L’IMPOSSIBLE REGARD FROID - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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L’IMPOSSIBLE REGARD FROID

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Quand on regarde l’Histoire d’un œil froid, il faut admettre qu’elle ne prend pas de gants. Comme disait Taine, c’est un coupe-gorge et un mauvais lieu, ce qui se dit en français contemporain d’un mot plus bref1. Elle ne prend pas de gants : guerres, massacres, déportations, peuples en esclavage, famines, épidémies, villes rasées, cultures sombrant sans laisser de traces. Est-ce à dire que l’Histoire occulte la Providence ? Qu’elle la réfute, comme croyait Voltaire ? Elle l’atteste. L’Histoire prolonge la Préhistoire et à travers les générations toujours monte dans le même but, vers la pensée, l’esprit. Ad augusta per angusta, vers les hauteurs par les sentiers étroits, vers le sacré par l’angoisse. C’est ce qu’il est difficile d’apercevoir en une brève vie, mais notre vie n’est pas la mesure du temps. Parfois un éclair nous brûle les yeux, comme l’apparition des Falachas. D’où viennent-ils avec leur peau noire du ciel équatorial, avec leur mémoire d’un judaïsme d’où tout ce qui s’est passé depuis Salomon semble absent ? Les voilà débarquant en Israël, « portés » selon la promesse d’Isaïe, « par les ailes de l’aigle ». – Un homme est passé, raconte l’un d’eux. Il m’a dit : monte vers le Nord, tu trouveras Israël. On croirait entendre Abraham. Et un autre, avant de baiser le sol : – Suis-je à Sion ? Il y est. Ils y sont. Ou plutôt le tiers d’entre eux. Les deux autres tiers mourront, vendus pour un scoop journalistique. Il fallait, n’est-ce pas, être le premier à le dire. Voilà pourquoi deux sur trois meurent en ce moment dans le désert. Caïn qu’as-tu fait de ton frère ? Il n’y a pas en Israël que des journalistes israéliens. Souhaitons que l’auteur de la fuite ne soit pas israélien2. [|*|] Pendant ce temps les deux Grands parlent Apocalypse à Genève3. J’écoute attentivement, la nuit, radio Moscou sur les ondes courtes4. Dans toutes les langues on y dénonce la folle et cruelle Amérique qui veut porter la guerre dans l’espace. L’espace pacifique des savants sous la botte du soudard américain enragé à dominer le monde par la terreur. Voilà ce qu’on entend sans cesse présentement sur radio Moscou, avec l’expression inlassablement répétée de « guerre des étoiles ». Que les armes étudiées par les Américains soient (et ne peuvent techniquement qu’être) défensives, qu’il s’agisse d’armes antiarmes destinées à périmer une fois pour toutes l’apocalypse atomique5, cela Moscou jamais ne le dit. Il est vrai qu’ici les voix autorisées ne nous l’expliquent guère davantage : notre force de frappe aussi risquerait d’être périmée, ainsi que l’anglaise et la chinoise. Mais la France, l’Angleterre, la Chine accueilleraient avec soulagement la mise au rancart de toutes les armes. L’URSS voudra-t-elle un jour, d’accord avec les grandes puissances, détruire toutes les armes et ouvrir ses frontières intérieures, ne serait-ce qu’aux journalistes occidentaux ? Ce jour-là serait miraculeux. Portons sur cette éventualité un regard froid. Dans son œuvre gigantesque où vit l’Union soviétique toute entière, Zinoviev ne cesse depuis sept ou huit ans de répéter quelques idées si simples et paradoxales que, tout en admirant son génie littéraire, personne ne veut l’entendre. Voici quelques-unes de ces idées simples et paradoxales. − En URSS (Zinoviev ne parle pas des autres pays communistes) le parti communiste n’est en aucune façon un « parti », ce mot renvoyant par définition à un « tout » extérieur auquel le parti s’opposerait. Il est au contraire l’expression d’une forme de société, il est sa