Jean Le Cour Grandmaison ne fut jamais le général de Castelnau.
Probablement, le temps avançant, le fut-il, même, de moins en moins ! Jean d’Azémar de Fabrègues dit Jean de Fabrègues ne fut pas davantage Jean Le Cour Grandmaison. On serait, toutefois, tenté d’émettre l’hypothèse que, les années de compagnonnage s’écoulant, il alla s’en rapprochant, au moins sous certains biais.
Foin des rapprochements et des parallèles, toutefois. tel qu’en lui-même, il apparaît : qui fut Jean de Fabrègues ?
Au moment où il va devenir rédacteur-en-chef de La France Catholique, il va avoir quarante ans (il est né, à Paris, en 1906. Il va s’enfoncer, définitivement, dans la voie où il a fait ses premiers pas, voilà trois ans (en 1942 avec Demain) : la presse catholique hebdomadaire. Il n’en sortira plus. Ne changeant même plus de « support ». devenant l’homme d’un journal : La France Catholique. Quel contraste cette stabilité avec le tourbillonnement des années 1930 !
Car, qui veut suivre à la trace Jean de Fabrègues entre 1936 – il a à peine vingt ans, n’a pas fini ses études de philosophie en Sorbonne mais il est, déjà, plume au vent ! – et 1939 doit savoir s’y retrouver à travers les six ou sept revues qu’il anime successivement. Certes cette décennie 30 est le grand âge des revues, est le moment où les jeunes intellectuels préfèrent la revue à la chaire (universitaire voir à l’autre). Quand même cette pluralité haletante est impressionnante !
Sans doute ce fut faute de public que chacune de ces revues s’interrompit, rebondissant en regroupant les équipes, en tentant des cocktails intellectuels différenciés, parfois différents. Mais cette insaisissabilité du public ne fut pas sans correspondre aux désarrois de ces intellectuels-génération 30, défiés ou écrasés par des événements précipités et colossaux, pris dans le champ de force de leurs désirs contradictoires que l’on peut figurer sous la forme d’une sorte d’hexagone infernal :
Paix Spiritualisme
Matérialisme Guerre
Révolution
Dans son intéressante thèse sur Jean de Fabrègues (ou la) persistance et originalité d’une tradition de droite pendant l’entre-deux-guerres, Madame Auzépy-Chavagnac a dressé un tableau suggestif de la cascade des revues de la filière dite « Jeune Droite » qu’anima Jean de Fabrègues. On le reprend ici, non sans le flanquer deux autres filières auxquelles participa Jean de Fabrègues, l’une directement liée à l’Action française, l’autre au catholicisme français.
L’Action française La Gazette française Catholicisme
(mai 1924-1930)
Fondateur : Amédée d’Yvignac
Directeur : Paul Gilson puis Amédée d’Yvignac
Jacques Maritain, Louis Salleron,
Robert Valléry-Radot, Henri Massis, René Groos
Pierre et Jean Godmé, Jacques Valdour, René Benjamin, Pierre Varillon,
Jean Daujat, Louis Salleron, Bernard du Halda, Lucien Dubech,
Pierre Arthuys, Henri Ghéon, Maurice de Gandillac
Roger de Lafforest, Jean d’Arc Maillot, Gonzague Truc
Les Cahiers Réaction
(1928-1931) (avril 1930-juillet 1932)
Directeur : Jean-P. Maxence Dir. Rédac-Chef : J. de Fabrègues
Augustin Fransque Gérant : Raymond Damien,
Sec. gl : Georges Raeders puis Christian Chenut
Les Cahiers de la Corporation (1926)
Georges Valois, Jacques Valdour
La Revue française La Revue du Siècle
(1321-1933) (avril 1933-mai 1934)
Dir. Antoine Redier Comité de rédaction :
Rédac. chef puis dir. : Gérard de Catalogne
Jean-Pierre Maxence Ch. Chenut, J. de Fabrègues
Charles Forot, Jacques Reynaud
La Revue du XXe siècle (nov. 1934-juin 1935)
Directeur : Jean de Fabrègues
Les Cahier d’Occident (1926)
Gérard de Catalogne, Emile Dufour, René Groos,
Pierre Godmé, Amédée d’Yvignac, Jean Héritier
Maurice de Gandillac, Tristan Derème, B. du Halda,
J. de Montbrial
L’Etudiant français (1920) L’insurgé Civilisation
Firmin Roz (janvier/octobre 1937) (avril 1938-juin 1939)
Jean Héritier Directeurs : Thierry Maulnier Animateurs :
Jean-Pierre Maxence J. de Fabrègues
Rédac. chef : Pierre Monnier Gabriel Marcel
Combat (janvier 1936-juillet 1939)
Directeurs : J. de Fabrègues
Demain Th. Maulnier (1942-1944)
Rédac. chef : René Vincent
La France Catholique
Lu de gauche à droite, ce schéma rend approximativement compte du glissement de Fabrègues de l’Action français vers un catholicisme « traditionaliste » pour user d’un mot sans contenu rigoureux.
Dans cette optique, comment éviter de se demander : « Mais que restait-il, donc, dans le directeur de La France catholique de la fin des années 1960, non pas du collaborateur de La Gazette française qui était, déjà, distanciée de l’Action française, au moins en ce qui concernait la religion et la littérature mais, bel et bien, du Jean de Fabrègues, secrétaire de Maurras et, encore plus profond, de l’adolescent Fabrègues, rêvant de sa vie et du monde à la lumière de l’Action française ? »
«Mon cher Maître, vous comprendrez pourquoi je me suis retiré dans le silence lorsque je vous aurai dit que, si je participe depuis six ans au mouvement d’Action française, à la Ligue comme président de section, puis secrétaire d’une Fédération, aux Camelots du Roi comme délégué, aux Étudiants, au journal enfin et auprès de vous-même, c’est depuis bien plus longtemps que je m’étais donné, en elle, à la cause royaliste. Je me souviens des soirs d’hiver où, jeune homme, je sentais m’envahir la mélancolie d’une vie bornée. Alors je prenais les Almanachs d’A.F. d’avant-guerre et je lisais l’histoire des premiers combats où je cherchais dans les « tombeaux » les leçons des belles âmes que vous y avez glorifiées. La bibliothèque d’Action française a été ma première bibliothèque personnelle, celle que ma mère m’achetait pour étrennes. Le jou où j’ai décidé – et je voudrais que ce soit pour un temps seulement, de quitter l’AF, je décidais de rompre avec tout cela, avec le souvenir des soirs où je rentrais dire, à ma mère qui n’est plus, nos batailles…»
Comment n’être pas ému en lisant cette lettre ou ce brouillon de lettre à Charles Maurras – produit par Mme Auzépy-Chavagnac ? Ce rêve de l’enfant ou de l’ado Jean de Fabrègues – qu’en a fait la vie ? De La Gazette française en Raction (pour l’Ordre), en Revue du Siècle, en Revue du XXe siècle, en Combat, en Demain, en La France Catholique comme terminal ?
Précisément, l’intérêt d’une recherche méthodique sur La France Catholique – non pas seulement au travers les articles de Jean de Fabrègues mais, non moins, de ceux qu’il choisit comme directeur et rédacteur en chef – est de comprendre le parcours de cet homme et, par derrière lui, d’autres hommes, ses semblables. Rêve échoué ou rêve métamorphosé en un rêve autre mais de même lignage ?
À éclairer…