L’Etat islamique : fiction et réalité - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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L’Etat islamique : fiction et réalité

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L’ « Etat islamique » est fondamentalement une fiction plutôt qu’une réalité. Un Etat a des frontières, un gouvernement central et une structure bureaucratique. L’EI n’a rien de tout cela, même si certains l’ont défini comme un « proto-État ». Ce que nous devons affronter est en fait une force militaire bien armée et dévastatrice, cherchant à contrôler un territoire de plus en plus vaste.

Cet « État islamique » fictif permet à l’Occident d’ignorer la menace plus grave que pose l’islam aux institutions occidentales. L’islam est l’antithèse de l’Europe. Tolérer l’intolérable comporte très souvent des conséquences désastreuses. La récente destruction d’un avion russe et les attentats de Paris n’en sont que deux exemples.

Pour comprendre l’islam, sans les déformations imposées par les controverses actuelles, nous vous conseillons de commencer par l’ouvrage d’Ignaz Goldziher, Le dogme et la loi dans l’islam : histoire du développement dogmatique et juridique de la religion musulmane [Geuthner et l’Eclat, 2005]. Ce livre a une genèse intéressante. Invité en 1906 à faire une série de conférences aux Etats-Unis, Goldziher les rédigea en allemand, mais pour des raisons de santé et faute de se procurer une traduction anglaise satisfaisante, ne vint jamais les présenter lui-même outre-Atlantique. Une édition allemande apparut en 1910, mais une bonne traduction anglaise ne fut publiée qu’en 1981 (Princeton University Press).

Le grand spécialiste anglo-américain de l’islam, Bernard Lewis, rédigea l’introduction. Goldziher, explique Lewis, était un juif hongrois, qui, par suite de son intérêt pour le sujet et de ses connaissances linguistiques, devint un « orientaliste » respecté, selon le terme utilisé à Vienne à l’époque pour désigner les spécialistes du Moyen-Orient. Selon Lewis, dans son approche de la foi, de la loi, des doctrines et des pratiques musulmanes, Goldziher était mieux placé que les chrétiens pour étudier l’islam et comprendre les musulmans. Connaître les lois rabbiniques et se soumettre aux préceptes facilite la compréhension de la Loi sacrée de l’islam et de ceux qui la respectent.

Le philosophe français Rémi Brague, un grand érudit lui aussi, qualifie également Goldziher de plus grand spécialiste vivant de l’islam.

Le mot « islam », nous explique Goldziher, signifie « soumission ». Le mot désigne donc avant tout l’état de dépendance de l’homme par rapport à une Omnipotence illimitée à laquelle il doit se soumettre et abandonner sa volonté. La soumission est le principe dominant propre à toutes les manifestations de l’islam ; il pénètre ses idées, ses formes, son éthique et son culte et l’exige, évidemment, des peuples conquis. L’adhésion à l’islam n’implique pas seulement un acte de soumission réelle ou théorique à un système politique, mais aussi l’acceptation de certains articles de foi. C’est là que gît le lièvre.
Le prophète n’était pas un théologien. La théologie islamique a donc été fatalement l’œuvre des générations suivantes. L’islam ne comporte pas l’uniformité doctrinale d’une Eglise. Son histoire et sa dynamique interne, nous démontre Gordziher, se caractérisent par l’assimilation d’éléments étrangers. Le développement dogmatique de l’islam a subi l’influence de la pensée hellénique et doit beaucoup aux idées politiques persanes ; le néo-platonisme et l’hindouisme ont contribué au mysticisme islamique. Les différences entre le sunnisme et le chiisme découlent d’influences externes.

Rémi Brague, professeur de philosophie médiévale arabe à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) et lauréat du Prix Ratzinger 2012, est l’auteur d’un ouvrage tout aussi éclairant intitulé Au Moyen Age : philosophies médiévales en chrétienté, judaïsme et islam.

Traitant de la genèse de la culture européenne, Brague rappelle à ses lecteurs que l’Europe a beaucoup emprunté d’abord au monde gréco-romain, ensuite à la culture arabe, et finalement à Byzance. Brague souligne que, pour les chrétiens, la vérité révélée constitue le commandement suprême. Les révélations musulmane et juive, qui sont présentées comme des lois, ne posent pas le même problème que la révélation chrétienne.

Concilier la religion et la philosophie constitue un problème épistémologique pour le christianisme, mais pour l’islam et le judaïsme concilier religion et révélation pose un problème politique. En outre, à la différence de l’islam et du judaïsme, le christianisme comprend le Magistère de l’Eglise qui impose son autorité dans le domaine intellectuel.

Pour illustrer la différence entre le christianisme et l’islam, Rémi Brague fait appel aux œuvres d’Ibn Khaldun, érudit musulman du XIVe siècle. Selon Khaldun, la communauté musulmane a le devoir religieux de convertir tous les non-musulmans à l’islam de gré ou de force.

D’autres groupes religieux n’ont pas la même mission universelle, déclare Khaldun, et la guerre sainte n’est pas un devoir religieux pour eux, sauf s’ils doivent se défendre. Dans ces groupes religieux, la personne chargée des affaires religieuses ne détient pas le pouvoir politique. En dehors de l’islam, l’autorité royale échoit à ceux qui en sont investis par accident ou par un autre moyen qui n’a rien à voir avec la religion, et ils ne sont pas tenus par la religion d’imposer leur pouvoir aux autres nations [erreur dans le texte]. Selon Khaldun, la guerre sainte n’existe qu’au sein de l’islam et c’est en vertu de la charia qu’elle incombe aux dirigeants musulmans.

Sortant du cadre strictement théologique, Brague se demande comment les grands philosophes de l’islam considèrent le djihad. Il pose la question à trois aristotéliciens – al Farabi, Avicenne et Averroès. Tous les trois autorisent la guerre sainte contre ceux qui refusent l’islam : al Farabi et Averroès contre les chrétiens et Avicenne contre les païens de son pays, la Perse.

Al Farabi qui habitait dans des territoires où l’ennemi était l’empire byzantin a établi une liste de sept motifs justifiant la guerre, notamment le droit de la faire pour acquérir un bien que l’Etat désire mais qui se trouve en la possession d’un autre Etat ; et le droit de faire la guerre sainte pour forcer des peuples à accepter ce qui vaut mieux pour eux s’ils ne l’admettent pas spontanément.

Averroès, écrivant dans la partie occidentale de l’empire musulman, approuve sans réserves le massacre des dissidents, réclamant l’élimination des peuples dont l’existence pourrait nuire à l’Etat. Avicenne approuve lui aussi la conquête et accorde volontiers aux dirigeants le droit d’anéantir ceux auxquels la vérité a été offerte, mais qui l’ont rejetée.

Les dirigeants occidentaux luttant contre l’Etat islamique ne reconnaissent pas en général les véritables motivations de ceux qui se sont engagés dans le djihad. Par couardise ou par suite d’une affligeante ignorance, ils continuent à parler (mettant ainsi en péril l’Europe) des «lointains territoires de l’Etat islamique », sans affronter la menace réelle.

Samedi 28 novembre 2015

Illustration : Saint Thomas d’Aquin triomphe du Coran.

http://www.thecatholicthing.org/2015/11/28/fictional-isis-and-the-true-threat/

Jude P. Dougherty est doyen émérite de la faculté de philosophie de la Catholic University of America.