caste dirigeante. − La société soviétique a été créée par le peuple soviétique lui-même, dans le sang et les larmes, au temps de Staline. Tout soviétique actuel, fût-il dissident, persécuté et désespéré, est un « fils de Staline ». Staline est le produit naturel du mouvement social naturel appelé « stalinisme » et non le contraire. Le même stalinisme, ou un autre pire, se serait produit sans Staline. Le « stalinisme » est le seul « communisme » existant et le seul possible, comme le montrent tous les autres régimes communistes du monde, sans exception. − Croire que l’URSS pourrait rejeter son régime n’est pas seulement illusoire. C’est dangereux. La société soviétique ne peut, en ce siècle et pour un temps indéterminé que produire le régime qu’elle a, parce qu’il est sa fidèle expression. Si le « parti » actuel était détruit, ou s’effondrait, la société existante, elle-même effondrée, ne pourrait que recommencer son chemin de croix jalonné de toutes les horreurs d’un autre stalinisme. Une des raisons pour lesquelles Zinoviev est mal vu des autres émigrés est d’ailleurs son insistance sarcastique à montrer qu’aussitôt en Occident ceux-ci se hâtent d’y reproduire une inoffensive caricature de ce qu’ils ont fui (s’il est médisant, soyons juste : il ne s’épargne pas lui-même). − La société soviétique est abominable et ressentie comme telle par tout citoyen soviétique. Mais tout citoyen soviétique participe néanmoins avec ardeur à son maintien et à sa perpétuation, parce qu’elle ne lui demande aucun effort, seulement une suite ininterrompue de petites et grandes lâchetés (ici Zinoviev rejoint quelque peu Soljénitsyne6). L’ennui des Soviétiques dans la geôle qu’ils ont créée et qu’ils entretiennent avec fatalisme est si désespéré, affirme Zinoviev, qu’ils accueilleraient l’ordre d’envahir l’Occident comme un horrible divertissement : « On ira leur montrer qui on est, les gars, dit un de ses personnages en se frottant les mains : un tas de cochons ». Zinoviev est (à mon avis et à bien d’autres) le plus formidable écrivain de ce temps7. Cervantes, Rabelais, Swift sont les noms à qui l’on pense en lisant Les Hauteurs béantes et L’Antichambre du Paradis (a). Dit-il vrai ? J’espère du moins que les négociateurs occidentaux de Genève l’ont lu. S’il est vrai, ce n’est peut-être pas la paix du monde que l’on négocie à Genève. Ce n’est peut-être que la Paix du Parti communiste d’Union Soviétique, du PCUS, cyniquement : « Laissez-moi me dévorer moi-même et ma faim s’apaisera ». Je dis « peut-être », mais Zinoviev lui-même n’en croit rien. Le crétinisme politicien est à ses yeux une sorte de constante universelle, trompettant ici, bêlant là, partout grandiose. « Rentrerez-vous en Union soviétique ? » lui demande la radio. « Pourquoi rentrer, dit-il, elle viendra ». Et de rire avec un tranquille désespoir. Mais tout n’est pas perdu, Alexandre. Aimé MICHEL (a) Alexandre Zinoviev: Les Hauteurs béantes et L’antichambre du Paradis (Editions l’Age d’Homme, Lausanne). Zinoviev est sans égal dans ces deux énormes livres8. La Maison jaune, encore plus énorme (deux volumes, environ 1.000 pages, même éditeur) souffre, hélas, d’erreurs de ponctuation insupportables, surtout dans le deuxième volume. Pourquoi l’éditeur bâcle-t-il une bonne traduction ? Ces trois livres écrits à Moscou. Depuis qu’il est en Occident, Zinoviev semble frappé du mal d’étrangeté. Il écrit, mais obscurément, obsédé par un passé qu’il exècre, peut-être par la solitude. Qu’il sache que ses millions de lecteurs le respectent, l’admirent et l’aiment. Chronique n° 396 parue dans F.C. – N° 1989 – 1er février 1985 [|Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png|]
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 27 juin 2016

 

