Cet après-midi, un message inattendu sur mon écran : il vient de Montréal, où vit Fernand Ouellette, poète québécois dont j’aime et admire l’œuvre. Mon amitié fait pendant à la sienne, qui me console de bien de mes faiblesses. Il me dit :
« Cher Dominique, une expression qui me frappe : ‘’L’Église doit être l’Église des pauvres’’.
À l’évidence, pourtant, elle n’exclut personne. Sinon, tous deux, nous qui ne sommes pas pauvres, serions exclus. Il me semble que l’on emploie une expression maladroite. Il faut être prudent dans ses grands et nobles sentiments. L’Église doit être aussi l’Église des pauvres, ce qui va de soi, lorsqu’on suit le Christ ».
Comment lui donner tort ? J’ajouterai à sa remarque qu’il existe toutes sortes de pauvretés, si bien que très peu parmi les humains échappent à ces fléaux : car si l’on pense à la pauvreté, il est rare que l’on aille au-delà de la misère matérielle, dont personne ne saurait dire qu’elle est insignifiante. Elle est à elle toute seule un désastre permanent alors que la misère du corps – tant de malades qui ne trouvent aucune consolation ! –, et celle du cœur n’apparaissent que rarement au premier rang des pauvretés tandis que leurs victimes vont parfois jusqu’à se donner la mort !
La misère intellectuelle, qui déclenche la misère culturelle, n’est perçue pour ce qu’elle est et pour ses conséquences, souvent majeures, que par très peu d’entre nous. C’est ainsi que les négligences de l’État français en matière d’enseignement, où sont privilégiés des fantasmes pédagogiques d’universitaires qui semblent ne vivre qu’en vase clos, défavorisent gravement des millions de jeunes à la formation négligée : et ce malgré le dévouement de milliers d’enseignants à qui l’on interdit de se dégager de règles absurdes ou même dangereuses.
Quant à la misère spirituelle, les premiers à en rire sont ceux qui en sont atteints… Un athée, il y a quelques jours, m’a semblé pathétique, lui qui affirmait avec insolence et mépris que nous n’avions plus rien à faire des religions et de Dieu. De telles déclarations, je les vois s’inscrire aussitôt en lettres sanguinolentes sur les visages de tels inconscients : ces gens-là sont les grands blessés de l’esprit, des agonisants perpétuels, que Dante voyait déjà prisonniers de l’Enfer alors qu’ils paradaient encore sur les places chics de Florence. Cette misère-là est la pire de toutes et le Christ, très clairement, a beaucoup insisté sur ce qu’elle est : la pourvoyeuse de l’Enfer, quand elle est exhibée comme une gloire.
L’Église doit, naturellement, être celle des pauvres, mais de tous les pauvres, sans jamais oublier ces pauvres qui s’imaginent être les privilégiés de ce monde alors qu’ils n’en sont que les plus misérables.
Je cite un fait : l’un de mes petits-fils, prénommé Théophane, fut choqué de la réponse d’une dame venue dans son école expliquer l’action, certes remarquable et précieuse, du Secours catholique. À la fin de son exposé, il leva le doigt afin de lui poser une question, celle-ci : « Quand vous aidez les pauvres, est-ce que vous leur parlez de Jésus ? » Elle répondit avec aplomb et certitude qu’il ne fallait surtout pas afin de ne pas attenter à leur liberté… Sa réponse m’a scandalisé tout autant que l’avait été mon petit fils, qui fit une étrange remarque : « Alors ce que vous faites ne sert à rien »…
Ce n’est pas la première fois que j’entends des réponses de cet acabit : ne pas citer Celui qui envoie c’est le trahir en même temps que c’est trahir ceux qui reçoivent ces dons distribués par cette institution d’Église.
