Au commencement de ce que René Grousset appellera « l’épopée des croisades », dans son livre éponyme, il y a Urbain II. Né Eudes de Châtillon, d’une famille noble de Champagne, il n’avait pas vingt ans quand il avait vu son compatriote Eble de Roucy prendre avec la chevalerie de l’Est les routes de l’Espagne pour aller libérer l’Aragon de l’occupation arabe.
Élève de saint Bruno, le fondateur des Chartreux, il avait été moine à Cluny d’où le pape Grégoire VII, le fondateur de la réforme grégorienne, l’avait appelé à Rome pour continuer son œuvre. Après un bref intermède, il lui succédera sur le siège de Pierre, et, fidèle à son exemple, il lancera, à son tour, une expédition de chevaliers, mais du Midi ceux-là, pour libérer l’Espagne. « Or, écrit René Grousset, la reconquista espagnole, à cette date, c’était déjà comme les grandes manœuvres de la Croisade. »
Les méditations solitaires d’un pape
Comment Urbain II décida-t-il d’étendre à l’Orient la guerre de délivrance commencée à l’Occident extrême ? Pour répondre à cette question, il nous faudrait suivre le grand pape en ses méditations solitaires quand, du Palais du Latran, de son exil à Salerne ou des fenêtres de Cluny, en ces années du onzième siècle finissant, il promenait son regard sur le monde. « L’islam, surgi quatre cents ans plus tôt des sables de l’Arabie, couvrait maintenant, de la Syrie à l’Espagne, près de la moitié de l’ancien territoire romain, et le berceau du christianisme était toujours en son pouvoir. »
La déferlante avait grandi jusqu’à Poitiers où les Francs, en 732, l’avaient contraint à commencer son reflux. Charlemagne s’était tellement illustré dans cette lutte que La chanson de Roland, poème fondateur de l’Occident, décrivait cet affrontement comme consubstantiel à notre civilisation.
Quand Urbain II prend la route de Clermont, c’est l’empire turc qui s’est imposé, enlevant Jérusalem aux Arabes d’Égypte et Antioche aux Byzantins. En 1087, Malika-chah, le petit-fils des nomades sortis des profondeurs de l’Asie centrale vint symboliquement tremper son sabre dans les eaux de la Méditerranée.
Depuis la défaite de Malazgerd (1071), il était devenu évident que l’empire byzantin ne pouvait plus rien pour défendre la chrétienté. « De Nicée, où il avait pris pied, [Malika-chah] pouvait à tout instant surprendre Constantinople. La catastrophe de 1453 pouvait se produire dès les premières années du onzième siècle » explique René Grousset.
Comme les évêques du cinquième siècle se firent les « defensores civitatis », le pape de la fin du onzième siècle agit en « guide et défenseur de l’Europe ».
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