : le multiculturalisme = la déculturation = le déséquilibre = la désintégration.
Tourne et tourne dans la spirale toujours plus large. . . Cette ligne et le titre de cette colonne proviennent de W.B Yeats The Second Coming, (La seconde venue) un poème devenu plus prophétique chaque année depuis qu’il l’a écrit en 1919.
Et je ne peux pas m’empêcher de me demander si ce genre d’analyse, la mienne et non celle de Yeats, n’est pas ce que le Pape François offre dans le contexte du Catholicisme et du monde. Il nous rappelle la mission fondamentale de l’Église, qui est d’apporter l’amour du Christ au monde.
La mission de l’Amérique est différente, bien sûr : c’est « de former une union plus parfaite, d’établir la justice, de garantir la tranquillité domestique, d’assurer la défense commune, de promouvoir le bien-être général, et de garantir les bienfaits de la liberté pour nous-mêmes et notre postérité. » Mais nous pouvons peut-être tous convenir que nous ne réussirons que si nous retrouvons au moins un minimum de civilité.
Ce rétablissement dépend du degré de déculturation déjà atteint.
Illustration : Alice discute la politique (illustration de Sir John Tenniel, 1871)
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/indignant-desert-birds.html
Pour aller plus loin :
- Sally Hemings était une esclave métissée qui appartenait à Thomas Jefferson. Elle a eu six enfants dont on pense que Jefferson était le père. (NDT)
- Watergate est un scandale politique des années 70 aux Etats-Unis à la suite duquel le Président républicain, Nixon, a dû démissionner. (NDT)
- Roe v. Wade: 410 U.S. 113 (1973) décision importante de la Cour Suprême des Etats-Unis au sujet de l’avortement. (NDT)
- Bush v. Gore : En 2000, la Cour Suprême a décidé que c’était Bush qui avait gagné les élections et non Gore. (NDT)
- Le 11 septembre 2001, deux avions piratés par des terroristes se sont écrasés sur les Tours Jumelles du World Trade Center (Centre Mondial de Commerce) à New York, et un autre sur le Pentagon (siège du Ministère de la Défense des Etats-Unis.) (NDT)
- E pluribus unum” est une devise inscrite sur le sceau des Etats-Unis. Elle signifie que la nation est une, tout en étant formée de nombreuses différentes personnes