A la fin des années 70, Jimmy Carter, Président à l’époque, a essayé de tenir une « Conférence de la Maison Blanche sur la Famille » pour traiter des défis qui émergeaient déjà concernant la plus importante des relations humaines. Il a immédiatement rencontré une farouche opposition politique contre ce qui était perçu comme une idée de la famille trop étriquée et rigide. Après que les divers groupes intéressés aient fait leur noyautage, un nouveau titre fut annoncé : « La Conférence de la Maison Blanche sur les Familles ». Un changement insignifiant, pourriez-vous penser, mais un spécialiste de la famille perspicace notait que la définition révisée de la famille adoptée par les organisateurs de la conférence « s’appliquait tout aussi bien à la famille nucléaire traditionnelle qu’à deux clochards alcooliques partageant un wagon de marchandises. » Avec probablement une foule d’autres choses entre les deux.
Il y a là un récit édifiant. Chercher à mettre en valeur tout ce qui porte quelque valeur humaine, comme cherchent à le faire nos politiciens actuels, conduit à des confusions absurdes entre ce qui fonctionne normalement – et plutôt bien – et certains des phénomènes les plus dysfonctionnels dans l’histoire de l’espèce humaine.
Les évêques rassemblés à Rome au Synode de la Famille ont beaucoup parlé de reconnaître différentes sortes de familles, mais – et il faut en être reconnaissant – sans chercher la sorte d’intégration politiquement correcte qui abolit souvent les vraies distinctions dans nos débats purement politiques. Quand les évêques ont parlé de diversité dans les familles, ils ne sont pas allés plus loin que la reconnaissance des familles d’autres cultures qu’européenne et nord-américaine. Ils ont dit de manière répétée que nous nous focalisons trop sur la communion des divorcés remariés et les unions homosexuelles au lieu de nous préoccuper des questions plus larges sur la manière de promouvoir et soutenir les familles.
Je me sens une obligation d’insister sur cette particularité positive du synode parce que beaucoup des réactions qui nous parviennent depuis les États-Unis ici à Rome manifestent une sorte de panique diffuse, comme si ce que tout le monde craignait de voir changer dans l’Église était sur le point d’arriver. En fait, les signes sont plutôt excellents alors que les réunions des évêques se poursuivent. Mais nous sommes encore seulement dans la phase d’analyse préliminaire de la situation. Nous n’en sommes pas encore arrivé aux propositions de solutions, qui ne seront examinées que dans un peu plus d’une semaine. Mais si vous vous sentez stressé par la procédure synodale, prenez une pause. Il y a, au milieu de nombreuses indéniables difficultés, quelques fermes piliers à l’œuvre à Rome.
Nous avons obtenu des informations substantielles vendredi parce que le Vatican a publié les rapports des petits groupes de langue qui se sont réunis pour passer en revue le document de travail officiel (l’Instrumentum laboris), qui avait été présenté aux évêques avant le début du synode. Il y a treize de ces groupes, constitués d’une vingtaine de personnes environ, pour la plupart des évêques ayant un droit de vote sur les changements proposés, mais également des experts non-votants et des invités laïcs ayant une expérience dans des programmes pour le mariage. Les principales langues sont l’anglais, le français, l’espagnol, l’italien et l’allemand, mais il vaut la peine de signaler que – à l’exception de l’allemand – chaque langue couvre plusieurs pays, voire même plusieurs continents, comme c’est le cas pour l’anglais par exemple. Et depuis la disparition du latin comme langue officielle de l’Église, l’italien est devenu une sorte de lingua franca à Rome pour quiconque ne parle pas couramment une des autres langues majeures.
