Jean Le Cour Grandmaison. L’Europe vaticane (avec Robert Schuman) - France Catholique
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Noël : Dieu fait homme
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Jean Le Cour Grandmaison. L’Europe vaticane (avec Robert Schuman)

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Si elle a été reprise dès 1950 à l’Assemblée de Strasbourg par les socialistes anglais du « Labour », puis les laïques du Conseil de l’Europe, dont le belge Paul-Henry Spaak, la paternité du vocable est attribuée à l’historien lyonnais de la Démocratie chrétienne, Joseph Hours (octobre 1950, «  l’Europe à ne pas faire », « Vie intellectuelle »). C’est l’Europe carolingienne, celle du Saint-Empire, donc il n’y avait qu’un pas qui fut vite franchi, romain-germanique, catholique romaine, ultramontaine, dont le fondateur du Mouvement Européen, le comte de Coudenhove-Kalergi était investi, et derrière lui, avec l’héritier Otto fort actif, la maison des Habsbourg-Lorraine, traditionnelle rivale des rois de France. La formule fit florès entre 1952 et 1954, la signature des accords de Paris et le débat de ratification à l’Assemblée nationale, comme argument à l’encontre de la ratification. Jules Moch au congrès de la S.F.I.O. en 1953 en avait donné le sens caché : « vaticane peut-être, mais à coup sûr sous hégémonie allemande ».

Le vieil éditorialiste de politique étrangère de la « Revue des deux-mondes » d’avant-guerre répliquait dans « La France catholique » (n°349, 14 août 1953) en renversant l’argument : « l’Europe vaticane est la plus qualifiée pour obtenir de l’Allemagne qu’elle s’abstienne de toute violence et la retenir efficacement ».

A l’évidence, cela n’avait pas été le cas dans les années trente. Le parti du Centre (« Zentrum ») catholique n’avait pas arrêté le nazisme, pas plus que les Concordats du nonce Pacelli, l’actuel Pie XII (bien que celui-ci ne sera pas attaqué sur son rôle avant et pendant la guerre avant les années soixante). Pourquoi devrait-on faire plus confiance aujourd’hui au chancelier Adenauer qu’au chancelier Brüning, autre bon catholique reçu à ND des Victoires à Paris en 1931 ?

Le débat traversait la conscience de chacun, divisait le M.R.P. lui-même, et paradoxalement rapprochait sur le terrain de la construction européenne, soit en pour soit en contre, Résistants et Vichyssois. « La France catholique » s’était clairement engagée en faveur des accords pour la Communauté du Charbon-Acier (CECA) et maintenant la Communauté européenne de Défense (CED). Union des Catholiques pour la première fois ?

Le Pape Pie XII avait jeté toutes ses forces dans le débat. Il n’avait négligé aucun moyen : message de Noël 1953, aux semaines sociales de Pau sur le thème « guerre et paix » en juillet, au congrès de Pax Christi à Altenberg près de Cologne, en août. Jean Le Cour Grandmaison est de toutes les sorties. Certes il avait d’abord hésité sur la nouvelle Allemagne. Il avait lu Robert d’Harcourt (août 1948), écouté le cardinal Suhard retour de Cologne (septième centenaire de la cathédrale août 1948), il avait entendu les compte-rendus de Jean de Fabrègues de retour des Katholikentage, notamment de celui de Bochum dans la Ruhr (août 1949), il avait attendu juin 1951 pour se rendre à Fulda, sa première visite en Allemagne depuis 1919, et finalement une seconde fois à l’abbaye cistercienne d’Altenberg en août 1953 avec le cardinal Feltin et l’archevêque de Cologne, le cardinal Frings. Car il ne s’agissait rien de moins que du réarmement de l’Allemagne. La C.E.D. pour beaucoup n’était qu’un habillage, ce qui la viciait à la base, la contradiction consistant à réintroduire l’Allemagne dans le concert des nations sous condition de l’encadrer, de la limiter, de la contraindre, ce que Bertrand de Jouvenel dénoncera comme un « mariage de défiance ». Non, pour Jean le Cour Grandmaison, il s’agissait de fonder une nouvelle relation franco-allemande, celle de la France catholique avec une Allemagne catholique, rendue possible grâce à deux hommes d’Eglise: Conrad Adenauer et surtout Robert Schuman, son collègue au Parlement depuis 1919, son ami très cher pour lequel il demande à tous les lecteurs de « France catholique » de prier lorsque Schuman devient président du Conseil en 1947. « Jadis le Rhin séparait le Français de l’Allemand, mais le Rhin ne peut séparer le chrétien du chrétien » (Erasme, « Querela Pacis », cité par Jean de Fabrègues, « Christianisme et civilisations », de Gigord, 1966).

