J’ai fait cette semaine un pèlerinage pour voir la Tour de Londres, le lieu où sont gardés les « trésors royaux ». Cependant, je ne fais pas référence aux couronnes parsemées de diamants et de rubis des monarques d’Angleterre mais aux restes de Saint Thomas More et de Saint John Fisher dans la chapelle St-Peter ad Vincula » (Saint-Pierre-aux-liens).
En réalité, Thomas More n’a pas vraiment été gardé dans la « Tour Blanche » – au centre de la citadelle de la Tour de Londres. Il aurait été gardé dans l’une des tours dans le mur du complexe. La vraie tour abrite une armurerie. Vous pouvez toujours la visiter et y voir l’armure massive du roi Henry VIII (avec sa ridicule braguette protubérante).
C’est assez dérangeant de voir quelqu’un célébrer Henry VIII, un tyran narcissique responsable de la mort de milliers de ses sujets, sans compter le meurtres de plusieurs femmes auxquelles il avait promis fidélité devant Dieu. Henry ne leur a pas plus été fidèle qu’il n’a été fidèle à Dieu.
Avant que Henry ne devienne roi, le sanctuaire de Notre-Dame de Walsingham était l’emplacement d’un immense et florissant monastère. Henry, comme à son habitude, l’a vidé et rasé avant d’offrir le terrain en cadeau à l’un de ses lèche-bottes. Vous ne pouvez pas vous empêcher de vous demander ce qui est pire entre des tyrans sans foi ni loi tels que Henry ou des veules lèche-bottes qui rendent possibles les crimes des premiers. Deux grandes arches, c’est tout ce qui reste du monastère original, bien que de grands sanctuaires à Notre-Dame, catholiques et anglicans, aient été érigés à proximité.
Lorsque j’ai remarqué pour la première fois l’image d’Henry dans le magasin du musée, cela m’a frappé comme malvenu. Mais j’ai alors pris conscience que son image se trouvait principalement sur des porte-clefs et des mugs kitsch et bon marché, faisant de lui quelque chose comme le Elvis ou le Liberace de la monarchie anglaise.
Par contraste, Thomas More n’est pas seulement révéré comme un saint par l’Eglise Catholique, son nom est commémoré dans différents lieux célèbres de Londres. Bien que la « Tour Saint-Thomas », située à côté du « Portail des Traîtres », l’entrée du complexe de la Tour donnant directement sur la Tamise, ne soit pas nommée ainsi en son honneur, je ne suis probablement pas la seule personne ayant vu le nom et ayant récité une prière silencieuse à son intention en passant par là.
Les prisonniers de la Tour étaient conduits à un échafaud public tout proche où ils étaient décapités. Il y a maintenant à cet endroit une plaque commémorative en bronze. Alors que leurs têtes étaient exposées sur des piques sur le London Bridge en guise d’avertissement, leurs corps sans tête étaient jetés dans une fosse anonyme sous la chapelle proche de la « Tour Blanche » afin d’éviter que le lieu de sépulture devienne un « sanctuaire » d’un « martyr ». Quand cette chapelle a dû être reconstruite au vingtième siècle, plus d’une centaine de corps ont été exhumés, bien plus que les historiens ne le prévoyaient. Les restes de Saint Thomas More et de Saint John Fisher ont été identifiés et sont maintenant enterrés, avec d’autres, dans une crypte à l’intérieur de l’église. Il n’y est pas fait mention d’Henry.
Cependant, j’ai entendu une histoire sur Henry dans une autre église. Se tenant devant la tombe de l’amiral Nelson dans la crypte de la cathédrale Saint-Paul de Londres, le guide a mentionné que cette immense crypte avait primitivement été construite pour le cardinal Wolsey. Mais Henry a eu le coup de foudre pour elle et s’en est emparé dans l’intention de s’y faire ensevelir lui-même. Cependant, le moment venu, il était devenu tellement gros qu’il ne pouvait plus rentrer dedans. Elle est donc restée inutilisée durant des siècles. Finalement, quelqu’un s’est rendu compte qu’on pouvait simplement ôter la couronne royale du sommet et mettre à la place le symbole de la Royal Navy, résolvant ainsi le problème de ce qu’il fallait faire de Nelson.
L’histoire est chose étrange. Elle se se déroule pas toujours comme les gens s’y attendent. Je pense à cela chaque fois que j’entends quelqu’un insister sur la nécessité de « respecter le sens de l’histoire ». Sir Thomas More semblait avoir été « un laissé pour compte de l’histoire ». Henry l’a écrasé et l’avenir lui appartenait, n’est-ce pas ?
Dans la série télévisée « The Man in the High Castle », qui dépeint un monde dans lequel les puissances de l’Axe ont gagné la Deuxième Guerre Mondiale, la protagoniste principale, Juliana Crain, déclare à un espion nazi : « pour un monde plein de perfection et de bonheur, vous ne semblez guère heureux. » « Réveillez-vous ! » lui rétorque-t-il sèchement. « Ceci est le monde dans lequel nous vivons. Un monde qui peut être amélioré, mais pas par votre idée du bien. »
A la fin de l’épisode suivant, deux événements se déroulent simultanément. Dans les rues de New-York, où règnent les Nazis, Heinrich Himmler fait un discours à des milliers de gens et hurle : « aujourd’hui, l’histoire prend fin ! Et l’avenir commence ! » La foule crie : « Sieg Heil ! »
Au même moment, dans une minuscule ville de province où des catholiques cachent une petite communauté de juifs, un homme fait enfin sa bar mitzvah. L’homme tenant le rôle de rabbin du groupe parle de « l’importance de nos traditions. Elles portent les joies et le peines de cinq mille ans. Quand nous nous connectons au passé, le Saint d’Israël – béni soit son Nom – parle. » Comme ils portent le nouveau membre adulte de leur communauté sur leurs épaules, la caméra fait des aller et retours entre leur célébration et l’immense foule nazie hurlant « Sieg Heil ! »
Nous ne savons en aucune manière si ces juifs survivront. Grâce à Dieu et au sacrifice de milliers d’hommes et de femmes, les puissances de l’Axe n’ont pas gagné la guerre. Mais d’autre tyrans ont gagné, sont morts tranquillement et continuent d’être encensés. Alors quand nous regardons cette immense foule criant des slogans et que nous comparons avec le petit groupe de juifs chantant et tournant autour du nouveau membre, nous devons nous demander : de quel groupe souhaiterais-je faire partie, peu importe ce qui en résulte ?
Car si le Dieu vivant est le « Seigneur de l’histoire », alors peu importe l’immensité de la foule, l’intensité de leurs voix, ou la puissance du tyran. A la fin, ils disparaissent tous et les saints demeurent. Notre tâche est d’investir dans les choses qui demeurent – et de faire confiance à Dieu pour le reste.
Randall B. Smithe est professeur de théologie (chaire Scanlan) à l’université Saint-Thomas de Houston.
Illustrations : première photo : les ruines de Walshingham
deuxième photo : le lieu de l’exécution avec la plaque commémorative de l’exécution de Thomas More
troisième photo : le portail des traîtres
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/12/18/history-aint-what-it-used-to-be/