L’Église entre deux feux - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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L’Église entre deux feux

Axel Kahn et Marc Peschanski se sont battus pour l’autorisation de la recherche sur l’embryon, avec des postures complémentaires, oscillant entre cathophobie et malhonnêteté intellectuelle. Efficace, à en juger par le récent vote du Sénat.
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Derrière l’adoption par le Sénat d’une nouvelle version de la loi bioéthique qui autorise explicitement la recherche sur l’embryon, émergent les figures des deux scientifiques qui ont le plus pesé dans le sens de ce vote. L’un, Axel Kahn avait été auditionné une nouvelle fois par les sénateurs, et l’autre, Marc Peschanski avait lancé une annonce par conférence de presse à la veille des débats, en forme d’appel à lever l’interdiction. Aussi déterminés l’un que l’autre, très médiatisés, les deux chercheurs visent régulièrement l’Église. Mais ils n’ont pas adopté la même tactique. Catholique devenu agnostique, Axel Kahn fait assaut d’amabilités et se dit « attaché aux valeurs chrétiennes » tandis que son collègue, qui n’a rien renié de son trotskisme, fulmine.

Marc Peschanski, biologiste, pionnier français des recherches sur l’embryon, est un jusqu’au-boutiste. Il fut en première ligne dans la controverse sur l’usage des fonds du Téléthon qui l’oppose à l’Église catholique à partir de 2006 : son équipe est hébergée depuis 2005 au Génopole d’Évry par l’Association française de lutte contre les myopathies (AFM). Son désir de trouver a rencontré là les attentes éperdues des familles éprouvées par ces graves maladies génétiques. Leurs souffrances constituent le paravent de ses pratiques. S’y opposer, c’est vite paraître inhumain. Il le sait et en joue. Avec l’embryon, Marc Peschanski n’a rien trouvé de réellement thérapeutique à ce jour, même s’il a saisi l’occasion du passage de la loi au Sénat pour annoncer une « première mondiale », dans l’explication d’une maladie. Des collègues chercheurs comme Alain Privat, Monique Adolphe ou Alexandra Henrion ont commencé de le contester publiquement car il existe à leurs yeux l’alternative des cellules IPS « reprogrammables » qui ne pose pas de problème éthique. Cette extraordinaire découverte de Yamanaka, en 2007 a même détourné Ian Wilmut, « père » de la brebis Dolly, du clonage… Mais Peschanski est-il libre de faire machine arrière après tant de promesses, tant d’espoirs mis sur son nom, et aussi tant d’investissements financiers de l’AFM ? Il persévère et attaque. Une vidéo argumentaire qui circule actuellement sur Internet laisse entendre que son équipe est bridée, alors qu’elle pourrait trouver des solutions à des maux aussi emblématiques que les maladies de Parkinson ou d’Alzheimer. Selon lui, « la loi de bioéthique a été, depuis l’origine, faite sous la pression d’une religion, qui est la religion catholique avec sa hiérarchie, qui a pesé de tout son poids pour qu’un certain nombre de préceptes de cette Église soient préservés ». La charge se précise dans une tribune du Monde (6 avril 2011). Pour Peschanski, les catholiques seraient coupables d’ « agression anti-scientifique » et de mensonge. Le biologiste leur reproche d’être « opposés à toute atteinte à ce qu’ils considèrent comme un être humain dès la fécondation ».

Que la vie commence à la conception, voilà donc le « précepte » honni.
Sur Le Monde.fr, Mgr Jérôme Beau et le père Brice de Malherbes du collège des Bernardins ont répliqué : « Le fait que l’embryon humain soit un être humain dès la fécondation n’est pas une opinion mais une réalité anthropologique appuyée par les données de la science. »
Marc Peschanski exploite sans vergogne une idée reçue utile à son lobbying : les catholiques seraient dogmatiques et les scientifiques rationnels. Il semble qu’il lui est plus facile d’attaquer l’Église que de répondre aux pairs qui le contestent. Pourtant l’argumentation de l’Église se fonde sur les données vérifiables qui ne cessent de confirmer l’humanité de l’embryon, alors que les chercheurs transgressifs recourent à des thèses obscurantistes comme lorsqu’ils taxent les embryons convoités d’ « amas de cellules », ou décrètent leur « utilité » sans jamais démontrer leur indignité. Car il faudrait logiquement prouver que l’embryon n’est pas un être humain digne de respect avant de revendiquer son utilisation comme matériel de recherche.
Mais Marc Peschanski sait récuser en bloc les garde-fous éthiques. Il déclarait en 2003 : « La science est l’activité sociale d’une communauté mondiale et, en ce sens, elle ne peut être freinée par l’expression de positions philosophiques, politiques, religieuses ou autres, que l’on regroupe sous le terme d’éthique. » Il ajoutait : « La recherche scientifique est, en elle-même, une valeur éthique. » C’est avec de tels préceptes qu’on a bien failli remettre en France le titre d’« Homme de l’année 2005 » au professeur sud-coréen Hwang. C’était aux Victoires de la médecine, juste avant qu’on ne découvre en Hwang un faussaire manipulateur, qui prétendait avoir réalisé le premier clonage humain. Tout fut précipitamment annulé. De la cérémonie, qui devait se tenir aux Folies Bergère, à la conférence de presse du jeudi 24 novembre 2005. On devait y entendre, côté à côte, les professeurs Hwang et… Peschanski plaider en faveur du clonage humain thérapeutique.