  1. C’est dans le chapitre premier du cinquième livre des Origines de la France contemporaine, intitulé « l’Église » que se trouvent ces lignes si souvent citées de Taine sur le christianisme : « On ne peut pas évaluer l’apport du christianisme dans nos sociétés modernes, ce qu’il y a introduit de pudeur, de douceur et de respect du prochain, ce qu’il y maintient d’honnêteté, de bonne foi et de justice. Ni la raison philosophique, ni la culture artistique et littéraire, aucun code, aucune administration, aucun gouvernement ne suffit à le remplacer dans ce service. « Il est encore, pour quatre cents millions de créatures humaines, la grande paire d’ailes indispensables pour soulever l’homme au-dessus de lui-même, au-dessus de sa vie rampante et de ses horizons bornés, pour le conduire à travers la patience, la résignation et l’espérance, jusqu’à la sérénité, pour l’emporter par delà la tempérance, la pureté et la bonté jusqu’au dévouement et au sacrifice… Toujours et partout, depuis dix-huit cents ans, sitôt que ces ailes défaillent, ou qu’on les casse, les mœurs publiques et privées se dégradent. La société devient un coupe-gorge ou un mauvais lieu… » Hippolyte Taine (1828-1893) fut l’un des maîtres à penser de la France durant le dernier tiers du XIXe siècle et le premier du XXe. Dès sa jeunesse à l’École Normale il ambitionnait de gagner à la méthode scientifique des domaines qui ne lui appartiennent pas encore, comme la morale, la sociologie ou l’histoire, et à trouver dans la science une foi propre à remplacer la religion. Les Origines, récemment rééditées (coll. Bouquins, Laffont, Paris, 2011), furent son œuvre la plus importante ; il y travailla pendant plus de vingt ans, à partir de 1870, mais mourut avant de pouvoir l’achever. Esprit conservateur, teinté de pessimisme (« Quel cimetière que l’histoire ! »), il se place dans une perspective longue pour étudier les causes de la Révolution française ; il se montre hostile à celle-ci, dénonçant la Terreur mais attaquant aussi les droits de l’homme et la souveraineté du peuple ; pour autant il n’est pas d’extrême-droite, n’est pas favorable au rétablissement de la monarchie mais souhaite un régime parlementaire à l’anglaise. Il montre combien la France a souffert de son esprit abstrait et rationnel à l’excès, qui la pousse à détruire pour tout rebâtir au lieu de procéder par corrections progressives.
  2. Les Falachas (« émigrés » en langue guèze, leur langue liturgique qui est aussi celle des chrétiens d’Éthiopie et d’Érythrée), qui s’appellent eux-mêmes Beta Israël, sont les Juifs d’Abyssinie, Noirs aux traits fins. Ils adoptent le judaïsme aux environs de l’ère chrétienne. Du IVe au XVIIe siècle, ils forment un état indépendant qui compte jusqu’à un demi-million d’habitants. En 1616, ils perdent leur indépendance, sont intégrés à l’Empire abyssin puis persécutés au point que leur population tombe à moins de 30 000 au milieu du XXe siècle. Le principe d’un transfert en Israël est adopté par Menahem Begin en 1977 et repris par ses successeurs. Les Israéliens négocient secrètement avec les autorités éthiopiennes et soudanaises. Dans ces deux pays la famine sévit en raison de la sécheresse, de l’économie marxiste (Éthiopie) et de la guerre civile (Soudan) ; elle fera 300 000 morts. Les Falachas, réfugiés au Soudan dans des camps frontaliers de fortune, attendent la mort. L’Opération Moïse est alors déclenchée en novembre et décembre 1984, financée par Israël et la diaspora américaine et canadienne. Les Falachas sont transportés à Khartoum et de là les Boeing 707 d’une compagnie belge les emportent à Tel Aviv via Bruxelles à raison de plusieurs centaines par jour ; 6500 personnes seront ainsi sauvées. Des