La réaction de notre collaborateur Aimé Michel n’a pas été sollicitée. Elle nous vient par courrier tournant. Nous la publions telle quelle, en espérant que le lecteur la prendra avec un grain de sel, comme nous-mêmes. Dans ces colonnes, Aimé Michel a souvent abordé la définition des sciences positives : on ne s’étonnera pas qu’il s’en prenne à des sciences conjecturales, dont les résultats sont toujours controversés, et que le temps rend souvent caduques.
Dieu me garde de vouloir ajouter mon mot dans les profondes et graves discussions des exégètes sur la résurrection de Jésus et de Lazare et sur l’envol (qui se dit maintenant, paraît-il, exaltation) d’Énoch et d’Élie. En les lisant, je découvre mon ignorance et le rouge de la honte me monte au front. Je croyais que le mot « résurrection », par exemple, ne posait aucun problème d’exégèse. Je m’imaginais qu’un ressuscité revenait à la vie.
Je n’aurais par conséquent jamais songé à me poser la question qui trouble tant le P. Xavier Léon-Dufour 1 : « Qu’est devenu le cadavre ? » (a). – Eh ! mon père, aurais-je été tenté, dans ma candeur, de lui répondre, de quel cadavre parlez-vous ? S’il y avait encore un cadavre au tombeau après la résurrection, c’est cela qui serait embêtant, si vous me passez cette familiarité. Il y en aurait un de trop, et Hercule Poirot lui-même ne saurait qu’en faire. Dans un cas pareil, l’incollable détective imaginé par Agatha Christie serait fondé à se retourner vers son auteur et à lui dire : « Dans quel pétrin m’avez-vous fourré ? ».
La biographie du Ressuscité
Mais je badine. Exégèse, Dieu merci, n’est pas roman policier : l’exégète fait appel à l’anthropologie, à la cosmologie, aux évidences scientifiques (b). Il est vrai qu’il invoque d’une façon faite tout exprès pour humilier le malheureux homme de science borné et qui ne comprend rien à rien, ce qui, du reste, est fort bon, car on n’humiliera jamais assez l’orgueil des savants.
Par exemple (c ), il parait que les données de chronologie et de topographie sont insuffisantes pour permettre de reconstituer quelque « biographie du Ressuscité » », et que cela est très ennuyeux. Ah ! diable (c’est le cas de le dire), et pourquoi donc ? En physique non plus, on ne peut pas reconstituer la « chronologie » et la « topographie » des particules, et j’aurais été porté à penser bêtement que si l’électron refuse de venir docilement pointer au guichet, le créateur de l’électron pourrait lui aussi en être tenu quitte.
Encore une fois, Dieu me garde de fouler les plates-bandes de l’exégèse dont je respecte infiniment les profonds mystères. Mais quand les exégètes se réfèrent aux sciences profanes, cela éveille ma curiosité.
Il paraît, nous dit-on, que « si les anciens n’avaient aucune difficulté à imaginer une disparition de la matière, nos contemporains se sentent en contradiction avec une de leurs évidences scientifiques » (d).
Vraiment ? quelle évidence ? et quels contemporains ? Les physiciens, quant à eux, prennent cela avec beaucoup de philosophie : quand de la matière disparaît, ils trouvent la chose d’un extrême intérêt et le notent sur leurs tablettes sans aucunement perdre le sommeil, bien au contraire : avec un peu de veine, c’est même là un coup à avoir le prix Nobel.
De plus, et à supposer que les évidences et les contemporains en question existassent quelque part, n’y aurait-il pas dans l’usage qu’on en fait une de ces erreurs de raisonnement comme tout savant bien né se délecte d’en trouver dans la publication d’un cher collègue ? Car si Jésus est ressuscité d’entre les morts, c’est qu’il est Dieu et, dès lors, les évidences scientifiques, c’est lui qui les fait. Ne pourrait-il éventuellement, s’il lui plaît, les défaire ? Il est vrai, je m’en avise à l’instant, que l’exégète connaît très probablement la bonne façon d’interdire au Créateur un usage immodéré de sa toute-puissance. Me voilà coi. Ne parlons donc plus de cette objection-là.