Plus lent à se mettre au diapason européen, Jean Le Cour regrettera d’autant plus amèrement l’occasion manquée en 1954, le vote négatif du 30 Aout 1954 par 319 voix contre 254. « Il est facile de voter contre la CED, écrit-il le 24 septembre, il est moins facile de résoudre le problème auquel la CED prétendait apporter la solution : le rapport à l’Allemagne ». Plus qu’au président du conseil, Mendès-France, il le reprocha à la branche du M.R.P. qui avait lâché Robert Schuman, et qui avait du coup manqué l’hégémonie au sein de l’Europe catholique, sans parler de la France catholique. Il le reprochera aussi au général de Gaulle qu’il relativisera lorsque celui-ci, revenu au pouvoir en 1958, tentera de refonder l’entente franco-allemande avec le même Adenauer. Il y reviendra dans son hommage funèbre à Robert Schuman, « FC », n°876, 13 septembre 1963, sous un bandeau à la « une » : « Le Vatican et l’Europe » regroupant deux articles : l’ « A Dieu » de Jean Le Cour à « un homme d’Etat chrétien » et « le devoir et la mission de l’Europe définis par Paul VI dans une adresse au Congrès des Universités catholiques italiennes, commenté par Jean de Fabrègues. L’hebdomadaire désapprouvera globalement la politique européenne de la Ve République, se solidarisera avec les ministres M.R.P. démissionnaires en mai 1962 et affichera à la une : « Pourquoi nous sommes européens » au lendemain de la conférence de presse du général du 20 janvier 1963. Dix ans après le vote de rejet de la CED, Jean de Fabrègues estimera que tous les contre-arguments de l’époque avaient été depuis invalidés (n°927, 4 septembre 1964).

Sur la question de la CED, Jean Le Cour ne s’était pas alors posé le problème en termes militaires, dimension pourtant capitale sur laquelle on reviendra car il en connaissait les enjeux. Il n’était pas non plus question d’anticommunisme sinon de manière indirecte et implicite puisque, après l’échec de la C.E.D., le Pape Pie XII n’avait eu d’autre choix dans un premier temps (à la Noël 1954) d’envisager les conséquences sous la forme de « coexistence » avec l’autre « bloc » (avec l’appui notamment de La Pira), amorçant ainsi les conditions dans lesquelles pourraient – après le douloureux épisode hongrois et la résurrection de la « petite Europe » avec les traités de Rome de 1957 – se concevoir « l’ouverture » de Jean XXIII et la « politique à l’Est » de Paul VI et du cardinal Casaroli. La motivation du directeur de « France catholique », encore à cette époque le président de la Fédération Nationale d’Action Catholique, avec la double casquette, était encore moins idéologique ou philosophique. Y avait-il d’ailleurs une doctrine de l’Eglise en matière de droit international et quelle était-elle ? « La France catholique » se trouvait au point de rencontre de plusieurs héritages. Le seul sur lequel l’on pouvait s’entendre entre catholiques était la théorie thomiste du Bien Commun. Toute souveraineté doit être ordonnée au Bien Commun, ou selon une autre formulation « subordonnées aux lois du droit naturel ».

Donc il n’est aucune souveraineté absolue. Le thème a souvent été rappelé dans les colonnes de l’hebdomadaire pour s’opposer à tout nationalisme clos.
Au-delà commençaient les divergences d’interprétation : fédéralistes et étatistes, neutralistes et atlantistes.

