En quelques jours, l’Agence de biomédecine, l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix scientifiques et technologiques (OPECST) et le Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE) ont livré leurs rapports alors que, dans le même temps, était annoncée au Conseil des ministres du 26 novembre la composition du Comité de pilotage des états-généraux de la bioéthique prévus au 1er semestre 2009. Présidé par le député UMP Jean Leonetti, ce comité comprend aussi Alain Claeys, député PS, Marie-Thérèse Hermange, sénatrice UMP, Sadek Beloucif, professeur de médecine, Claudine Esper, professeur de droit et Suzanne Rameix, philosophe. Il rendra son rapport fin juin.
Selon l’adage, « il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée ». Or la loi bioéthique de 2004 a prétendu « entrouvrir la porte » à la recherche sur l’embryon. La dérogation au principe d’interdiction s’appliquant aux « embryons surnuméraires ne faisant plus l’objet d’un projet parental ». Leur nombre est évalué à 40% quelque 176 000 embryons humains vivants stockés dans les congélateurs des centres d’assistance médicale à la procréation. La pression pour aller plus loin semble être devenue insoutenable, notamment celle de la concurrence internationale entre chercheurs.
C’est une stratégie des petits pas qui a permis aux promoteurs de la recherche sur l’embryon de parler d’« exception soigneusement encadrée » dans un premier temps, avant de traiter désormais d’ « hypocrisie » les précautions qu’ils avançaient comme arguments. Peu ou prou, toutes les instances régulatrices censées réguler l’appétit des chercheurs sont entrées dans cette « logique ». Emmanuelle Prada-Bordenave peut bien affirmer que l’Agence de biomédecine qu’elle dirige est garante d’un « respect absolu de l’embryon », cette formule résonne comme une surprenante dénégation – signe d’un malaise ? – lorsqu’on constate ce qu’elle préconise le même jour :
1/Alors que, selon la loi actuelle, la recherche doit se poursuivre en vue de « progrès thérapeutiques majeurs », l’agence propose qu’elle se fasse en vue d’une « amélioration des connaissances ». Autrement dit, on substituerait un mobile scientifique à un mobile thérapeutique, il est vrai hypocrite depuis le départ, mais qui a permis de légitimer la transgression originelle.
2/La recherche sur l’embryon ne doit aujourd’hui se poursuivre qu’à défaut d’une méthode alternative. L’agence affirme que les méthodes alternatives comme la recherche sur les cellules souches adultes ne sont pas concurrentes mais complètent la recherche sur l’embryon. Autrement dit, on ne privilégierait plus les recherches éthiques.
3/Les embryons actuellement utilisés ne peuvent être que des embryons d’abord conçus pour un projet parental et donnés par la suite à la science. L’agence propose d’en créer à fins exclusivement de recherche. Autrement dit, on créerait des êtres humains uniquement dédiés à être exploités par le reste de l’humanité. C’est un véritable tabou qui est franchi par cette dernière préconisation montrant le rapide effondrement des barrières éthiques qui protégeaient l’embryon.
On voit mal en quoi on sortirait de l’hypocrisie, d’autant qu’aucun argument scientifique n’est avancé pour justifier qu’on prive l’embryon humain des droits de l’homme.
Seul bémol, Emmanuelle Prada-Bordenave laisse entendre que certains embryons pourraient bénéficier de la recherche en étant implantés dans un utérus maternel, plutôt que d’être systématiquement détruits par cette pratique.
De leur côté, les parlementaires de l’OPECST se sont montrés tout aussi transgressifs en estimant que « la loi doit dire clairement que la recherche sur les embryons est autorisée », tout en dissimulant à nouveau cette posture derrière la promesse d’ « un haut niveau d’encadrement ». L’OPECST va jusqu’à préconiser l’autorisation du clonage, à condition qu’il n’aboutisse pas à faire naître les clones, mais il prend soin d’utiliser un autre vocabulaire : « la transposition nucléaire ». Le bémol des parlementaires – mais s’agit-il de présenter un repoussoir comme gage de leur sagesse ? – c’est leur opposition à « la transposition nucléaire inter-espèces », autrement dit la création de chimères, autorisées outre-manche. Quant au CCNE, il se limite pour le moment dans son « mémoire » rendu public mercredi à poser les « axes de la réflexion », remettant à plus tard son avis sur la recherche sur l’embryon in-vitro.
Derrière ce vaste remue-méninges, plus qu’une ligne solidement argumentée se dessine l’explosion d’un relativisme dont l’embryon humain fait les frais. Cette dérive est paradoxale alors que les espoirs se tournent désormais bien davantage vers les cellules du sang du cordon ombilical. L’OPECST recommande d’ailleurs une campagne d’information sur ce sujet. Prélevées au moment de l’accouchement, ces cellules ont le triple avantage d’être éthiquement neutres, totalement compatibles avec le donneur (le nouveau-né) mais aussi avec de nombreux autres receveurs, pour autant que la collecte s’effectue sur une grande échelle.
Si ce n’est pas par la voie de l’éthique, ce sera peut-être par celle de l’efficacité que notre société humanisera son regard sur l’embryon.