Quoique à la réflexion, et sauf égarement, une autre petite difficulté me semble naître à l’horizon. Supposons, en effet, le Créateur dûment et fermement interdit de tout prodige, de quoi parlions-nous donc au juste ? N’était-ce pas de résurrection ? La résurrection sans miracle ni prodige ? Nous voilà dans de beaux draps, et j’aime mieux m’en tenir là, non sans prier messieurs les exégètes d’agréer l’expression de ma très haute considération. 2
Je ne sais pourquoi cela me rappelle une discussion que nous eûmes l’autre jour, quelques amis et moi, entre poire et fromage. L’un de nous exprima l’avis (pas très original) que, décidément, la religion est chose difficile, qu’après deux mille ans de progrès, les voies de la sainteté sont toujours aussi escarpées, et qu’il serait temps d’inventer les moyens de mettre la religion à la portée de tout le monde, et surtout des mous, des tièdes et des paresseux, victimes d’une intolérable discrimination.
– Que nous chantez-vous là ? dit l’autre. Ces moyens existent. Je connais au moins une dizaine de ces pieux et faciles substituts de la sainteté dont les pharisiens étaient orfèvres au temps de Jésus… Les choses n’ont guère changé : battre sa coulpe sur la poitrine de l’Église ou dénoncer systématiquement autrui… Un bon truc, c’est l’ouverture au monde : vous allez de balthazars chez les francs-maçons en gueuletons chez les communistes, croissant chaque jour en mérite et en volume. Je vous donne le tuyau : il paraît qu’on mange mieux chez les francs-maçons, surtout au Grand-Orient. Il y a aussi la relecture.
Une démonstration peu charitable
– La relecture ? lui demandâmes-nous en chœur.
– Oui, vous prenez n’importe quelle lanterne à la mode, n’importe quelle fausse science comme il en traîne dans les revues intellectuelles, que sais-je ? la psychanalyse, l’astrologie, le structuralisme, la sémantique générale, et vous vous répandez en exposés intitulés : « Relecture structuraliste (ou korzybskyenne 3, etc.) de l’épître aux Romains ». Succès assuré.
– Entre tous ces moyens, lequel est le meilleur ? lui demandâmes-nous alors.
Oserai-je le dire ? Notre ami affirma que c’était l’exégèse. Je ne rapporterai pas sa démonstration qui manquait à la charité. Du reste, je crois qu’il se trompe. Au peu que j’en ai lu, l’exégèse moderne me parait une science infiniment ingrate.
Il est vrai que le texte sacré, lui, fut écrit par de pauvres ignorants qui ne savaient rien, à part la Vérité.
Aimé MICHEL
(*) Chronique n° 87 parue dans F.C. – N° 1322 – 14 avril 1972. Reproduite dans La clarté au cœur du labyrinthe, chap. 23 « Prodiges et miracles », pp. 579-581.
(a) France Catholique, n° 1320 du 31 mars.
(b) Ibidem, col. 1 et 2. p. 12, colonne 3.
(c) Ibidem, p. 9, col. 9.
(d) Ibidem p. 9, col. 2.
Les Notes de (1) à (3) sont de Jean-Pierre Rospars
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Rappel :
Entre 1970 et sa mort en 1992, Aimé Michel a donné à France Catholique plus de 500 chroniques. Réunies par le neurobiologiste Jean-Pierre Rospars, elles dessinent une image de la trajectoire d’un philosophe dont la pensée reste à découvrir. Paraît en même temps, une correspondance échangée entre 1978 et 1990 entre Aimé Michel et le sociologue de la parapsychologie Bertrand Méheust. On y voit qu’Aimé Michel a été beaucoup plus que le « prophète des ovnis » très à la mode fut un temps : sa vision du monde à contre-courant n’est ni un système, ni un prêt-à-penser, mais un questionnement dont la première vertu est de faire circuler de l’air dans l’espace confiné où nous enferme notre propre petitesse. Empli d’espérance sans ignorer la férocité du monde, Aimé Michel annonce certains des grands thèmes de réflexion d’aujourd’hui et préfigure ceux de demain.
