Cette enquête sur l’institution catholique face à la pédophilie est réduite à 1 h 30. Ce n’est pas beaucoup car le présentateur a parcouru le monde et ne fait chaque fois qu’effleurer un vaste scandale. Mais cela paraît long à regarder parce que le constat est accablant : en Italie, aux États-Unis, en France, au Chili, en Argentine, en Australie…, l’Église n’a pas encore pris la mesure du scandale de la pédophilie en son sein.
Dans le diocèse d’Altoona-Johnston, en Pensylvanie, Marc Rozy s’est fait élire à la chambre des représentants de son Etat avec un seul objectif : obtenir la levée de la prescription qui protège les anciens pédophiles. Lui-même a été violé par un prêtre en 1984 alors qu’il avait 13 ans. Les enquêteurs ont retrouvé au siège de l’évêché les dossiers de 50 prêtres mis en cause dans des affaires de pédophilie et que l’Institution avait tenté de réhabiliter notamment par des traitements psychiatriques, mais sans jamais s’en remettre à la justice civile. Cela a été la cause de nombreuses récidives. De plus ce sont 250 prêtres du diocèse qui ont pu être mis en cause, soit un quart des effectifs. Même si toutes les accusations ne sont pas forcément étayées. Au Minesotta 850 affaires de prêtres pédophiles font actuellement l’objet d’enquêtes de police. En Californie, il y en a 1000. Aux Etats-Unis, quand la justice passe, il faut payer des indemnités parfois considérables aux victimes. On cite le chiffre de 3 milliards de dollars d’indemnités pour l’ensemble des diocèses américains. Quinze diocèses, qui ont été jugés responsables pour les crimes de prêtres pédophiles, sont d’ores et déjà en faillite. Les biens immobiliers peuvent être vendus. Les dépenses sont limitées à l’essentiel. Cela veut dire, par exemple, que toutes les œuvres caritatives comme des soupes populaires ou des foyers, voire des écoles catholiques sont menacées. D’autres diocèses sont dans le collimateur d’avocats spécialisés. La justice américaine poursuivrait bien le Vatican si elle pouvait. La bataille juridico-diplomatique a déjà connu quelques escarmouches.
Dans d’autres pays, rien n’est prévu pour indemniser les victimes. Or les crimes sont tout aussi graves. Le cas du père Nicola Corradi (82 ans) est emblématique. Il a sévi durant des dizaines d’années dans des Instituts pour enfants sourds-muets à Vérone en Italie et en Argentine dans les diocèses de Buenos-Aires et de Mendoza. On l’accuse de corruption de mineurs, de sodomie sur des enfants de 5 à 12 ans, d’actes de torture… Il avait des complices ou des émules parmi le personnel, un autre prêtre, une religieuse ont aussi été mis en cause. La police les a arrêtés et la justice argentine les poursuit. En Italie, la justice voudrait rouvrir les dossiers malgré la prescription. Depuis quand la congrégation gérant ces établissements était-elle au courant, les évêques, le Pape argentin lui-même ?
Ce reportage est déprimant parce que la thèse qui fait de la pédophilie dans l’Église un phénomène « systémique » est finalement convaincante, même si elle est loin d’être la seule concernée par ce type de criminalité. Ce que le reportage omet d’ailleurs de signaler.
Le reportage donne la parole à un jésuite médecin, Gerard J. McGlone, qui donne des explications psychologiques mesurées. Ça ne rassure personne de savoir que certains de ses patients semblent avoir une maturité psycho-affective bloquée à l’âge où ils ont eu leur vocation religieuse !
« La violence sexuelle est un abus de pouvoir »
Article paru dans Arte-magazine :
Malgré les promesses du pape François, les abus sexuels sur mineurs et le silence perdurent au sein de l’Église catholique, comme le montre un documentaire alarmant. Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef de La Croix et spécialiste du Vatican, y témoigne. Entretien.
Pourquoi tant d’abus sexuels au sein de l’Église ?
Isabelle de Gaulmyn : Le célibat n’est pas un problème en soi. Mais les prédateurs du clergé sont entourés de beaucoup d’enfants, d’où un effet de démultiplication : ils peuvent être à la fois prêtres, aumôniers de scouts, etc. Le problème réside en fait dans leur statut : ils sont placés au-dessus de tout le monde, dans un cocon, et ont tendance à en rester à une affectivité d’adolescent. À 18 ans, on leur dit : « Ne t’inquiète pas, tu as une relation spirituelle avec Dieu et ça suffit », et à 26, ils craquent. Les plus gros scandales surgissent dans les pays où le catholicisme reste très clérical, comme l’Irlande ou les États-Unis, et où les prêtres jouent un rôle important dans l’Église. Car la violence sexuelle est avant tout un abus de pouvoir.
En 2005, vous avez alerté le cardinal de Lyon Philippe Barbarin sur les rumeurs d’abus sexuels commis par le père Preynat. Que s’est-il passé alors ?
Il n’a rien fait. J’ignorais encore, quant à moi, jusqu’où était allé le prêtre. Mais je n’étais pas alors dans un processus d’alerte et je m’en suis voulu. Quand l’affaire a été révélée en 2015-2016 *, tout le monde à Lyon savait, des parents aux anciens enfants scouts. Nous étions tous enfermés dans un terrible silence, que j’ai raconté dans un livre **. Ce qui n’exonère pas l’Église de ses lourdes responsabilités.
Quel bilan, provisoire, tirez-vous de l’action du pape François, qui a parlé de « tolérance zéro » ?
S’il a instauré la commission pour la protection des mineurs, il a mis trop de temps à réagir à certains scandales, notamment en Amérique latine. Mais il ne peut tout contrôler. Comme journaliste qui a suivi le Vatican durant quatre ans, j’ai pu mesurer les limites d’une administration romaine réduite à 4 000 personnes et peu performante. Le Vatican ne peut s’ériger en police du monde catholique et de ses 1,2 milliard de croyants. L’Église ne change jamais d’elle-même. Seules les victimes la poussent à évoluer. Et l’institution catholique a du mal à considérer que les victimes la constituent aussi. Elle ne se préoccupe que des prêtres.
Comment jugez-vous l’action de l’Église en France ?
Elle a agi assez tôt, vers 2000, avec un grand rassemblement à Lourdes, puis des directives stipulant qu’il fallait dénoncer les prêtres coupables et ne pas les muter dans d’autres paroisses. Mais elle n’a pas poursuivi dans cette voie avec assez de rigueur. En outre, l’émergence de l’association La Parole libérée a été déterminante. La médiatisation de la parole des victimes en a encouragé beaucoup d’autres, dont certaines ont témoigné de faits très anciens. L’Église de France a alors dû faire face à tout ce qui avait été tu depuis soixante ans. Le travail, au moins, a été commencé. Ce n’est pas le cas, par exemple, des milieux sportifs, où règne l’omerta.
* Une action en justice est en cours.
** Histoire d’un silence, Seuil, 2016.
Propos recueillis par Pascal Mouneyres
Europe1 : Pédophilie : le dossier explosif d’un évêque chilien poursuit le pape
http://www.europe1.fr/international/pedophilie-le-dossier-explosif-dun-eveque-chilien-poursuit-le-pape-3567257
Aide soignant et diacre, condamné pour viol de patientes handicapées
http://www.ledauphine.com/france-monde/2018/02/08/un-aide-soignant-lourdement-condamne-pour-avoir-viole-des-patientes
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- Sur le général de Castelnau et le Nord Aveyron.
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ
- Édouard de Castelnau