Ces groupes de langue ne mettent pas l’accent sur les mêmes choses, comme vous pouvez vous en douter, mais il n’y a rien ou presque dans leur premier ensemble de rapports qui nécessiterait de tirer la sonnette d’alarme. Vous pouvez tous les lire ici (un lien) si vous avez les connaissances linguistiques nécessaires et l’esprit à ça. Ils n’étaient pas prévus à l’origine pour être publiés, mais c’est l’un des signes de la façon dont le Vatican répond aux inquiétudes quant à un processus fermé : les rapports seront publiés à la fin de chaque semaine. Lors de la conférence de presse d’aujourd’hui et dans les rapports eux-mêmes, plusieurs se demandent comment les centaines de distinctions qui ont déjà été débattues et formulées pourront être prises en compte par la commission chargée de produire le document final. Gallicus A (le groupe 1 de langue française) qui n’a rien offert de très pénétrant dans son rapport établit cependant que « certains d’entre nous qui ont l’expérience [des synodes] expriment un certain malaise à l’idée que tous les changements que nous allons proposer, modifier et adopter après de fructueux débats ne seront pas entièrement préservés. »
Mais au-delà de cette inquiétude quant au destin de leurs efforts, plusieurs groupes proposent – à côté de suggestions spécifiques – une réorientation plus fondamentale de la manière dont l’ensemble du document devrait procéder. Par exemple, Gallicus B (le groupe 2 de langue française), dirigé par le grand cardinal africain Robert Sarah, de Guinée, commence avec l’observation que les pères synodaux devraient être « une Église qui avance de concert en vue de lire la réalité avec les yeux de la foi et le cœur de Dieu. » Cela en lieu et place du ramassis de sociologie et d’anthropologie molles qui traverse la partie 1 du document de travail comme étant une description des défis auxquels nous faisons face à propos de la famille.
Anglicus A (le groupe 1 de langue anglaise) qui a pour modérateur le cardinal australien George Pell et comme rapporteur Joseph Kurtz, président de la conférence des évêques catholiques des USA, affirme : « En Jésus-Christ, Parole faite chair, nous trouvons la source de l’espérance pour la famille dans le monde contemporain. Par conséquent, la confiance en Lui doit être le premier et le dernier mot du synode. C’est les yeux fixés sur Jésus que nous commençons. » Anglicus B (le groupe 2 d’anglais) lève toute ambiguïté, ce n’est pas un château en Espagne mais au contraire quelque chose qui peut nous aider « à nous concentrer sur les questions de marginalisation, qui échappent facilement à la mentalité de la culture dominante dans beaucoup de nos sociétés. Une analyse basée sur sur la lumière de la foi peut conduire à un discernement plus profond de la façon dont les familles souffrent de marginalisation et de formes de pauvreté qui vont au-delà de la pauvreté économique pour inclure des formes sociales, culturelles et spirituelles. » Et pour lever tout doute, ils parlent de « familles qui sont marginalisées ou contre qui est pratiqué une discrimination en raison de leur foi en Jésus-Christ », et pas seulement en Irak ou en Syrie.
En plus des peurs primitives que le processus synodal soit manipulé (dissipées pour le moment), un autre problème a surgi. Sur certains points, il n’est pas clair de savoir à qui les évêques sont en définitive supposés s’adresser : au pape ? Aux familles ? À l’Église toute entière ? Au monde ? Cela fait une grande différence quant au langage à adopter et aux thèmes à discuter. Anglicus D (le groupe 4 de langue anglaise), présidé par le cardinal Thomas Collins, de Toronto, et ayant pour rapporteur l’archevêque Charles Chaput, trouve le document de travail suffisamment négatif pour conduire sans le vouloir à une sorte de désespoir, en plus d’être « désordonné », « sans aucune logique interne », sujet à des généralisations mensongères et « manquant de beauté, de clarté et de force. »
Le cardinal philippin Luis Antonio Tagle, qui faisait partie du comité ayant préparé le document de travail officiel, a reconnu tout cela lors de la conférence de presse de vendredi et a expliqué que c’était à peu près inévitable pour inclure les écrits de tous les contributeurs sans en exclure injustement un seul. Les rédacteurs espéraient que ce serait vigoureusement débattu. Et ça l’est.
Pourtant, dit le groupe 4 de langue anglaise, « par dessus tout, les membres ressentent que le pape François et le peuple chrétien méritent un meilleur texte, dans lequel les idées ne soient pas noyées dans la confusion. »
Si les choses se poursuivent comme elles ont commencé, ce pourrait être, Deo volente (Dieu le voulant), exactement le cas.
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/10/10/the-church-deserves-better-and-may-get-it/
Photo : Le cardinal Sarah.