Aimé Michel, La clarté au cœur du labyrinthe. Chroniques sur la science et la religion publiées dans France Catholique 1970-1992. Textes choisis, présentés et annotés par Jean-Pierre Rospars. Préface de Olivier Costa de Beauregard. Postface de Robert Masson. Éditions Aldane, 783 p., 35 € (franco de port).
Aimé Michel, L’apocalypse molle. Correspondance adressée à Bertrand Méheust de 1978 à 1990, précédée du Veilleur d’Ar Men par Bertrand Méheust. Préface de Jacques Vallée. Postfaces de Geneviève Beduneau et Marie-Thérèse de Brosses. Éditions Aldane, 376 p., 27 € (franco de port).
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- L’article incriminé fait suite à la critique du livre de X. Léon-Dufour, Résurrection et message pascal (Seuil, Paris, 1971) par le P. Louis Bouyer, de l’Oratoire (F.C., 1er octobre 1971). L.-H. Parias, directeur de La France Catholique, offre au P. Léon-Dufour de s’expliquer. Plusieurs théologiens lui répondent dans le même numéro (31 mars 1972) dont le P. Bouyer qui résume ainsi la thèse : « 1° Les faits historiques (…) correspondant à ce que les évangélistes nomment résurrection du Christ se réduisent (…) à : a) l’impression subjective des disciples qu’ils avaient rencontré le Christ vivant après sa mort ; b) la vacuité apparente du tombeau, quand les femmes y sont venues. 2° La “résurrection de Jésus” elle-même n’est pas un fait, si je comprends bien, mais une première interprétation de ce fait (…). Cette interprétation elle-même n’a de sens que dans un contexte de conceptions cosmologiques et anthropologiques caduques et ne peut donc plus avoir de sens pour nous, à supposer qu’elle ait jamais pu en avoir un qui fût réellement satisfaisant. Le “message pascal” (l’affirmation, toujours si je comprends bien, que “Jésus reste vivant” dans l’Église et dans le monde) peut et doit donc être dissociée de l’affirmation de la “résurrection” (…). Ces deux points constituent exactement ce qui me semble évaporer radicalement la foi traditionnelle de l’Église (…). J’ai le regret de dire que ceci me paraît la quintessence (…) du protestantisme libéral du XIXe siècle. Il y a bien longtemps que tout le monde est d’accord pour penser qu’une telle conception prive non seulement “la résurrection”, mais tout dogme, quel qu’il soit, de son sens, voire de la possibilité même d’avoir un sens. »
Le P. Léon-Dufour évoque ces disputes dans Dieu se laisse chercher. Dialogue d’un bibliste avec Jean-Maurice de Montremy (Plon, Paris, 1995). « De tous mes travaux, dit-il, il est le seul qui ait suscité des réactions violentes. La plus notable fut celle de Louis Bouyer. (…). En dépit des précisions que j’ai apportées à mes détracteurs, un groupe d’évêques français s’est alarmé. Du coup, l’Association catholique française pour l’étude de la Bible a pris ma défense. Bref, Rome a fini par s’inquiéter. Sans que je fasse l’objet de sanctions, disons que l’on m’a battu froid quelque temps. De là m’est restée, chez certains, la réputation de sentir parfois le soufre. » (p. 135). Il résume sa position dans les termes suivants : « A notre mort, nous serons pleinement nous-mêmes, en Dieu, sans nous dissoudre en cette vague impersonnalité heureuse – et, disons le, ennuyeuse – que certaines représentations idéalistes nous proposent. (…) On échappe mal aux centaines de “Jugement dernierˮ ou de “Résurrectionˮ qui hantent la peinture, mais rien – dans la tradition de l’Eglise – n’impose de lien entre le cadavre et l’être qui vit pleinement en Dieu. Tous nous serons changés, affirme saint Paul (1 Co, 15, 51), après avoir rejeté l’idée d’une reprise améliorée ou d’une réanimation transcendante de ce qui fut notre corps. Le cadavre de Jésus, lui-même, a disparu. Faute de mieux, je formulerai les choses ainsi : il n’existe pas une âme spirituelle distincte d’un corps matériel, l’âme perdurant et le corps restant là. Le corps et l’âme ne sont pas des matériaux, mais des modalités de l’être. Il existe un être – moi, vous – qui fut corps vivant et qui se maintient pleinement personnel au travers de la transformation de ses éléments, du temps et de l’espace. Evitons de penser cela sur le mode du merveilleux, du fantastique ou de la science-fiction. » (p. 134 ; cette dernière position est à comparer à celle de L. Bouyer, voir ci-dessous).
