La réalisatrice française Anne Fontaine a joint ses forces à celles de cinéastes polonais pour créer ce qui est, à mon avis, jusqu’à présent le meilleur film de l’année 2016, un film qui devrait intéresser tous les catholiques et devrait être l’année prochaine un bon candidat pour l’Oscar du Meilleur film étranger. Les Innocentes est un soulagement bien venu après les films contre l’Eglise que Hollywood produit à la chaîne, sauf bien sûr lorsqu’il y a un démon à exorciser, auquel cas – pour emprunter le slogan d’une relance ratée de l’été – Qui allez-vous appeler ?
Il y a aussi des démons aussi ici, mais ils ne sont pas d’un autre monde. Quand le film d’Anne Fontaine commence, deux phrases apparaissent à l’écran : « A partir d’événements réels » et « Pologne, décembre 1945 ». Les « démons » sont des soldats russes qui envahissent un couvent polonais et violent les religieuses.
Une des plus grandes vertus de ce film est qu’il s’intéresse à une partie de l’histoire de la Pologne qui fut refoulée pendant les années du pacte de Varsovie quand il était dangereux en Pologne de dire du mal des Soviets. Les Innocentes raconte une partie, brève mais horrible de cette histoire et il le fait avec une retenue admirable et une totale conviction, surtout compte tenu du fait que dans la réalité les soldats non seulement violèrent les religieuses mais en massacrèrent vingt.
Ces horreurs sont connues depuis longtemps, mais on a trop peu parlé, écrit ou filmé. Comme Christopher Andrew et Oleg Gordievsky dans KGB : The Inside Story (1990), pendant les années 1944-194(, “ la Pologne fut à plusieurs reprises dévastée par des rafles et des tactiques de terreurs… incluant l’incendie de villages entiers, [ et le] meurtre et le viol de femmes et de filles à un échelle énorme. » En fait, pendant la « libération » de la Pologne, 100 000 Polonaises ont été violées par des soldats russes, anciens prisonniers de guerre, et autres apparatchiks soviétiques.
Mais attention : Madame Fontaine ne montre pas ces crimes. Nous ne commençons à apprendre les horreurs vécues par les religieuses que quand, pendant que les sœurs chantent l’Office divin, nous entendons un cri – une des religieuses est dans les douleurs de l’enfantement.
Une novice hardie se glisse hors du couvent pour chercher une femme qui est médecin dans un hôpital de la Croix Rouge française. Le docteur Mathilde Beaulieu (joué par l’actrice française Lou de Laâge) hésite à suivre la jeune religieuse, mais quand elle le fait, elle est étonnée de ce qu’elle découvre. Les Innocentes ne cherche jamais à faire un compte exact du nombre des sœurs qui sont enceintes. Le film n’a pas pour sujet des chiffres mais des êtres humains. Cependant le timing donne a penser que quand la première religieuse met au monde, les autres vont suivre. Le docteur Beaulieu retrousse ses manches.
Les Innocentes est aussi une théodicée : comment pouvons-nous justifier le fait que Dieu permet le mal ? Le film pose la question de différentes façons, bien qu’il n’en soit guère besoin au-delà des faits qui nous sont montrés, et il risque par moment, en philosophant, de perdre sa retenue qui est sa caractéristique. Pourtant il est parfaitement compréhensible que les personnages du film – les religieuses et le docteur – en parlent. Mais bien que la question soit posée, il n’est jamais donné de réponses, parce que pour madame Fontaine, les réponses sont dans les actions.
Elles peuvent venir en prière, actes de courage, et expressions de piété mais, et c’est le plus important, dans l’amour. Et, à la fin, les actes d’amour surmontent la souffrance et la honte et le doute et le désespoir.
La direction de Fontaine est discrète, et avec raison. Sous la main et l’œil de quelqu’un d’autre, Les Innocentes (originellement titré Agnus Dei) pouvait devenir épouvantablement macabre. Mais madame Fontaine centre l’intérêt du film sur les femmes cloîtrées et sur le médecin qui les aide.
Le rythme du film est pour une grande part celui de la vie conventuelle, et le ton général du film est donné par la cinéaste Caroline Champetier (Of Gods and Men), dont la palette est si sombre que les murs gris du couvent, l’habit bénédictin des sœurs, et les extérieurs lugubres de l’hiver font que le film semble presque tourné en noir et blanc. Et Fontaine n’a pas peur du silence qui aide à dessiner la vie cloîtrée – sans parler du fait que le silence crée la tension : certaines sont silencieuses par honte ; d’autres aspirent à briser le silence.
Madame de Laâge est superbe dans le rôle du docteur Beaulieu, comme l’est l’actrice polonaise Agata Kulesza dans celui de la Mère Supérieure. Mais l’âme du film est l’interprétation d’une autre Polonaise, Agata Buzek. Elle joue Sœur Maria, le bras droit plein de rigueur de la Mère Supérieure. On a connu peu d’acteurs capables de se déplacer avec une telle fluidité et une telle transparence, un rôle unique dans l’efficacité glacée, la passion spirituelle et le profond désespoir. Ne serait-ce que pour ses yeux seulement elle mérite d’être déclarée Meilleure actrice dans un rôle secondaire.
Le premier principe de la réalisation de film, reconnaît-on, c’est que les personnages doivent évoluer – ils ne peuvent demeurer inchangés à la fin, bons ou mauvais. Les transformations sont éblouissantes, quoique, dans le style du film, subtiles. Le docteur Beaulieu a passé une nuit au couvent et est réveillé par le chant des religieuses qui récitent probablement prime ou tierce. Elle se faufile jusqu’au chœur et note avec une sorte de joie combien la foi transforme les visages des sœurs. Après tout ce qu’elles ont vécu. Ce ne sont pas des folles qui se rabattent sur quelque illusoire mécanisme d’adaptation. Ce sont des religieuses catholiques, réalistes d’une plus haute réalité. Il y a ici l’espérance : nadzieja en polonais ; l’espérance en français.
Un autre principe du cinéma est le climax : il rattache les liens défaits ou lâches et nous propulse vers la fin. C’est comme les deux masques du théâtre grec : Thalia (comédie) et Melpomène (Tragédie) si nous comprenons « comédie » comme les Grecs (et Shakespeare) : la fin dans la joie. Le docteur Beaulieu et Sœur Maria apparaissent avec un plan joyeux qui sauve les corps et les âmes. La Mère Supérieure, cependant, se retire dans l’isolement, attendant la mort dans le découragement, parce que, comme dit Maria, elle illustre peut-être la théodicée : « Derrière toute joie il y a la Croix. »
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Les Innocentes, réalisé avec une distribution très limitée, a un MPAA de PG-131. Il n’y a aucune nudité (bien que deux personnages soient montrés dans leur lit) et une seule courte scène de violence – une tentative de viol mise en échec. La naissance d’enfant implique du sang.
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Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/07/25/lesperance-a-review-of-the-innocents/
http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=231540.html
Photo : Agata Buzek et Lou de Laage dans The Innocents.