L’Église, Corps mystique du Christ, ne s’est jamais édifiée sans douleur. Dès le départ, elle a connu des épreuves qui purent bien souvent entamer le courage et la persévérance de ses membres. Pourtant, l’espérance ne faiblit jamais, chaque génération se souvenant des paroles du Maître : « Ne craignez point, petit troupeau, parce qu’il a plu à votre Père de vous donner son royaume » (Luc 12, 32). Et aussi la promesse donnée à saint Pierre : « Aussi moi je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle » (Matthieu 16, 18). La foi est avant tout un combat contre le chaos instauré par le Malin et elle n’avance jamais sans mal à travers le désordre du monde.
« Le sang des martyrs »
Les premières générations de chrétiens auraient pu rendre les armes sous le coup des persécutions ensanglantant sans cesse leurs communautés : sous Néron, de 54 à 68 ; sous Domitien, de 81 à 96 ; sous Trajan, de 98 à 117 ; sous Marc Aurèle, de 176 à 180 ; sous Septime Sévère, de 193 à 211 ; sous Maximin le Thrace, de 235 à 238 ; sous Dèce, de 249 à 251 ; sous Valérien, de 253 à 260 ; sous Aurélien, de 270 à 275 ; sous Dioclétien, de 284 à 305. Peu de temps pour souffler entre ces épisodes de terreur qui s’étirent sur trois siècles ! Il suffit de lire le Martyrologe pour être mis en présence des tortures infligées aux fidèles de tous âges.
Leur compte aurait dû être bon, suivant une logique humaine puisque ces êtres d’argile faisaient face à l’airain de Rome. Pourtant, tout se retourna avec l’édit de Milan en 313, promulgué par Constantin Ier, puis sous Théodose Ier faisant du christianisme la religion officielle de l’empire en 380. Cela signifie que certains fidèles connurent dans leur vie le sang versé en abondance par Dioclétien et moururent dans la paix sous Théodose. Comme l’écrivit Tertullien : « Le sang des martyrs est la semence des chrétiens. »
Lutte contre les hérésies
Lorsque l’empire romain se disloqua, le christianisme aurait pu le rejoindre dans la tombe car les hérésies multiples ne tardèrent pas à le miner. Pensons à saint Augustin, manichéen avant sa conversion [le manichéisme est une religion syncrétique fondée par le Perse Mani, où le bien et le mal sont les deux principes fondamentaux, NDLR]. Pensons à saint Athanase d’Alexandrie, presque seul contre tous pendant la crise arienne, définitivement soldée en 381 lors du premier concile de Constantinople (FC n°3794).
En travaillant à l’unification et à la purification doctrinales, les conciles des premiers siècles (Nicée, Constantinople, Éphèse Chalcédoine…) jouèrent un rôle primordial pour garder vive la flamme pure de la foi. Les Pères de l’Église, ces théologiens et évêques de renom et de sainteté, parfois minoritaires, finirent toujours par l’emporter sur les hérésies et l’esprit du monde, y compris dans les situations apparemment les plus critiques. Puis se levèrent saint François d’Assise, saint Bernard, saint Dominique, saint Thomas d’Aquin, et tant d’autres pour insuffler sans cesse un esprit de conversion au sein de l’Église.
L’œuvre du concile de Trente
Une troisième période de divisions survint au Moyen Âge, durant laquelle l’Église connut plusieurs papes se disputant le siège de Pierre, chacun candidat de tel ou tel prince puissant. Ce grand schisme d’Occident surgit à la mort de Grégoire XI en 1378, résidant à Avignon et dura jusqu’en 1417, lorsque le concile de Constance y mit fin. Sur fond de guerre de Cent Ans, de lutte entre la papauté et l’empereur, de rivalité italienne entre guelfes et gibelins, ce conflit mit en lumière le gallicanisme naissant qui s’ancra par la suite, fit naître les particularismes nationaux et généra l’hérésie hussite [doctrine développée par le Tchèque Jan Hus, excommunié en 1411, NDLR].
Certes, l’Église sortit affaiblie de cette lutte intestine, mais l’action des saints – et ces siècles en étaient fort riches – fut déterminante pour redonner un élan, comme l’admirable sainte Catherine de Sienne, et vivifier la foi.
L’année de l’excommunication de Luther, 1521, marque une nouvelle crise déchirante… qui va précipiter la concrétisation d’une idée déjà présente dans l’esprit de beaucoup : la convocation du concile de Trente – mis en application par des esprits éminents et saints, comme saint Robert Bellarmin et saint Charles Borromée. De nouveaux ordres apparaissent à cette époque, comme le Carmel réformé, la Compagnie de Jésus. Ce fut non point une réforme à partir de rien mais la mise en valeur du trésor de la Tradition et de la doctrine et une conversion des mœurs. Les fruits furent considérables et durèrent jusqu’au XXe siècle. Ce n’est pas par hasard si le XVIIe siècle fut un siècle de sainteté, de missions, d’essor, même si le jansénisme prépara de nouveaux bouleversements.
La sagesse du Kohéleth
La Révolution française et ses suites bouleverseront à jamais le catholicisme européen. Qui aurait pu prophétiser, en 1793, que l’Église survivrait et que, bientôt, une restauration religieuse allait lancer sur tous les continents une épopée missionnaire extraordinaire ? Les attaques ne diminuèrent pas, dans et hors de l’Église : l’hérésie moderniste, l’anticléricalisme républicain, mais les fondations tinrent bon grâce à un tissu sacerdotal de grande qualité et à une pratique religieuse fervente. Jamais les séminaires et les noviciats n’avaient été aussi remplis qu’à l’aube de 1962. La papauté était écoutée, respectée, influente. Cependant, les ennemis étaient aux aguets et très actifs.
Chacun connaît l’état actuel de l’Église. L’espérance serait-elle morte ? L’Ennemi aurait-il gagné ? Certes non car l’histoire de l’Église nous prouve l’inverse, même si l’adversité use de moyens considérables. Les fidèles se souviennent de la sagesse du Kohéleth : « Pour tous ceux qui vivent il y a de l’espérance ; et même un chien vivant vaut mieux qu’un lion mort » (L’Ecclésiaste 9, 4). La caravane poursuit son pèlerinage sous le regard du Christ et contre le Cœur de Dieu.