Nous lisons dans l’évangile de Matthieu 5:48 (et uniquement à cet endroit) les mots de notre Seigneur à propos de la « perfection » : « soyez parfaits comme votre Père du Ciel est parfait. » Mais est-ce un appel à aspirer à (n’envisageons pas d’atteindre) la perfection actuelle de Dieu ? Sûrement pas. Le passage parallèle dans Luc est : « soyez miséricordieux comme votre Père du Ciel est miséricordieux » et saint Jérome, qui en connaissait un rayon concernant l’Ecriture Sainte, insistait sur le fait que « perfectio vera in coelestibus » : la véritable perfection ne se trouve qu’au ciel.
J »ajouterais : méfiez-vous de celui qui vise à la perfection ici sur cette terre.
Voici un petit exemple du problème créé par le perfectionnisme. J’étais allé un jour rechercher mon fils aîné à la maternelle à Manhattan. (Il a maintenant 25 ans et vient d’être promu capitaine dans l’armée US). Je fus informé par une élève-institutrice qu’il y avait eu une bagarre dans sa classe et que Bobby y était impliqué.
« Qui a commencé ? » demandais-je, tandis que mon plus jeune fils, juché sur mes épaules, tambourinait sur mon crâne.
La jeune femme fronça les sourcils.
« Je ne vois pas ce que ça peut faire », dit-elle.
Je souris, souhaitant être plus charitable que je ne l’étais. « Mais bien sûr que cela a de l’importance », répondis-je.
« Pourquoi ? » aboya-t-elle. « Pour savoir qui blâmer ? »
« En quelque sorte : l’innocence est différente de la culpabilité tout comme il y a une différence entre l’attaque et la défense. Ou voulez-vous que les enfants soient tous des petits Ghandi ? »
C’est bien ce qu’elle voulait.
« Pas vous ? » me demanda-t-elle.
« Non. Je veux que mes fils soient de petits Galahad. » 1
Galahad a la réputation d’être une personne presque parfaite, et donc le désastre le suit partout. Sa passion et celle de ses compagnons pour la quête du Graal, que Galahad a fini par trouver, fut à coup sûr un enfer pour le pauvre roi Arthur.
« Hélas ! » relate Thomas Bulfinch dans la lamentation du roi lorsque sire Gauvain a enflammé toute la Table Ronde pour la quête du Graal, « vous m’avez presque conduit à la mort avec ce vœu et cette promesse que vous avez faits, car vous m’avez privé du plus noble compagnonnage qu’on vit jamais dans aucun royaume de la terre… »
Arthur s’effondre dans son trône quand un ermite apparaît dans la salle, remorquant un jeune homme. C’est Galahad, le fils de Lancelot, le petit-fils de Pellès, le Roi Pécheur et il est — tout comme Arthur lui-même — un descendant de Joseph d’Arimathie. Le jeune garçon s’assied dans le Siège Périlleux, prouvant ainsi aux autres chevaliers qu’il est un homme au cœur pur digne de la coupe sacrée, car s’asseoir dans ce siège provoque la mort de quiconque n’est pas digne de la sainte relique. Une odyssée s’ensuit : de gentes pucelles, des chevaux démoniaques, des batailles sanglantes et pour finir, des relations adultères pour tous, sauf Galahad, qui est tout à son saint projet. Mangeons, buvons et réjouissons-nous, car demain, nous mourrons. Certes, auraient-ils pu dire, comptez là-dessus.
Mais c’est un conte, n’est-ce pas, Bulfinch ! Il n’y avait ni Graal, ni chevaliers de cette sorte, ni quête de ce genre. A leur époque, cette race de brutes se préoccupait plus de gloutonnerie et de rapine que d’honneur et de foi.
De Galahad, Tennyson écrivait que <
La vérité est qu’être un homme bon – un disciple de Dieu – ne nécessite pas la perfection.
En effet, un homme chevaleresque connaît sa nature pécheresse. Il ne croit pas à la possibilité de devenir parfait, pas plus pour lui que pour les autres. C’est dans le bobard de la nature humaine fondamentalement bonne que l’a plus grande partie de l’hypocrisie des méchants trouve sa motivation. Un homme peut aspirer ardemment à la sainteté s’il est convaincu que ses pensées et ses actions les plus profondes découlent d’une source de vertu naturelle.
Autrefois, le perfectionnisme conduisait au totalitarisme. De nos jours, il mène à l’égalitarisme.Chaque perfectionniste, comme à la tour de Babel, suit sa voie d’idéalisme. Mais si fort qu’un homme chevaleresque puisse rêver de principes d’équité légale, politique et sociale, et travailler dans ce but, il ne doit pas donner dans l’illusion égalitaire. Nous sommes arrivés au point, et heureusement, où la tradition chevaleresque s’est détachée de ses liens avec la naissance ou le statut social et est devenue plus démocratique – en cela que le statut social d’un homme ne lui garantit ni ne lui interdit d’être chevaleresque – tandis que dans le même temps la classe des « gentleman » reste résolument élitiste, en raison des ses standards élevés, élevés mais pas au-delà de la cupidité.
Est-il décourageant de dire qu’une minorité devrait être bonne mais pas trop bonne ? Je ne le pense pas et me demande à quelle fréquence des hommes bons ont échoué à devenir meilleurs parce qu’ils se désespéraient de leur imperfection.
Aussi fréquemment, je pense, que des hommes mauvais recherchant la perfection sont devenus démoniaques.
Galahad aurait su cela. La chevalerie n’est pas la vocation des saints. C’est la caractéristique de l’homme viril, que les classes jacassantes contemporaines – et tout spécialement les « féministes du gender » – abhorrent, ce qui est idiot puisque leur liberté dépend de tels hommes.
Dans son livre magistral, Alien Power : The Pure Theory of Ideology, Kenneth Minogue résume le point de vue de l’élite :
La grande découverte de l’idéologie a été que la civilisation européenne moderne, sous d’habiles apparences artificielles, est le despotisme le plus systématiquement oppresseur que le monde ait jamais connu. Toute l’Histoire, d’ailleurs, est une liste d’oppressions, mais c’est seulement à l’époque moderne que l’oppression à commencé à se cacher derrière le masque de la liberté.
Par suite, l’idéologiste croit que des traditions comme la chevalerie sont des exemples des mystifications de l’oppression.
En fait, le perfectionnisme est le valet de l’idéologie, et j’ajouterais de l’enfer.
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Brad Miner est rédacteur en chef de The Catholic Thing, membre de l’institut Foi et Raison et membre du conseil de l’Aide à l’Eglise en Déresse aux Etats-Unis. IL est l’auteur de 6 livres et ancien chroniqueur littéraire de National Review.
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Source : http://www.france-catholique.fr/ecrire/?exec=articles&id_article=10400
illustration : l’Arbre d’Or et l’achèvement de la quête du Graal (Edwin Austin Abbey, vers 1900)