Aucune opinion émise par un catholique n’a jamais été autant fustigée que ces mots de Hilaire Belloc : « L’Europe, c’est la foi, et la foi, c’est l’Europe. » (1924) Et cependant les dires de Jean-Paul II et Benoît XVI sur les origines et la signification de l’Europe, contrairement aux dénégations de l’Union Européenne, suggèrent que la foi est fondatrice de l’Europe. La foi est l’origine de l’Europe, unificatrice de tribus sauvages cherchant à co-exister au sein d’une Église et d’un Empire tout en conservant leurs coutumes et leurs frontières.
Dans son livre Ce n’est pas la fin du monde, ce n’est que la vôtre David Goldman [NDT: économiste et écrivain] déclare à propos de la formule émise par Hilaire Belloc — « L’Europe, c’est la foi, et la foi, c’est l’Europe » — qu’elle est précisément justifiée.
L’Europe, c’est le lieu où se sont fondus l’Ancien Testament, le Nouveau Testament, les traditions grecques et romaines, avec l’apport des envahisseurs dits barbares venus d’Eurasie. Cette fusion ne s’est pas produite du jour au lendemain, mais elle est réelle. La pensée a été forgée dans l’unité de l’Europe depuis les Pères de l’Église jusqu’à Thomas d’Aquin. La Réforme n’était guère qu’un argument à l’encontre de cette thèse. Et le problème de Luther avec Aristote était un prélude aux divisions à venir.
Jusqu’à une époque récente, la plupart des gens, européens ou non, voyaient une évidence: les origines catholiques unissaient ce relativement petit continent par une communauté de vues sur la vie, la liberté, Dieu, l’homme et le cosmos.
Puis certains ont voulu établir une distinction. À leurs yeux la « Révolution scientifique » avait un côté anti-chrétien. Et pourtant la « conquête » du monde par la science n’était qu’une partie du mouvement intellectuel de généralisation et d’universalisation déjà lancé en Europe par ses traditions classiques.
Même la science moderne a des origines dans le christianisme médiéval. Sans la notion de monde réel, hors intervention divine, digne d’étude avec la notion de causes secondaires, aucune science ne serait possible. Les sociétés ayant foi en une origine volontariste des choses n’ont jamais eu de développement scientifique car on ne peut étudier ce qui peut être perpétuellement remis en cause.
Mais pour beaucoup la critique a porté sur la seconde partie de la déclaration de Belloc — « la foi, c’est l’Europe. » On y voyait l’ambition chrétienne missionnaire de transformer les sociétés non chrétiennes en quelque chose ressemblant à l’Europe. Comme l’ont plus tard montré certains commentateurs, Belloc avait raison en fait. Alors que des poches chrétiennes existent de par le monde, la proportion de chinois, hindous, musulmans dans le monde par rapport aux chrétiens reste largement inchangée.
Bien des observateurs, y-compris Goldman, notent la montée d’une sorte de chrétienté autochtone en Chine, peut-être cent à deux cents millions de personnes. De plus, les Chinois, tout comme les Indiens, Coréens, Japonais et autres asiatiques ont rapidement maîtrisé les sciences et techniques. Ceci tend à prouver la théorie moderniste selon laquelle il faut séparer radicalement la science de la religion. Mais c’est encore la meilleure preuve que la raison est universelle, comme l’indiquait Belloc.
On peut trouver le fond de la question dans le « discours de Ratisbonne » de Benoît XVI. Un aspect singulier des premiers chrétiens, précise le Saint Père, était non pas d’orienter leurs efforts vers les autres religions, mais plutôt du côté des philosophes. Paul se dirigea vers la Macédoine. Il ne se tourna pas à l’Est vers l’Inde comme, selon la tradition, fit l’apôtre Thomas.
Si nous ajoutons à ces considérations que, déjà, dans certains livres de l’Ancien Testament, notre attention est attirée par le Logos, le fameux « Je suis celui qui suis » rapporté par Moïse, nous trouvons que la chrétienté estime appartenir à un monde réel, où l’intervention de l’homme fait la différence, mais aussi tenir d’une foi qui en appelle à la raison.
La chrétienté est parfois considérée comme un mythe grec d’un Dieu de souffrance. Et pourtant elle se considère elle-même comme récipiendaire d’une révélation du Dieu en trois Personnes, incarné en Verbe (logos), vie intime dans le monde, vrai Dieu et vrai homme. C’est arrivé sous le règne d’Auguste César.
Le dynanisme animant le christianisme était indubitablement « d’aller et enseigner toutes les nations ». On assumait que tous les hommes étaient doués de raison, quoiqu’ils en soient plus ou moins conscients. Le but de la mission était le salut, l’explication de la signification profonde de chacun en ce monde.
Mais à la lumière de cette explication, le Logos nous permettait de découvrir et de développer la « raison » résidant dans chaque culture. On pouvait retenir bien des choses, en rejeter d’autres, non en raison de leur origine extérieure, mais simplement parce que déraisonnables. C’est la signification de la seconde partie de l’aphorisme de Belloc. Sauf si elle en décide autrement, aucune culture n’est en principe exempte de raison. Aucune culture n’est fermée au Logos qui s’adresse à elle afin de l’enrichir, en vue de son propre bien.
Photo : Hilaire Belloc
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/bellocs-infamous-phrase.html