L’Église n’est pas un establishment - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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L’Église n’est pas un establishment

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La crucifixion de saint Pierre 1660, Luca Giordano.

La crucifixion de saint Pierre 1660, Luca Giordano.

[Gallerie dell’Accademia, Venice]

Si vous le permettez, je commencerai par une parole de sagesse tirée des Lectures on the Present Position of Catholics in England [Conférences sur la situation présente des catholiques en Angleterre] de saint John Newman. Parlant de l’établissement d’une religion d’Etat, voici ce qu’il écrit :

« Maintenant, vous allez dire que le catholicisme a souvent été aussi une religion établie. C’est vrai, mais le catholicisme ne dépend pas de son establishment pour son existence et sa tradition ne vit pas non plus sur son establishment ; elle peut agir sans être établie, et souvent s’en dispense pour son bien. Une nation catholique, en fait, établit le catholicisme parce que c’est une nation catholique ; mais, en ce cas, le catholicisme et sa tradition viennent en premier, et l’establishment en second ; l’establishment est une action spontanée du peuple, c’est un mouvement national, c’est le peuple catholique qui le fait, et non l’Église catholique. Ce n’est que l’événement lié à un état particulier des choses, le résultat de la ferveur du peuple ; c’est la volonté des masses ; mais, je le répète, ce n’est pas

L’establishment, pensait Newman, était plus caractéristique du protestantisme que du catholicisme. « L’Etablishmentisme est la vraie vie du protestantisme », écrit-il.

« Le protestantisme ne peut durer sans un establishment, alors que le catholicisme le peut ; et ensuite, je le dis, cet establishment du protestantisme n’est pas l’œuvre du peuple, n’est pas un développement de leur foi, n’est pas porté par des acclamations, mais est un acte de têtes qui calculent, de la politique de l’Etat, du pouvoir royal ; l’œuvre de certains princes, hommes d’Etat, évêques, dans le but, si possible, de rendre national ce qui jusque ici n’est pas national et qui, sans ce patronage, ne serait jamais national ; et, donc, dans le cas du protestantisme, ce n’est pas une question de plus grande ou moins grande convenance, parfois recommandée, parfois non, mais c’est toujours nécessaire, toujours impératif, si le protestantisme doit survivre ; en d’autres mots, le protestantisme pénètre dans la nation, le protestantisme est maintenu non par les voies de la raison et de la vérité, non par les exigences de la réalité, mais par la tradition, et par une tradition contraignante ; et cela, en d’autres mots, c’est un establishment.

Certains catholiques aujourd’hui opposent « non-establishment de la religion » et disposition favorable « intégrant » l’Église et l’Etat, non comme un « acte spontané » provoqué par la « ferveur du peuple », mais « comme « un acte de têtes calculantes de la politique de l’Etat, l’œuvre d’hommes d’Etat et d’évêques, dans le but, si possible, de rendre national ce qui comme maintenant n’est pas national et qui, sans ce patronage, ne serait jamais national » Cela, comme Newman nous le fait sagement remarquer, serait une erreur.

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Mais si Newman semble trop vieux-jeu, que dire des paroles de sagesse venues du grand pape émérite dont nous pleurons maintenant le décès. Dans Deus Caritas est, le pape Benoît XVI écrit :

« Fondamentale pour le christianisme est la distinction entre ce qui appartient à César et ce qui appartient à Dieu (mt 22 : 41), en d’autres mots, la distinction entre l’Église et l’État, ou, comme le Concile Vatican II le précise, l’autonomie de la sphère temporelle. L’État ne peut imposer une religion, mais il peut garantir la liberté religieuse et l’harmonie entre les fidèles des différentes religions. » (28)

Et de nouveau, dans la même encyclique :

« La doctrine sociale catholique a sa place ; elle n’a pas l’intention de donner à l’Église le pouvoir sur l’Etat ; d’autant moins est-elle tentative d’imposer à ceux qui ne partagent pas les modes de pensée de la foi et les modes de conduite propres à la foi. Son but est simplement d’aider à purifier la raison et contribuer, ici et maintenant, à la reconnaissance et à la réalisation de ce qui est juste. »

L’enseignement social de l’Eglise argumente à partir de la raison et de la loi naturelle, c’est-à-dire, à partir de ce qui est en accord avec la nature de chaque être humain. Elle reconnaît que ce n’est pas la responsabilité de l’Église de faire prévaloir cet enseignement dans la vie politique. Plutôt, l’Église aide à former les consciences dans la vie politique et à stimuler une plus grande perspicacité dans les exigences authentiques de justice aussi bien qu’une plus grande disposition à agir en accord avec elles.

Et pour finir : « L’Eglise ne peut pas et ne doit pas se charger du combat politique pour en créer la société la plus juste possible. Elle ne peut ni ne doit remplacer l’État. »

À ce propos, nous pourrions relever l’expression malheureuse souvent entendue pendant les cérémonies qui suivirent la mort de Benoît. Selon certains comptes rendus, il était « exposé » à Saint-Pierre. Je sais que c’était dit avec respect et que le terme « exposé » est employé couramment. Mais strictement parlant, « être exposé », c’est quand, après son décès, un personnage officiel du gouvernement, comme le chef de l’Etat, est placé dans un édifice public pour permettre aux gens d’aller lui rendre hommage. Mais Saint-Pierre n’est pas un édifice du gouvernement ; c’est une église. Et le pape n’est pas non plus vraiment un « personnage officiel du gouvernement ». D’accord, il s’agit de la capitale de l’État du Vatican, qui a une superficie totale d’environ 54 hectares avec une population qui s’élève à 825 personnes. Mais il y a des petites villes en Iowa avec des populations plus nombreuses et une superficie plus étendue.

Ce qui s’est passé à Saint Pierre devrait plus convenablement être décrit comme une « visitation » avant les funérailles. Les gens qui venaient prier pour Benoît le faisaient non pas d’abord parce qu’il était le chef d’un État mais parce qu’il était le Vicaire du Christ, le Successeur de saint Pierre, le « rocher » sur lequel l’Église a été bâtie, un homme dont le corps fut déposé sans fanfare dans ce qui était alors une terre vide, nue, à côté de ce qui est maintenant Saint Pierre, après avoir bu à la même coupe de crucifixion où son Seigneur avait bue, dans un Empire romain où le sang des martyrs furent les semences de l’Eglise

En rappelant nos origines, il serait bon pour les gens de tous bords de se rappeler que le pape n’est pas un monarque, pas plus qu’il n’est le « Président de la bureaucratie de l’Église Catholique Universelle ». Il est « le serviteur des serviteurs de Dieu » – un titre qui devrait rappeler aux catholiques que nous n’établissons pas le Royaume de Dieu par le pouvoir mais par le service.