À suivre l’actualité, l’Europe semble en plein désarroi. La défaite subie, dimanche dernier, par la chancelière Angela Merkel, dans son propre fief électoral, a été reçue dans la logique d’un déclin déjà perçu à travers les derniers sondages. Certes, ce test électoral est très partiel, il n’annonce pas forcément la défaite de la chancelière, lorsque dans un an il s’agira de se décider pour un quatrième mandat. Mais la déstabilisation est certaine dans une Allemagne qui assumait un incontestable leadership en Europe, notamment à cause de la bonne tenue de son économie et du prestige de sa dirigeante, qualifiée par les médias de « femme la plus puissante de la planète ». C’est la question des migrants qui est à l’origine du trouble de l’opinion d’Outre-Rhin, avec la montée d’un parti à la droite de la CDU, qui remettrait en cause la puissance de la formation de Konrad Adenauer et d’Helmut Kohl, ses prestigieux dirigeants.
On disputera longtemps de l’attitude de la chancelière, inflexible devant la vague migratoire dont elle ne semblait percevoir que les avantages en termes de rééquilibrage démographique, tout en se prévalant d’un humanisme universel qui rachetait symboliquement son pays de l’opprobre du nazisme. Mais il faut bien convenir en même temps que c’est l’ensemble des peuples européens qui se sont mis en état de méfiance face à une immigration problématique, en termes d’identité et d’intégration. Cela a contribué largement aussi à accroître la méfiance à l’égard des institutions européennes, elles-mêmes frappées par le doute.
Mais j’entends, par ailleurs, la protestation de Jacques Julliard au Figaro d’hier : « L’Europe, écrit-il, est la dernière contrée où une prospérité chancelante mais réelle fait bon ménage avec la démocratie politique et l’État providence. Renforçons-la, réformons-la, mais défendons-la comme une des seules grandes réussites de l’humanisme moderne. » Face à une planète en plein désarroi, comment ne pas mesurer la chance relative mais certaine d’appartenir à une contrée préservée, même si la crise migratoire y a fait des dégâts ? Moins que jamais, nous dit Julliard, il ne faut perdre confiance en un moment où seul notre continent est capable de représenter un modèle d’équilibre et de paix. Sans doute. Mais alors faudrait-il nous mettre bien d’accord sur les fondamentaux de cette Europe et sur ses facultés à répondre à ses échecs et à la défiance des peuples qui la constituent.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 6 septembre 2016.