Y a-t-il une spécificité de l’éducation chrétienne ?
Ambroise Tournyol du Clos : L’anthropologie catholique part du principe que tout homme a été créé à l’image de Dieu, mais que cette image a été brisée par le péché originel. Pour retrouver cet état, il faut à l’homme le secours de la grâce et une liberté qui s’exerce à la fois dans la pratique des vertus et dans la vie sacramentelle.
On retrouve cette anthropologie avec une acuité particulière chez deux saints qui ont vécu dans des contextes très différents : Jean-Baptiste de La Salle au XVIIe siècle et Jean Bosco au XIXe. Pour le premier, on la voit dans sa conception de l’enfant en tant qu’être à relever.
Quand il fonde les Frères des écoles chrétiennes en 1680, il est animé par le souci de porter la grâce aux enfants des familles les plus pauvres de Reims, frappés par la déchéance économique et morale. C’est une œuvre de salut. Le même effort se retrouve chez Jean Bosco mais dans un contexte complètement différent, celui de la banlieue de Turin au milieu du XIXe siècle. Ordonné prêtre en 1841, il est bouleversé par la rencontre de jeunes délinquants qui appartiennent à la jeunesse désœuvrée des quartiers de la ville. En s’occupant de cette délinquance dont les enfants volent et commettent le mal, Don Bosco, lui aussi, est clairement animé par le désir du salut de leurs âmes. C’est pour cette raison qu’il fonde l’Oratoire, à la fin des années 1840 en Italie.
Vous mettez pourtant en avant l’organisation comme vertu principale d’un éducateur…
On pourrait nourrir une vision un peu romantique de l’éducateur chrétien, comme celui qui ne se consacre qu’au catéchisme, par exemple. Mais, en réalité, je crois que l’Esprit Saint a besoin d’un talent particulier dans toutes les œuvres éducatives : celui de l’organisation, qui permet la mise en œuvre d’une institution.
Saint Jean-Baptiste de La Salle, qui a été proclamé « Patron de tous les éducateurs de l’enfance et de la jeunesse » par Pie XII, en 1950, a finalement très peu enseigné. En revanche, il s’est ingénié à fixer des règles. Dans Conduite des écoles chrétiennes, un de ses ouvrages qui organise les Frères des écoles chrétiennes, il va jusqu’à prévoir l’ordonnancement des salles de classe avec une précision étonnante : la pièce doit être de 40 m², elle doit être lumineuse et aérée, avec des fenêtres pas trop basses pour que les passants ne regardent pas à l’intérieur afin de ne pas distraire les enfants. Il faut installer les élèves les plus avancés sur les côtés parce qu’ils sont plus autonomes et ceux qui sont moins avancés au milieu pour pouvoir les soutenir davantage…
Bien sûr, il n’oublie pas d’installer le maître en chaire et de disposer, bien en évidence, un crucifix, une image de la Vierge et une de saint Joseph, une des figures tutélaires de l’enseignement.
Quelle est la nature de la relation entre l’éducateur et les enfants ?
Tous les éducateurs chrétiens le savent : la qualité de la relation humaine est l’enjeu majeur des écoles chrétiennes. Don Bosco fonde les salésiens en s’inspirant de l’héritage de saint François de Sales, qui avait déployé avec ses différents correspondants et ceux qu’il guidait un talent de la relation très particulier. Son sens du discernement des esprits, des cœurs, lui a permis d’accompagner sainte Jeanne de Chantal, avec qui il fonde l’ordre des visitandines. Don Bosco reprend cette intuition en lui donnant, en italien, un terme particulier : la famigliarità. On pourrait commettre un contresens si on le traduisait trop vite par « familiarité ». Il faut plutôt y entendre « l’esprit de famille ».
Jean Bosco, qui a le sens des choses concrètes, en donne quelques exemples quand il écrit aux responsables de l’institution salésienne : « Vois, la famigliarità produit l’affection et l’affection engendre la confiance. » L’enjeu fondamental d’une école chrétienne, c’est d’établir une relation de charité entre les éducateurs et les élèves. Les éducateurs doivent se « mouiller » dans la relation humaine afin de bien dire aux enfants qu’ils les aiment et qu’ils les considèrent.
Don Bosco, sur son lit de mort, donnera cette instruction à son successeur : il ne suffit pas d’aimer les élèves qui nous sont confiés, mais il faut également se faire aimer.
Pour aller plus loin :
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE « AFRICAE MUNUS » DU PAPE BENOÎT XVI
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010