morts-vivants, squelettiques et hagards, baisent la terre d’Israël… Les « fuites » qu’évoque Aimé Michel proviennent du Jewish Week, hebdomadaire new-yorkais, fin novembre 1984, puis du New York Times ; elles conduiront le Soudan à interrompre l’opération. En 1990, le gouvernement éthiopien, qui ne peut plus bénéficier du soutien soviétique et souhaite se concilier les États-Unis, laisse 6 000 Falachas émigrer vers Israël. En 1991, suite à l’effondrement du régime communiste et grâce aux pressions américaines, 14 300 Falachas, qui ont gagné Addis-Abeba pour fuir la guerre civile dans leur région d’origine, sont évacués en deux jours par les avions d’El Al lors de l’Opération Salomon. Israël considère que presque tous les Juifs d’Éthiopie ont été évacués, mais le problème des « Falash Mura » demeure. Ceux-ci ont quitté les communautés Beta Israël depuis plusieurs générations, mais soit nient leur conversion au christianisme, soit l’attribuent à une contrainte. Depuis 1990, Israël autorise leur émigration à raison de 200 ou 300 par mois, selon les années. L’immigration de la dizaine de milliers restant doit s’achever en 2020. Cependant le gouvernement israélien ne leur donne pas automatiquement la nationalité israélienne et favorise leur conversion au judaïsme orthodoxe. Aujourd’hui, plus d’une centaine de milliers de personnes d’origine éthiopienne vivent en Israël, y compris leurs descendants nés dans le pays. L’intégration des nouveaux arrivants s’est avérée très difficile en raison du « choc culturel » éprouvé au contact d’une société citadine par ces ruraux sans formation, ne parlant pas hébreu et aux habitudes alimentaires et traditions religieuses très différentes. Les jeunes se sont intégrés en s’identifiant aux Noirs américains, rompant ainsi avec leur propre tradition. En outre, les discriminations dont ils sont l’objet, évoquées dans le film Va, vis et deviens (2005) de Radu Mihaileanu, conduisent à la formation de ghettos urbains. Leur situation est bien décrite dans l’article « Falashas » de Wikipédia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Falashas). Les Falachas qui ont sauvé leur vie sont en train de perdre leur âme et l’humanité, une part de sa diversité.
  3. Les négociations de Genève dont il est question ici sont celles ouvertes par la « crise des euromissiles ». Cette crise commence en 1977 lorsque les Soviétiques installent en Europe de l’Est des missiles à moyenne portée pointés sur l’Europe de l’Ouest. La tension monte et atteint son apogée en 1983 avec l’annonce par les États-Unis d’un projet dit de « Guerre des Étoiles » en mars et des incidents graves comme la destruction d’un avion civil coréen par les chasseurs soviétiques en août 1983. Malgré les manifestations pacifistes d’octobre 1983, les États-Unis et l’OTAN répliquent en installant des missiles en Europe de l’Ouest en novembre. À ce moment l’Europe a le triste privilège de la plus forte concentration de missiles nucléaires jamais réunie sur cette planète. Les Soviétiques répondent en se retirant des négociations de Genève sur la limitation des armements. Elles reprennent en mars de l’année suivante à Vienne et surtout à partir de mars 1985 avec l’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev et sa rencontre avec Ronald Reagan à Genève en novembre 1985. Les négociations n’aboutissent qu’à la fin de 1987 et se traduisent dans les mois suivants par le démantèlement des euromissiles tant soviétiques (SS20) qu’américains (Pershing) installés en Europe. Sur cette crise qui aura duré dix ans, voir aussi la chronique n° 382, Après le vote du Bundestag sur les Pershing, même la terreur s’évente – Un épisode clé de la guerre froide : la crise des euromissiles de 1983, 24.08.2015.
