La mort de Giulio Andreotti a ranimé la mémoire des confrères qui s’intéressent de longue date à nos amis Italiens. Car c’est une sacrée figure que celle de cet ancien président du Conseil, indéracinable du pouvoir pendant un demi-siècle et, qui plus est, dont la réputation se trouve entachée de troubles relations avec la Mafia. Il faut préciser tout de suite qu’Andreotti est sorti blanchi de son long périple judiciaire et qu’il a toujours fermement nié les accusations dont il était l’objet. Mais voilà, l’Italie ne peut être détachée de tout ce contexte qui nous surprend souvent mais qui est singulièrement prégnant dans une partie de la société de la Péninsule.
J’ai moi-même un souvenir très précis de Giulio Andreotti. C’était en 1987, au meeting de Rimini, organisé chaque année par Communion et Libération, ce mouvement catholique si vivace et si créatif. Il faut imaginer un rassemblement de vaste ampleur, qui tient à la fois d’un congrès, d’un festival artistique et aussi d’un événement religieux. La part du débat y est considérable, avec l’arrivée des plus hautes personnalités venues du monde entier. Andreotti était présent, bien visible à Rimini, avec sa démarche inimitable. Il ne faisait aucun doute que non seulement il soutenait Communion et Libération, mais qu’il en était ! Le fait en soi est assez paradoxal, si l’on songe que le fondateur du mouvement, Don Luigi Giussani, avait voulu faire l’aggiornamento complet d’un système ecclésiastico-politique dont Andreotti semblait être le symbole parfait. Par système, il faut entendre le complexe qui liait le parti de la démocratie chrétienne et l’Action catholique italienne, et dont la puissance fut presque sans partage, avant qu’il ne tombe sous le poids des scandales.
Je ne puis détailler une histoire compliquée. Simplement, Don Giussani avait vu, très jeune, les défauts de la cuirasse de ce système un peu trop tranquillement et lourdement installé. Il lui semblait qu’il fallait réveiller les âmes et les cœurs par plus de profondeur spirituelle, par un ressourcement théologique et aussi par de nouvelles formes d’interventions sociales et culturelles. Andreotti avait-il compris le message ? En tout cas, il collaborait étroitement au projet, jusqu’à diriger Trenta Giorni un mensuel très connu en Italie et très représentatif des choix de Communion et Libération. Cela n’empêche pas que son personnage demeure une énigme bien troublante. Aux historiens, peut-être, de nous en dévoiler les vrais ressorts.