Cette manifestation du 26 mai était nécessaire, indispensable, à tous points de vue. Sa première justification était de montrer que, non seulement la résistance à la loi Taubira ne s’était pas émoussée à la suite de sa promulgation, mais qu’elle s’était trouvée renforcée, organisée, approfondie. Tant de gens auraient voulu que ça s’arrête et que ça se disperse au plus vite ! À cette fin, tous les arguments auront été brandis. Le plus faible : on ne conteste plus une loi qui a été votée. Le plus troublant : le mouvement, en se radicalisant, devient dangereux pour l’ordre public et même pour les familles susceptibles d’y être violentées. Le plus psychologiquement pervers : c’est la manif de trop, vous allez vers l’échec… La marée humaine massée autour des Invalides, dimanche, s’est chargée de pulvériser ce climat d’intoxication psychologique, en montrant que, non seulement le mouvement ne s’affaiblissait pas, mais qu’il ne cessait de gagner en densité, en conviction, et en détermination.
J’ai moi-même usé de l’analogie avec ce qui s’était passé en 1968, en expliquant que ce qui était en cause, c’était un ébranlement décisif des fondements d’une civilisation. Mais les différences apparaissent de plus en plus nettement. En 1968, on ne savait pas le fond de l’histoire que l’on croyait faire naître. Toutes les justifications idéologiques étaient inadéquates, tous les discours en décalage. Surtout, on ne comprenait pas que la révolution que l’on voulait promouvoir allait être immédiatement engloutie, suite à ce que Hegel appelait une ruse de la raison. Adam Smith allait s’emparer du marquis de Sade, pour en faire l’agent principal d’une culture hédoniste de consommation. L’alliance improbable des libéraux et des libertaires allait se fonder sur le meurtre de l’utopie impossible. Ce qui, justement, ne risque pas de se produire dans la conjoncture de 2013, parce qu’est en train de se faire jour la révélation des cœurs en même temps qu’une ouverture béante aux enjeux de la post-modernité. Ce n’est plus « socialisme ou barbarie », c’est : « humanité ou barbarie ».
Certes, les enjeux sont tellement lourds que la désignation des chantiers à ouvrir est presque sans fin. Il faudra se battre sur tous les terrains : spirituel, philosophique, sociétal, politique. Dans cette perspective, il faudra que les centaines de milliers de volontaires de la Manif pour tous soient sollicités à bon escient, pour que chacun trouve sa vocation dans le champ des tâches à remplir. L’été sera intense, en donnant à la mobilisation ses nouvelles modalités. On pense notamment aux universités de réflexion qui commencent à s’organiser et auxquelles nous donnerons l’écho le plus complet possible.