  4. Aimé Michel écoutait Radio-Moscou le jour aussi, du moins à certaines heures ! On a complètement perdu l’habitude de ce style d’émission où il était question de méchants Américains, de pacifiques Soviétiques et d’obscures réunions d’hommes en gris qui se congratulaient des progrès extraordinaires de leurs plans quinquennaux…
  5. Il est exact que l’Initiative de Défense Stratégique (IDS) était un projet défensif. Annoncé par un discours de Ronald Reagan en mars 1983, il visait à protéger le territoire des États-Unis contre une attaque par des missiles balistiques lancés du sol (intercontinentaux) ou de sous-marins (à proximité des côtes ennemis). Il fut aussitôt rebaptisé « Guerre des étoiles » par les journalistes d’après la trilogie (1977-1983) de George Lucas, au grand dam de Reagan qui aurait souhaité qu’on lui conserve son nom officiel. Si les aspects géopolitiques de ce projet ont été beaucoup commentés, ses aspects techniques l’ont beaucoup moins été, en partie sans doute parce qu’ils étaient (et sont toujours) largement couverts par le secret défense. L’idée était d’intercepter les missiles ennemis en vol à l’aide de systèmes au sol et en orbite (dont des missiles anti-missiles et des lasers de puissance) mais, en mars 1983, presque tout restait à faire et l’IDS n’était encore qu’un projet dont il fallait s’assurer de la faisabilité. Des commissions se mirent au travail à cette fin. L’IDS reposait sur des calculs informatiques très performants qu’une des commissions jugea accessibles en décembre 1985, malgré la démission d’un de ses membres, David Lodge Parnas, qui estimait que les logiciels de l’IDS étaient si compliqués qu’ils ne pourraient jamais devenir suffisamment fiables. Parmi les nombreux systèmes de défense étudiés l’un des plus prometteurs fut le programme « Galets brillants » (Brilliant Pebbles). Il fut conçu en novembre 1986 au Laboratoire national Lawrence Livermore sur la base d’idées antérieures. Il prévoyait une constellation de 4 000 satellites en orbite basse. Chaque satellite devait tirer des projectiles en tungstène d’un mètre de long (les « galets ») équipés d’un ordinateur puissant les rendant capables de localiser les missiles ennemis avant de les intercepter grâce au traitement des données fournies par des capteurs optiques à grand angle et haute résolution. Contrairement à d’autres projets concurrents, « Galets brillants » reposait donc sur des projectiles autonomes et non sur un système compliqué de télécommunication, plus facile à dérégler (http://www.nytimes.com/1989/04/25/science/what-s-next-for-star-wars-brilliant-pebbles.html?pagewanted=2). En 1990, deux compagnies, TRW-Hughes et Martin Marietta, furent choisies pour son développement mais en 1993, le gouvernement Clinton mit fin au programme IDS en général, et à Galets brillants en particulier, par une série de coupes budgétaires. Toutefois la technologie mise au point pour les « galets » fut testée avec succès par la NASA avec son satellite Clementine qui cartographia complètement la surface lunaire en 1994 (http://missilethreat.com/defense-systems/brilliant-pebbles/). Le premier gouvernement de George W. Bush ne relança pas le programme et le second se concentra sur des systèmes basés au sol. Ce successeur de l’IDS fut d’abord limité aux États-Unis (National Missile Defense) puis étendu en novembre 2010 par Barack Obama au Japon et à l’Europe (Missile Defense). Il s’agit d’un système de défense dont les éléments sont d’une part des dispositifs de détection par satellites et radars à terre ou montés sur des navires, d’autre part des missiles anti-missile de divers types (Patriot, SM-3, GBI) installés en Alaska, Californie, Roumanie et Turquie. Le bouclier européen devrait être opérationnel en 2018 avec un centre de commandement situé sur la base de Ramstein en Allemagne. Il s’agit, semble-t-il, de se protéger non d’une attaque massive mais d’une attaque limitée à une centaine de têtes nucléaires, ce qui revient à abattre en vol une vingtaine de missiles équipés chacun de cinq têtes nucléaires. Il est notable que les ennemis potentiels ne sont plus seulement les Russes mais aussi les Iraniens et les Coréens.
  6. Sur Soljénitsyne, voir par exemple les chroniques n° 224, Les vivants et la mort – Les bonnes et moins bonnes idées de M. Ziegler (18.08.2012) et n° 228, Le QI d’Ivan Denissovitch – La réussite d’une vie ne se mesure pas à la hauteur atteinte sur le perchoir social (03.09.2012).