Xavier Léon-Dufour (1913-2007) fut l’un des exégètes les plus écoutés de notre époque. Auteur d’un grand nombre de livres, d’articles et de conférences, il enseigna l’Ecriture sainte à plusieurs générations d’étudiants. Son livre le plus connu Vocabulaire de théologie biblique (Cerf, Paris, 1962, réédité en 1970), écrit avec 69 collaborateurs, a été traduit en 24 langues. Il dirigea la collection « Parole de Dieu » créée à son initiative aux éditions du Seuil.Louis Bouyer (1913-2004) fut, selon les mots du cardinal Lustiger, « le moins conformiste des théologiens et parmi les plus traditionnels ». Ordonné pasteur luthérien en 1936, son étude de saint Athanase d’Alexandrie et l’influence de John Henry Newman notamment, le conduisirent au catholicisme où il fut reçut en 1944. Professeur à l’Institut catholique de Paris, il enseigna aussi en Angleterre, Espagne et Etats-Unis. Il participa au concile Vatican II comme consultant pour la liturgie. Il fut l’auteur de nombreux ouvrages, dont les principaux ont été récemment réédités au Cerf. Il dénonça les dérives postconciliaires (« Jamais on n’a imposé aux laïcs d’une manière aussi impertinente la religion des prêtres ou leur absence de religion »), le faux œcuménisme, l’inadaptation de certains évêques (« bureaucrates mitrés »). En écho à la chronique de la semaine passée, signalons que le P. Bouyer fut un ami de Tolkien. Dans Les lieux magiques de la légende du Graal (éditions O.E.I.L., Paris, 1986), il écrit « Tolkien (…) ne s’est pas contenté de montrer le caractère, non seulement de pérennité mais de vérités essentielles, et pour cela impérissables, des mythes, où s’est projetée l’intuition première du sens de l’univers et de la vie humaine. (…) Tolkien est aussi de ceux qui ont le mieux compris et expliqué comment la nouveauté de ce que juifs et chrétiens ont cru être la parole divine ne pouvait s’exprimer humainement qu’en faisant sienne, fût-ce en les transfigurant, les images des mythes. » Voir aussi les articles de Falk van Gaver (http://eucharistiemisericor.free.fr/index.php?page=0401091_louis_bouyer) et Mark Brumley (www.catholiceducation.org/articles/apologetics/ap0097.html).
- La thèse du père X. Léon-Dufour est également discutée dans la chronique Mythes et mythologues in La clarté , chap. 19, p. 489.
- Alfred Korzybski (1879-1950) fut le créateur d’un système non aristotélicien, la Sémantique générale, popularisé par le romancier de science-fiction A.E. Van Vogt dans Le monde des à et Les aventures de Ã, traduits par Boris Vian.