"L’Essor du Christianisme Oriental", d'Olivier Clément - France Catholique
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Dieu face à l'État
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« L’Essor du Christianisme Oriental », d’Olivier Clément

Olivier Clément, avant de nous quitter, nous a laissé de quoi réfléchir sur le destin si imbriqué, malgré les incompréhensions et les violences, des Églises d’Orient et d’Occident, entendons : l’Église de Constantinople avec ses prolongements slaves et l’Église de Rome. . par le Père Michel Gitton
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Compte tenu de la fantastique ignorance des Français sur l’histoire du Moyen Âge en général et du monde byzantin en particulier, voici une entreprise d’explication qui s’avère plus que nécessaire, si on veut sortir des simplismes et des clichés. Et c’est un maître qui nous introduit dans sa méditation d’historien et de théologien et nous fait partager ses découvertes d’un monde fascinant, où ruissèlent la beauté, l’ascétisme, la rigueur intellectuelle, et un mystérieux humanisme de la Résurrection.
L’idée de base est que, pour l’Orient byzantin, la période qui va en gros du VIIIe au XIIIe siècle est le cadre d’une intériorisation des découvertes théologiques des siècles précédents (essentiellement centrées sur le Christ). Là, c’est le mystère du Saint-Esprit qui est premier, avec pour corollaire la mise en valeur d’un chemin personnel de liberté intérieure, y compris dans l’Église, et la possibilité pour de nouvelles cultures de s’édifier dans une fidélité profonde à la source évangélique, mais dans une imprévisible nouveauté qui évoque le miracle de la Pentecôte. On retiendra particulièrement les pages sensibles consacrées à l’étrange destinée du chris­tianisme russe, né de l’éblouissement éprouvé au contact de la liturgie byzantine et se maintenant à travers des aléas sans fin, sans autre boussole que la foi. (1)

En regard, le monde latin semble évi­demment offrir un triste contraste : majoration de l’autorité du Siège romain, intellectualisme rationalisant, cléricalisation du monachisme et de la société, usage de la violence pour préserver une chrétienté sacralisée, et, à la racine de tout, le dogme du Filioque (l’Esprit Saint qui procède du Père et du Fils), cause de tous les maux…

Olivier Clément est trop ouvert à la réalité du christianisme vécu pour ignorer les limites de ce tableau en contraste, il sait la puissance spirituelle de l’art roman, l’évangélisme profond du renouveau franciscain, etc. Mais reste, malgré tout, pour lui, une tare profonde de l’Occident latin qui n’a pas réussi à exorciser ses démons : le rationalisme et le juridisme, qui dérivent l’un et l’autre de ce qui aurait pu être sa force, son sens de l’efficacité.

Le constat est certainement injuste et on se dit que, pour dénouer l’écheveau et se situer en vérité face à nos frères orthodoxes, il nous faudra sans doute continuer à les écouter avec respect et sympathie, mais les aider aussi à sortir d’un système de justification, qui a sans doute été nécessaire, quand ils arrivaient en Occident, pour se situer face à un Catholicisme alors triomphant, voire triomphaliste, mais que leur dénonciation de l’« hérésie latine » laisse encore place à beaucoup d’approximations. On a redécouvert par exemple aujourd’hui (2) que l’introduction du Filioque dans le Credo ne date pas de Charlemagne, mais est nettement plus ancienne, en Espagne notamment, et que l’intangibilité du Credo de Nicée-Constantinople n’a pas été arrêtée tout de suite.
Il faudra pouvoir dire que la vision d’une « Église indivise » ou Église des sept conciles, merveilleusement réunie dans l’accord des cinq pa­triarcats, est une vue de l’esprit qui laisse de côté non seulement le « proto-schisme », si lourd de conséquences, entre l’Église pagano-chrétienne et la synagogue, mais la terrible séparation avec les chrétiens d’au-delà du Jourdain, qui est scellée après Chalcédoine (451) et laisse en dehors de la vie de l’Église (romaine et by­zantine) tout un patrimoine littéraire, théolo­gique et mystique que nous redécouvrons aujourd’hui avec émerveillement. (3)

Michel GITTON

* Olivier Clément, L’Essor du Christianisme Oriental, DDB, 2009, 140 pages, 15 €.
(1) Ces réflexions consonent parfaitement avec celles de Jean-François Colosimo (in France catholique, n°3151, pages 8 à 11).
(2) L’étude d’Olivier Clément était parue sous le même titre en 1964 au PUF.
(3) Ce sera le thème du n°128 (à paraître) de la revue Résurrection (diffusée par les éditions DDB).