(Il m’est arrivé, à Notre-Dame du Laus, dans les Hautes Alpes, d’entendre un sermon fait à des jeunes gens où il ne fut fait aucune mention de la Vierge Marie, chez qui cependant le prêtre exerçait son ministère… Façon de faire analogue…)
Ne pas dire de la part de « qui » l’on missionné afin d’apporter à ceux qui ont faim ce qui provient de la générosité du peuple chrétien, c’est à la fois une sottise, car l’aveu ne supprimerait en rien la liberté des bénéficiaires1, et une indélicatesse double, car elle évacue les donateurs, auxquels finalement se substituent les bénévoles chargés de la distribution, et le Patron premier de l’Institution, le Christ Lui-même ! « Celui qui me reconnaît pour Celui que Je suis, Je le reconnaîtrai devant mon Père ; celui qui ne me reconnaît pas pour Celui que Je suis, je ne le reconnaîtrai pas devant mon Père ». Phrase qui m’a impressionné fortement le jour où j’ai osé m’arrêter sur elle. Celui qui reçoit le don offert, il doit savoir d’où provient l’amour qui lui est témoigné, amour qui n’est pas seulement celui du chargé de mission par l’Institution, quoiqu’en effet il est très important que ce missionné soit au bout de la chaîne.
Il existe toutes sortes d’Institutions d’Église chargées de témoigner de l’amour de Dieu incarné en chacun des acteurs de la charité : les unes auprès des pauvres dont le corps souffre de la faim ou de maux divers ; auprès des désespérés dont le cœur ne vit que de lamentations ; auprès des incultes dont l’intelligence n’a pas reçu les outils dont elle avait besoin ; auprès des êtres humains dont l’âme est restée affamée ! Etc..
L’Église catholique n’a pas à rougir devant le monde des états de service des diverses sociétés dont la charité s’exerce aussi bien dans les hôpitaux que dans les écoles, dans les restaurants de paroisse que dans les prisons, dans les familles qu’auprès des isolés. Si l’on comptabilisait l’ensemble de toutes ces œuvres agissant sur l’ensemble des pays où vivent des catholiques, on s’apercevrait qu’il n’existe pas de candidats pour les détrôner. Je regrette que nos médias, tellement intéressés par les scandales, laissent tomber l’information à ces sujets : certaines des histoires que l’on peut recueillir sont profondément admirables.
Tout cela en fait pour dire que l’Église ne peut pas ne pas être celle des pauvres, quels qu’ils soient : à eux tous, nous savons bien que personne ne saurait échapper aux diverses sortes de miséricordes dont elle est chargée auprès des enfants de Dieu. Pas plus les milliardaires que les démunis de l’extrême…
J’ai envoyé à Fernand Ouellette les quelques lignes que m’avait inspiré sa remarque : aussitôt lues, il me répond :
« Cher Dominique, évidemment tu as tout à fait raison dans ton élaboration. La misère spirituelle est encore plus envahissante. En général, l’être humain ne se doute guère à quel point il est pauvre. Pour le sentir, il faut être près de Dieu. Il ne comprend que sa misère par rapport à ce que la publicité, la consommation lui proposent. C’est pourquoi l’expression Église des pauvres doit être contextualisée. On doit bien comprendre sa signification. Ce qui n’est généralement pas le cas.
Merci de m’avoir envoyé cet extrait de ton journal, et d’avoir accordé une attention à ma remarque. Je disais à un ami prêtre que le Québec ne méritait pas un pape (Card. Ouellet) car il ne reste que dix pour cent de pratiquants. Et l’anticléricalisme fait rage.
Fides m’a retourné les contrats de trois de mes livres, dont Je serai l’Amour. Depuis la vente de la maison par les Pères de Sainte-Croix, on a changé de direction pour privilégier, semble-t-il, le roman.
Bien cordialement, »
Je serai l’Amour, magnifique livre sur la Petite Thérèse de Lisieux ! Je suis consterné par cette nouvelle : un grand livre qui n’intéresse plus l’ancienne maison Fides. Elle m’avait publié mon petit essai sur Bossuet, chercheur de Dieu… Qui va reprendre ce beau texte ?
Quand je prétends que nous sommes passés sous la domination totalitaire des athées les plus intolérants qui soient certains sourient, pensant à une lubie de vieil homme : non, il faut penser à une claire vision du caractère abominable du monde présent. Nous craignons les terroristes (ajoutez, lecteur, le mot islamiques, qui fait si peur à Monsieur Hollande qu’il ne le prononce plus, si bien que l’on finit pas ne plus savoir quels terroristes combat l’armée française au Mali), mais le pire terrorisme est pratiqué par les destructeurs de la spiritualité, vautrés qu’ils sont dans la farine d’un matérialisme sans avenir : j’entends celui de notre espérance, le Royaume éternel.