Le Sud-Coréen est désormais banni de la communauté scientifique et le clonage a du plomb dans l’aile. Mais le professeur Peschanski l’a longtemps revendiqué et toujours au nom d’une « communauté scientifique internationale » qu’il voudrait « plus unie ». C’est ce qu’il expliquait dans le cadre de l’émission « Science-friction » au cours d’un débat avec Axel Kahn, en 2004. Jean-Yves Nau a relevé ces échanges, diffusés sur France Culture, pour la revue Médecine et Hygiène en septembre et octobre de la même année. Aux yeux de Peschanski, l’interdiction du clonage « pose évidemment problème puisqu’il y a rupture du contrat qui lie le monde scientifique et la société » alors que « la création d’embryons par clonage permettrait d’obtenir du matériel biologique » plus riche que celui que laissent les seuls embryons surnuméraires. Il évoque notamment ceux qui sont issus du DPI (diagnostic préimplantatoire) qui ne permettent que d’étudier un nombre limité de maladies.

Face à ces positions radicales, mais argumentées, comment réagit Axel Kahn dans la même émission ? S’il est encore défavorable au clonage, il n’en revendique pas moins sa forte influence en faveur de la recherche sur l’embryon : « Depuis dix ans, je me suis, de toutes mes forces, battu pour la levée de l’interdit qui prévalait dans ce domaine. Je crois être un de ceux qui ont contribué à l’avancée des idées, notamment de l’actuelle majorité qui était très bloquée pour des raisons religieuses, vous le savez, sur cette interdiction. »

Les « raisons religieuses », c’est le masque obscurantiste qu’il pose volontiers, lui aussi, comme argument de principe décrédibilisant. Car, quoique apparemment moins impliqué que son collègue biologiste, le généticien Axel Kahn est tout autant actif dans le lobbying. Mais son approche est plus sinueuse, certains diront plus pernicieuse. À première vue, il se présente comme un sage épris de dialogue qui respecte les catholiques : « L’Église a sa place dans ce débat. Elle fait partie de l’opinion publique, représente une classe importante de citoyens et peut faire valoir son analyse » affirmait-il, le 18 février 2008, au Figaro. Le quotidien précise que le professeur Kahn venait, la veille, d’« exposer aux évêques de France les dernières avancées en matière de génétique ».

Or, voilà qu’après cette invitation, qui était intervenue alors qu’un arrêt de la Cour de cassation conférait un statut aux fœtus issus de fausses couches tardives, Axel Kahn se posait déjà en analyste des positions épiscopales et des sensibilités chrétiennes sur l’avortement : « Cette question n’est pas au centre du discours de l’Église, contrairement aux évangélistes américains qui en ont fait leur cheval de bataille. Même si les décisions de la Cour de cassation pouvaient donner aux autorités catholiques des arguments pour reprendre leur combat contre la loi Veil, je ne pense pas que ce soit leur volonté. »

