William Cavanaugh est un des théologiens contemporains que j’apprécie au plus haut point, tant ses travaux sont toujours éclairants, aussi bien pour comprendre notre situation de chrétiens dans l’histoire que pour affronter le présent. C’est avec bonheur que j’ai reçu, hier matin, son dernier essai, intitulé Comme un hôpital de campagne. On aura évidemment reconnu l’expression de notre pape François dans un entretien qui a fait date, publié en 2013 par toutes les revues jésuites : « Je vois avec clarté que la chose dont a le plus besoin l’Église aujourd’hui, c’est la capacité de soigner les blessures et de réchauffer le cœur des fidèles, la proximité, la convivialité. Je vois l’Église comme un hôpital de campagne après une bataille. Il est inutile de demander à un blessé grave s’il a du cholestérol ou si son taux de sucre est trop haut ! Nous devons soigner les blessures. Ensuite nous pourrons aborder le reste. »
Magnifique sujet pour Cavanaugh, ce catholique laïc, si aigu dans sa détection théologique de nos engagements indispensables. Mais avant même de le suivre dans sa réflexion, je ne puis m’empêcher de me référer à cette pratique de l’hôpital de campagne, pour tenter d’affronter un de nos défis les plus douloureux, celui de l’avortement. On sait que le projet de loi polonais d’abolition totale de ce qu’on appelle pudiquement l’IVG a été abandonné. Franchement, je m’y attendais et je craignais que ce projet ne desserve la lutte pour la vie plus qu’il ne la serve, à force de braquer l’opinion et de provoquer la révolte. Nous sommes sur un terrain extraordinairement délicat, où justement, c’est la pratique de l’hôpital de campagne qu’il faut mettre en œuvre, plutôt qu’une attitude qui risque de produire des catastrophes.
Mais il faut reconnaître que cette pratique même se heurte à des obstacles redoutables, notamment à cause de ce qu’on peut appeler un fanatisme abortif, qui n’admet aucune objection à l’avortement, aucun débat moral. Cela donne lieu à une proposition de loi ahurissante de la part de Mme Rossignol, qui veut créer un « délit d’entrave numérique » pour empêcher l’expression de la liberté de conscience sur le net. Il s’agit ni plus ni moins d’entraver justement les volontaires de l’hôpital de campagne pour les empêcher d’exercer leur service auprès des femmes en détresse. C’est un énorme scandale qui devrait mobiliser toute l’opinion non captive d’une propagande proprement totalitaire.