  7. Alexandre Zinoviev (1922-2006), brillant étudiant à l’Institut de philosophie, littérature et histoire de Moscou, entre très jeune en rébellion contre le culte de Staline. Arrêté en 1939, il s’évade, se cache et entre dans l’Armée rouge pour échapper aux recherches. Décoré de l’Étoile rouge pour ses actions durant la guerre, il peut poursuivre ses études par la suite. Il soutient sa thèse de doctorat en 1954 intitulée Méthode du passage de l’abstrait au concret dans Le Capital de Karl Marx, puis sa thèse d’habilitation en 1960 et devient professeur et directeur de la chaire de logique de l’université d’État de Moscou. Ses articles scientifiques et ses livres lui assurent une renommée internationale, mais il refuse toutes les invitations à l’étranger. En 1970, il est démis de ses fonctions pour avoir refusé de renvoyer deux professeurs. Le logicien et sociologue se met alors à écrire des textes littéraires qui seront publiés en Occident sous le titre Les hauteurs béantes (éditions l’Âge d’Homme, Lausanne, 1976), par opposition aux « hauteurs radieuses » promises par le régime. « J’ai écrit ce roman de près de huit cents pages en six mois, explique-t-il. D’un seul jet. Je tapais sur une machine à écrire, sur de très fines feuilles de papier, recto et verso, que je donnais au fur et à mesure à des amis journalistes et enseignants français qui les glissaient dans leurs bagages et les emportaient en France. Ma crainte était que ces manuscrits soient découverts chez moi par le KGB lors d’une perquisition. C’est pourquoi je me suis tant hâté et que je faisais sortir du pays les feuillets à mesure que je les écrivais. Mes “passeursˮ ont pris de véritables risques en faisant passer clandestinement ces manuscrits. Ce sont eux qui ont contacté les maisons d’édition françaises. Toutes ont refusé le roman ! Nous étions en 1976 et le communisme était, visiblement, encore assez effrayant pour les éditeurs occidentaux. C’est alors que Vladimir Dimitrijevic, le patron de L’Âge d’Homme, décida de publier Les hauteurs béantes. » Ce qui lui fait dire peu de temps avant sa mort : « je tiens à préciser que je considère que ma patrie littéraire n’est pas la Russie mais la France. Et la Suisse. » (Entretien avec François Busnel publié dans Lire en mars 2005, http://www.lexpress.fr/culture/livre/le-testament-d-une-sentinelle_809877.html). Ce roman décrit la vie quotidienne en URSS avec un humour corrosif qui ne pouvait que plaire à Aimé Michel. Après cette publication Zinoviev est jugé antisoviétique et renvoyé de son institut. Comme on lui donne le choix entre la Sibérie et l’exil, il se réfugie à Munich avec sa femme et sa plus jeune fille en 1978. Il est accueilli avec enthousiasme : ses livres sont traduits (28 romans et essais traduits en français de 1976 à 2000), on lui tend les micros, on loue ses talents d’écrivain… L’accueil commence à se refroidir en 1985, lorsque Zinoviev critique le régime de Gorbatchev alors que l’Occident est en pleine « Gorbimania ». Les choses ne s’arrangent pas quand il dit ne rien attendre de bon pour le peuple russe des « réformateurs » comme Boris Eltsine. Au contraire, il soutient les communistes russes qui veulent restaurer un état fort, ce qu’il semble voir comme un moindre mal pour son pays et achève sa rupture avec les médias. Il critique la globalisation qu’il voit comme une idéologie imposant le mode de vie américain au monde. Deux de ses livres sur ce thème, La fourmilière globale et La tragédie russe ne seront même pas publiés en français. En 1999, slavophile affirmé et scandalisé par l’intervention de l’OTAN contre la Serbie (« agression du plus pur style hitlérien » affirme-t-il), il retourne à Moscou. C’est là qu’il décède en 2006.
  8. Aimé Michel a déjà signalé Zinoviev à l’attention de ses lecteurs dans la chronique n° 326, L’amour n’est pas une erreur de la nature – Nous cherchons librement notre achèvement dans un monde infiniment compliqué (03.03.2014), où il écrit « Sur l’Est on ne saurait se passer de lire Zinoviev, plus énorme encore que Soljénitsyne : L’antichambre du Paradis, Éditions l’Âge d’Homme, Lausanne 1980 ».