Dans le même temps, Axel Kahn prenait résolument position contre la possibilité de reconnaître aux parents endeuillés par la perte d’un enfant mort-né le droit de le déclarer à l’état civil et de l’inhumer dignement. Mgr André Vingt-Trois se réjouissait au contraire de cette évolution du droit en notant : « Quand la Cour de cassation décide de légitimer l’inscription d’un fœtus comme membre de la famille, cela signifie bien que ce fœtus a un statut. La position de l’Église est que l’on doit agir comme si l’embryon était une personne. » Axel Kahn soutenait le contraire, dans les colonnes de L’Humanité. Son argument ? « Il faut maintenir la fiction juridique selon laquelle on n’a pas existé avant d’être né. » Et le généticien de classer comme fondamentalistes les chrétiens défendant la vie avant la naissance.
Prétendre qu’il y a une césure interne à l’Église entre les ultra-infréquentables et leurs bergers assagis, c’est une posture cruelle pour les deux parties artificiellement séparées. Même approche sociopolitique, le 8 février 2011 dans Libération pour critiquer « l’absurdité » du système d’interdiction assorti de dérogation maintenu dans le projet de loi de révision des lois de bioéthique : « On peut très bien comprendre que Jean-François Mattei, catholique fervent mais aussi biologiste sachant l’importance de la recherche sur l’embryon, ait trouvé cette habileté sémantique pour résoudre un dilemme. » À en croire Axel Kahn, la césure serait ici interne à la conscience du professeur Mattei, et les chrétiens enclins à l’hypocrisie. L’attribution du brevet de fervent catholicisme à l’ancien ministre de la Santé, auteur des premières lois de bioéthique qui ont avalisé de graves transgressions peut surprendre. N’y a-t-il pas de quoi situer Axel Kahn davantage comme un bio-politicien que comme bio-éthicien ?

Et que dire de la stabilité de ses propres arguments ? Tantôt l’homme affiche ses doutes, tantôt il déroule des raisonnements faussés que peu osent contrer. Au cours des toutes premières auditions de l’Assemblée nationale qui préparaient les débats actuels, il tentait de convaincre les députés de « transformer ce moratoire en loi positive » en argumentant contre l’hypocrisie : « la loi ne gagne rien à être dans le faux-semblant ». Il affirmait alors que l’embryon « mérite d’être reconnu dans sa singularité » car « s’il se développe, l’embryon deviendra un être humain » en ajoutant : « Le début d’un processus admirable n’est jamais banal » (cf. La Croix du 10 novembre 2008).

Vingt-huit mois plus tard, les raisons ont changé : « Même si je considère que l’embryon est une personne, ce n’est pas un argument pour ne pas faire de la recherche, vu que l’on en fait à tous les âges de la personne humaine » (La Croix du 1er avril 2011). Quelle découverte scientifique ou anthropologique conduit désormais Axel Kahn à décréter que l’embryon, qui n’était même pas à ses yeux un véritable être humain en 2004, est devenu une personne sept ans plus tard, ce que même l’Église n’affirme pas ? Et comment peut-on comparer la recherche sur l’embryon, qui détruit ce dernier, et les recherches médicales sur les personnes, à un autre stade de la vie, dont l’encadrement éthique se fonde évidemment sur le respect de leur intégrité et sur leur consentement éclairé ? Mais les propos du professeur Kahn sont empreints d’un flou artistique… incontesable ! Il parle avec élégance et poésie mais son argumentation, truffée de syllogismes, est rarement contrée avec précision.

Un partage des rôles s’est donc établi, prenant l’Église en étau dans le domaine bioéthique, alors qu’elle est le premier rempart contre l’instrumentalisation de la vie commençante.

Le processus des états-généraux de la bioéthique, en 2009, a montré que les arguments de l’Église rejoignaient souvent le bon sens commun. La mobilisation des chrétiens fut remarquée dans le monde politique et, par leur pertinence, les publications successives de Mgr d’Ornellas ont pu contrebalancer la pression des chercheurs transgressifs. Ces derniers préfèrent riposter, sur la forme, sans dialoguer honnêtement sur le fond. Objectif : marginaliser l’apport de l’Église.

Marc Peschanski fait donc figure de bulldozer avec ses attaques anticatholiques frontales. Il tente de décrédibiliser l’institution en bloc. Il l’a désignée comme bouc émissaire de ses frustrations. Axel Kahn parvient, plus finement, peut-être inconsciemment, à affaiblir la voix catholique en la divisant. Il instille le doute chez nombre de fidèles déboussolés par ses passages médiatiques tandis que ses analyses sur l’influence de la religion sur les consciences visent les décideurs. Quoique résolument ancré à gauche, il soigne son image de sage, au-dessus de la mêlée et des partis, comme invité de marque du Parvis des gentils et de cercles chrétiens qui apprécient sa rondeur d’expression.

Mais les deux chercheurs, chacun dans son style, stigmatisent volontiers le « conservatisme » ecclésial. Ils restent proches comme l’avouait Axel Kahn dans leur débat de 2004 évoqué plus haut : « Nous sommes dans une situation extrêmement singulière. Nous avons, Marc et moi, beaucoup de points communs. Nous aimons l’un et l’autre la science, nous sommes, je crois, des scientifiques qui sont considérés et nous sommes très attachés à la liberté de la recherche. » Avec un bel esprit de caste et, pour la religion, une bonne dose de condescendance.