Dans la mémoire contemporaine, la ville de Nagasaki constitue avec Hiroshima le symbole du désastre absolu, de l’apocalypse nucléaire qui fit capituler le Japon et mit un terme à la guerre du Pacifique en 1945. Mais c’est aussi, bien avant cette catastrophe, un lieu fondateur pour la foi catholique au Japon.
Sur cette colline en effet, 26 catholiques dont le séminariste Paul Miki furent crucifiés, à la fin du XVIe siècle. Soit moins de cinquante ans après le passage de saint François-Xavier, missionnaire exceptionnel qui avait converti plus de mille personnes en deux ans. Ils seront devenus plus de 200 000 en 1587…
C’est donc là, sur cette colline des croix, que s’enracine « l’ADN » de l’église au Japon, comme l’a déclaré le pape François lors de son voyage dans ce pays, du 23 au 26 novembre. Un ADN marqué par une politique de persécution religieuse très violente, et que le film de Scorsese, Silence, a contribué à faire connaître.
On peut se représenter, aujourd’hui, l’impact de ces exécutions du bout du monde sur toute la chrétienté, et jusqu’à l’Europe – au point que ces martyrs furent béatifiés en trente ans, un délai exceptionnel pour l’époque – en pensant à celles des Coptes décapités sur la plage par Daesh, en 2015.
La même année, juste avant les attentats islamistes de novembre sur le sol français, Martin Steffens avait écrit un petit essai percutant, intitulé Rien que l’amour : repères pour le martyre qui vient (éd. Salvator). Ou comment continuer à aimer dans un monde de plus en plus violent, du fait de cette « Troisième Guerre mondiale par morceaux » dont parle le Pape.
C’est que finalement les martyrs d’hier et d’aujourd’hui renvoient à une question essentielle : quel est notre propre ADN, celui de la France, et comment le faisons-nous vivre pour que ce ne soit pas qu’une glorieuse relique ?
Martyre du quotidien
La réponse donnée par l’Église est sans ambiguïté : le martyre fait partie de l’ADN du chrétien. Pas nécessairement jusqu’au sang, mais dans le don de soi, de sa vie, de sa réputation parfois, en endurant la calomnie… Dans la persévérance et la cohérence de vie aussi, contre ce que la psychologie moderne nomme la « dissonance cognitive » – tension entre les idées et le comportement. Ou simplement dans ce « martyre du service quotidien » dont a parlé le Souverain pontife.
Pour en retrouver l’élan, sans doute faut-il réentendre aujourd’hui cette rude interpellation de saint François-Xavier, dans sa lettre à saint Ignace : « Bien souvent, il me prend envie de descendre vers les universités d’Europe, spécialement celle de Paris, et de crier à pleine voix (…) : “Combien d’âmes manquent la gloire du ciel et tombent en enfer à cause de votre négligence !” »