Ces derniers temps, l’état des universités catholiques me ramène à l’esprit un jeu de mots paillard issu du roman « Jayber Crow », de Wendell Berry. Questionné sur sa santé, un vieux paysan répond qu’il est devenu « raide où il avait coutume d’être souple et souple où il avait coutume d’être raide ».
Il en va de même de nos universités. Nous sommes dogmatiques quand nous devrions être favorables à une investigation libre et ouverte, hésitants et négligents quand nous devrions être fermes.
A notre époque, les plus virulentes hérésies viennent d’en-bas, pas de l’Enfer, auquel les gens ont cessé de croire, bien que ses fumées soient faciles à détecter parmi nous, mais de la région pubienne.
Les hérétiques ne sont plus ce qu’ils étaient. Des temps de flamme intellectuelle pouvaient produire un Marcion ou un Arius. Des temps d’expérience mystique intense pouvaient engendre un Maître Eckhart ou un Joachim de Flore, chacun d’eux dansant sur la corde raide. Aujourd’hui, tout ce que l’on a, c’est du politiquement correct et des drapeaux arc-en-ciel. Remboursez !
Permettez-moi de donner un exemple tiré de mon propre établissement. J’ai récemment critiqué plusieurs de mes collègues laïques parce qu’ils sont mal à l’aise voire hostiles vis à vis du caractère catholique de Providence College et vis à vis de l’enseignement classique – bien qu’un peu élagué – en littérature et sciences sociales et humaines que nous proposons toujours à nos étudiants dans le programme « développement de la civilisation occidentale ».
Un des groupes de l’autre bord, piqué par la critique, a produit une déclaration niant catégoriquement cette hostilité et, dans le même élan, affirmant leur opposition déterminée à « l’homophobie » et au « sexisme » et leur résolution à se battre contre ces maux.
Je reconnais que ce n’étaient pas les seuls ennemis dans leur ligne de mire, mais il m’a frappé, en lisant leur déclaration, que soit ils n’avaient pas idée de ce que l’Eglise enseignait sur la sexualité, soit qu’ils croyaient que quel que soit cet enseignement, il était modelable, changeant sans cesse, comme de l’argile dans les mains du grand dieu de l’Histoire.
Ils sont contents de l’Eglise aussi longtemps que l’Eglise pense exactement comme eux en ce domaine.
Si vous dites : « je crois que les actes homosexuels sont gravement désordonnés et que ceux qui encouragent les enfants à les expérimenter avec eux sont des pervers », cela peut vous mener à la radiation à un endroit comme De Paul, et cela vous attire la colère de ce groupe et d’autres groupes à Providence College.
Si vous dites : « il y a des différences fondamentales entre les hommes et les femmes, physiologiques et psychologiques, qui marquent profondément leur être », vous serez accusé de « sexisme » et on s’interrogera sur votre dévouement envers la « diversité » – en raison de votre défaillance à croire qu’en matière de différence sexuelle, il n’y a pas de diversité du tout.
Vous pourriez appeler cela la théologie de l’auto-désincarnation. Vous pourriez désigner vos inclinations sexuelles par n’importe laquelle des lettres de l’alphabet, et peut-être par des lettres qu’il reste à inventer ; mais vous ne devez surtout pas aligner vos pensées et vos actes avec la diversité que Dieu a imprimé dans le corps humain réel, le faisant mâle ou femelle. Une brochure sur la théologie du corps pourrait être condamnée pour harcèlement sexuel.
En des temps de santé mentale, vous auriez été condamné pour harcèlement si vous aviez tenté de convaincre une jeune femme d’avoir des relations sexuelles avec vous. A l’époque actuelle, vous pourriez être accusé de harcèlement si vous dites à des jeunes gens non mariés que de façon générale, ils n’ont pas le droit d’avoir de relations sexuelles avec qui que ce soit.
La vérité est un chemin vers la vérité. Nous ne pouvons pas, dans aucun champ intellectuel, toujours embrouiller ce qui a été clairement établi. Le cœur pompe le sang, la terre tourne autour de son axe, l’anglais est une langue germanique, Dieu a fait le ciel et la terre, la fornication est mauvaise.
Par « clairement établi », je veux dire « clairement établi pour un catholique romain », comprenant que le catholique aura de l’ouvrage pour persuader les autres que ces choses touchant la foi et la morale sont vraies. Pas « vraies pour les catholiques », ce qui n’aurait aucun sens, mais vraies, tout simplement.
Cependant les catholiques ne devraient pas avoir à passer tout leur temps à guider les faibles et ouvrir les yeux des demi-aveugles. Il y a une autre tâche à accomplir. Le pape Jean-Paul II nous a donné un exemple de ce travail quand, prenant pour base la doctrine catholique, il se lance dans une investigation riche et subtile sur ce que cela signifie sexuellement être incarné, et ce que le mariage entre un homme et une femme implique.
Si vous devez sans arrêt disputer à propos des fondations, vous ne pourrez jamais rien construire. Si vous devez toujours vous quereller à propos de la destination de votre pèlerinage, vous ne quitterez jamais vos quatre murs.
En attendant, si mes collègues laïques sont un indice, les écoles catholiques doivent être dogmatiques sur toute une liste de problèmes sociaux mille fois plus longue que le Credo de Nicée, impliquant des problèmes humains qui admettent une grande variété d’approches. C’est ce qui arrive quand la politique contemporaine supplante la foi.
En des temps de santé mentale, si vous dites « je ne crois pas en Dieu », les gens vous prennent en pitié et prient pour vous, ou tentent de vous montrer où vous avez déraillé. A l’heure actuelle, si vous dites « je pense que le programme d’aide aux familles avec enfants à charge a souvent eu l’effet pervers de dissuader les jeunes gens de se marier d’abord », vous serez condamné.
Si vous dites « je ne crois pas à la catégorie dénommée race », vous ne serez pas simplement condamné – vous serez condamné comme raciste. Si vous essayez de déterminer les traumatismes de l’enfance qui mènent certains garçons à mener une vie de futilité et de maladie – si vous essayez bravement d’entrer dans cette souffrance – vous serez accusé de peur irrationnelle ou de haine absolue.
La véritable foi a ses mystères qui transcendent la raison. La politique, cette fausse foi, a ses confusions qui n’atteignent pas le niveau de la raison.
Mais ces miens collègues sont-ils également hostiles au cursus de littérature et de sciences humaines et sociales ? Affaire à suivre.
Anthony Esolen est conférencier, traducteur et écrivain. Il a écrit plusieurs livres et il enseigne à Providence College.
Illustration : Providence College, à Rhode Island.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/11/29/the-church-is-not-putty-in-the-hands-of-history/
Pour aller plus loin :
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- Une histoire en guise d'avertissement (Les débats entre Lincoln et Douglas en 1858)
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