Une théorie des corps intermédiaires poussée à l’extrême, dite « fédéralisme intégral », passait des communes et des professions aux régions et de celles-ci à l’Europe, sans plus considérer le niveau de l’Etat-nation comme pertinent. C’était celle dite du Saint-Empire, ou encore de beaucoup de fédéralistes européens. Le mouvement « Fédération » avait ressurgi dès 1944. Il avait des ancêtres, Pierre-Joseph Proudhon, mais aussi des prédécesseurs immédiats au sein de la nébuleuse vichyssoise, suffisamment en tout cas pour prêter le flanc aux critiques de « nouvelle Europe » autrement dite « Europe allemande » de « l’Ordre nouveau ». Une partie des non-conformistes des années trente avait ainsi traversé la période de l’Occupation. Jean de Fabrègues les connaissait bien. Il fut de tous les premiers congrès fédéralistes (Amsterdam, avril 1947, Montreux, septembre 1947 La Haye, 7-10 mai 1948, Rome, novembre 1948 avec une adresse de Pie XII). On citera André Voisin (Bourgeois) ou Alexandre Marc (Lipiasky).
Parallèlement, les mêmes, pas tous et avec quelques autres, étaient des adeptes d’une « troisième voie » entre communisme et capitalisme, entre URSS et Etats-Unis, baptisée « neutralisme ».

Avec beaucoup de nuances après la guerre, Etienne Gilson dans une série d’articles au « Monde » en août-septembre 1950 avait défrayé la chronique.

Michel Habib, à « FC » (n°201, 22 septembre 1950) lui avait répondu avec méthode : il n’y a pas de neutralité désarmée. Or les armes ne peuvent être qu’américaines. « la politique réaliste » c’est donc l’organisation de la défense européenne dans le cadre plus vaste du pacte Atlantique .

C’est aussi la position défendue dans le journal par Bertrand de Jouvenel depuis 1947 à propos du plan Marshall puis à partir de 1950 dans un soutien inconditionnel – sans cesser d’être constructif sur les dispositions pratiques– sur la question de la C.E.D. Le 30 juin 1950 : c’est en effet le déclenchement de la guerre de Corée qui va susciter un moment de panique. Ses articles deviennent alors hebdomadaires jusqu’à la fin de 1956 où ils s’espaceront avant de s’arrêter net début 1958, ses positions sur l’Algérie suscitant la désapprobation des lecteurs (en janvier 1956 sur la réception à Alger du président du conseil Guy Mollet et surtout en février 1958 sur le bombardement du village tunisien de Sakhiet Sidi-Youssef, article qui ne sera pas publié).

Jean de Fabrègues avait croisé Bertrand de Jouvenel, fils du représentant à la S.D.N. Henry de Jouvenel, quand, jeune-turc radical après le 6 février 1934, celui-ci avait cherché d’autres voies. Ils s’étaient brièvement croisés au PPF de Doriot. Exilé en Suisse depuis 1943, Jouvenel tenait chronique à « la Gazette de Lausanne », articles reproduits par « la France catholique ». Il évoluera de la géopolitique à l’économie politique où il se retrouvera bientôt aux côtés de Raymond Aron, Jacques Rueff ou François Perroux qui ont plus ou moins suivi le même parcours.
INDEX

Jouvenel (Bertrand de), 1903-1987, sa biographie par Olivier Dard, Perrin, 2008

Perroux (François), 1903-1987, « l’Europe sans rivages », 1954

Schuman (Robert), 1886-1963, sous-secrétaire d’Etat aux réfugiés (de mars à juin 1940), ministre des Finances en 1946, président du conseil en 1947, ministre des affaires étrangères jusqu’en 1953. Une biographie par René Lejeune, préface du cardinal Tauran, éditions de l’Emmanuel, 2000.

Hours (Joseph), 1896-1963, du groupe « Témoignage chrétien » dans la Résistance, il évolua vers l’Algérie française.

Gilson (Etienne), 1884-1978, philosophe médiéviste, spécialiste de l’augustinisme

La Pira (Giorgio), 1904-1977, sa biographie par Agnès Brot, « un mystique en politique », Desclée de Brouwer, 2016

Bibliographie

Philippe Chenaux, « Une Europe vaticane ? entre le plan Marshall et les traités de Rome », éditions Ciaco, 1990

Antonin Cohen, « de la révolution nationale à l’Europe fédérale », Le mouvement social, 2006/4

Du même, « Histoire d’un groupe dans l’institution d’une « communauté européenne (1940-1950) », Paris I, 1999. PUF 2002

Jean-Dominique Durand, « l’Europe de la démocratie chrétienne », Complexe, 1995