De manière très surprenante, au début de son essai intitulé Au commencement était la guerre (Fayard), Alain Bauer, ancien Grand Maître du Grand Orient de France, ne craint pas de citer le texte des Béatitudes selon saint Matthieu dans son intégralité. Quel contraste avec la substance de sa démonstration ! Là où l’Évangile fait entrevoir un univers de paix et de sérénité, la réalité brutale du temps nous plonge dans l’ « enfer » de la guerre présent sur toute la surface du globe. Il est vrai qu’une lecture attentive de saint Matthieu invite à ne pas du tout considérer la paix comme un acquis. Bien au contraire, l’esprit des Béatitudes est à acquérir à l’encontre d’un monde hostile. Il s’agit bien d’affligés, d’affamés, d’assoiffés, de persécutés pour la justice. Et le sort des chercheurs de Dieu et de son Royaume n’est nullement enviable, car ils sont à la merci de persécutions, d’insultes, de calomnies. La récompense qui attend les justes n’est pas de ce monde. Leur joie n’en sera que plus grande dans les cieux.
« Jamais plus la guerre »
Serait-ce à dire que l’idéal évangélique est disproportionné par rapport aux forces guerrières qui s’affrontent non seulement en Ukraine, mais dans le Soudan actuel, dans toute l’Afrique de l’Ouest, et bien ailleurs ? On peut, en effet, s’interroger sur les efforts des papes contemporains pour s’opposer à la logique meurtrière des rapports impérialistes. Benoît XV n’a-t-il pas échoué dans sa tentative de mettre fin à la Première Guerre mondiale ? De même, Pie XII s’est trouvé impuissant face à l’éclatement de la Seconde. Plus tard, l’avènement de Jean XXIII coïncide avec un espoir de coexistence pacifique entre l’Est et l’Ouest. Ce fut l’occasion d’une encyclique célèbre Pacem in terris, qui entendait définir les relations entre les nations à partir du respect scrupuleux de « l’ordre établi par Dieu ». Et c’est dans le même esprit que Paul VI allait lancer à la tribune des Nations unies, le 4 octobre 1965, son apostrophe : « Jamais plus la guerre ! Jamais plus la guerre ! »
Mais on sait que cet esprit de coexistence pacifique fut démenti, notamment avec la guerre du Vietnam. Et il fallut attendre la chute du mur de Berlin en 1989, pour que renaisse l’espoir d’une détente internationale. On se souvient d’ailleurs que l’action de Jean-Paul II fut décisive dans cette chute de l’empire soviétique. Elle était de nature tout à fait pacifique, tout en ébranlant une construction fondée sur l’athéisme : « Nul ne peut exclure le Christ de l’histoire de l’homme en quelque partie du globe ! »
Réarmement de l’Europe
Cependant, ce tournant incontestable va provoquer sur le moment des espoirs démesurés, avec la perspective d’une « fin de l’histoire ». Nous n’en sommes plus là, et le pape François peut même parler d’une « troisième guerre mondiale par morceaux ». Régulièrement, le même François énumère les foyers de guerre à travers le monde. Et lui, qui prône le désarmement nucléaire, est bien obligé d’assister à un réarmement généralisé de l’Europe. L’Allemagne, que son passé criminel avait amenée à se réfugier sous le seul parapluie américain, décide d’un effort budgétaire sans précédent pour sa défense. Ainsi, contre tout idéalisme, sommes-nous contraints à « préparer la guerre qui vient pour retenir la paix qui s’en va » selon l’expression d’Alain Bauer. Mais n’est-ce pas aussi le moment de revivre l’esprit des Béatitudes pour offrir un horizon qui anticipe le Royaume des cieux ? « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. »